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Les militaires de réserve : modes d’adaptation sociale

Iaroslav STARTSEV

08 / 2001

La transformation de l’Armée Soviétique en Forces Militaires de Russie a causé une réduction importante du nombre de militaires de carrière : depuis 1991 plus de 700 000 personnes ont démissionné, ont été licenciées ou sont devenus des officiers de réserve. Les deux raisons majeures sont: la réduction de l’armée commencée par Gorbatchev et continuée par Eltsine et le nombre croissant de départs volontaires liés à l’insuffisance de la solde et au désenchantement ayant touché les militaires. Cette "armée en retraite" est très hétérogène : tous les âges, tous les grades, toutes les expériences (à commencer par des aspirants qui quittent l’armée à la sortie de leur école et jusqu’aux anciens combattants d’Afghanistan ou de Tchétchénie). La spécificité commune à tous les membres de ce groupe (sauf quelques dizaines de milliers), c’est qu’il s’agit d’hommes de l’âge actif (25-50 ans) ayant un savoir-faire militaire mais souvent sans métier ou profession civile.

Malgré toutes les différences, la plupart des anciens militaires choisit une des trois voies générales d’adaptation à la vie civile : 1) un business en commun avec des anciens collègues ; 2) un travail en tant que garde de corps ou dans un service de sécurité ; 3) des postes dans la fonction publique. La première voie s’ouvre aux anciens officiers souvent grâce à des détournements de fonds effectués à l’époque de leur service. Ceci est surtout important pour la période de 1988-1995 : de nombreux officiers ont pris part à des trafics d’armes ou, ce qui est peut-être plus profitable, au trafic de biens militaires tels que les produits alimentaires, les vêtements, les voitures, etc. Le travail gratuit de soldats y joue aussi un rôle important : au début des années 1990 la majorité écrasante d’entreprises créées par des militaires ou par des anciens militaires sont les entreprises du bâtiment. L’absence de contrôle réel sur l’utilisation des biens de l’armée à cette époque s’est révélé surtout favorable aux militaires revenant de l’Europe de l’Est au cours de la sortie de l’armée russe de cette région. Ainsi, un capital important a été concentré au début des années 1990 entre les mains d’officiers retraités qui ont organisé des entreprises de commerce. D’autre part, des réseaux composés d’anciens militaires qui se connaissent ou se reconnaissent se sont créés ; la situation de l’époque exigeait ces réseaux personnalisés pour que les affaires marchent ; la criminalisation du commerce a fait des personnes ayant une expérience d’action militaire une ressource appréciée. La criminalisation de l’armée diminue de façon notable dans la mesure où les hommes y participant partent pour le commerce et où les fonds militaires maigrissent ; seule la Tchétchénie laisse encore la place à ce genre d’activités de grande échelle. Or, vu que les réseaux sont créés, que les entreprises marchent, que les nouveaux retraités y sont souvent bienvenus et y retrouvent des anciens amis de service, tout devient beaucoup plus légal qu’autrefois. Encore un trait digne d’être noté : en l’absence de managers de formation, les anciens militaires sont souvent préférés à des civils pour leurs capacités d’organisation et de direction. L’exemple de l’Union des anciens combattants d’Afghanistan est typique : cette organisation conçue en tant qu’un organisme de bienfaisance est vite devenue un consortium de fait, qui s’est criminalisé, a failli être interdite par le gouvernement, a perdu une partie de ses entreprises mais garde finalement le contrôle de plusieurs entreprises commerciales dans quelques régions.

La seconde voie est réservée à ceux qui n’ont pas su ou n’ont pas voulu prendre la première. Il est rare que des anciens militaires occupent des postes de directeur d’un service de sécurité d’une entreprise privée : les entrepreneurs russes préfèrent les candidats ayant un passé criminel ou les anciens de l’Intérieur ou du KGB / FSB. Par contre, les responsables de sécurité dans des organisations du secteur public sont souvent des anciens militaires ; ces derniers sont encore plus nombreux parmi les gardes de rang, on y trouve des anciens sous-officiers aussi que des anciens colonels.

La troisième voie reste le privilège de certains officiers supérieurs et est révélatrice d’une tendance de militarisation caractérisant la fonction publique russe. La croissance des bureaucraties centrales, régionales et locales exige des cadres expérimentés et disciplinés (ce dernier trait est surtout apprécié) ; l’armée y apparaît comme une réserve naturelle du personnel administratif. Des anciens militaires sont surtout demandés pour les postes de direction de niveau moyen, ils sont chargés de gestion du personnel, de tâches d’information, de gestion du patrimoine etc. Pourtant, pour passer à la fonction publique il faut obligatoirement avoir des contacts personnels, des " pistons ".

L’Etat participe à l’adaptation d’anciens militaires à la vie civile via le programme de " certificats de logements " : tout militaire de carrière qui quitte l’armée suite à des mesures de réduction a le droit à un logement correspondant au nombre de personnes à charge, dans n’importe quelle ville du pays, sauf la capitale. Ce programme ne touche pas les retraités militaires et les personnes ayant démissionné de leur propre gré. Qui plus est, la politique gouvernementale ignore l’existence de quelques dizaines de milliers de personnes qui sont passée, au début des années 1990 dans les armées des nouveaux Etats indépendants pour démissionner ensuite, insatisfaites des conditions de service. Ces hommes reviennent en Russie où ils ne bénéficient plus des privilèges que les militaires de réserve russes possèdent. Plusieurs organisations non gouvernementales se sont créées pour aider les anciens combattants, notamment ceux de Tchétchénie. Ces organisations créées par des officiers de réserve, comme la Fondation de l’aide aux anciens combattants de Tchétchénie de Tcheliabinsk, visent les objectifs suivants : réhabilitation psychologique ; aide médicale ; aide à la recherche du travail. Toutefois, ces organisations ne couvrent que les anciens combattants.

Mots-clés

ancien combattant, économie criminelle, détournement de fonds, reconversion professionnelle


, Russie

Commentaire

Le gouvernement russe a laissé les militaires de réserve à leurs propres soins, mais aucune "insurrection d’officiers" annoncée par plusieurs observateurs n’a eu lieu. Les militaires de réserve se différencient vite en deux catégories : ceux qui gardent les valeurs traditionnelles et ceux qui profitent de leurs facultés d’organisation pour trouver une place dans une société chaotique où cette aptitude devient bien rare.

Source

Texte original

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