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Vous devriez être professeur : histoire et vie quotidienne de la Colombie

Cristiana TRAMONTE

08 / 1993

Sur la route qui mène à Ocana, au nord de la Colombie, dans la province de Santander, on voit beaucoup de soldats de l’armée régulière. En tenue camouflée et mitrailleuse à la main, ils ressemblent parfois aux "pueblitos" du Nucaragua. On voit aussi des banderolles avec des inscriptions comme: "Ici l’armée défend le peuple contre les guerilleros".

Le chauffeur qui nous conduit dans cette région est un homme d’âge moyen, dont la peau ridée et foncée nous fait peser à un vieil indien. Son sourire est franc, ses mains sont grandes et il conduit d’une manière bien tranquille qu’on aurait du mal à imaginer chez un chauffeur de taxi brésilien. Il se tait durant tout le trajet, si ce n’est que de temps en temps il nous adresse un sourire franc et amical. La chaleur torride l’oblige à s’arrêter pour boire quelque chose. Nous l’accompagnons jusqu’à une maison où l’animal familier est un faon (type Bambi).

De retour à la voiture, ce monsieur s’aperçoit que nous prenons des notes. Une conversation s’engage entre nous et soudain il se met à faire l’un des plus beaux discours que nous ayions entendu et qui nous donne une image claire de la Colombie. Evidemment, pour des raisons de sécurité, nous ne lui avons pas demandé son nom. Mais cela ne nous a pas empêché au bout de trois heures de conversation de devenir de très bons amis, grâce à l’identité de vues et de sentiments qui existait entre nous. Quand nous nous lui avons demandé où en était l’action de la guérilla dans la région, il nous a informé qu’à l’heure actuelle la situation était calme, mais que cela n’avait pas été le cas il y a quelques mois lorsque la guérilla menait des actions quotidiennes. Cet homme, qui avait lui-même rencontré à plusieurs reprise des guerilleros sur son chemin, nous a donné des renseignements sur la structure de l’Armée de Libération Nationale et sur la Coordination de la guerilla composée par le FAR, l’EPL, l’ELN. "Ils arrêtent les voitures et font des discours", nous a-t-il déclaré.

_Est-il vrai qu’ils volent et qu’ils attaquent les gens, comme on le dit? lui avons-nous demandé.

_Ce qu’on dit d’habitude, c’est faux. Ils ne volent pas, ils ne violent pas. Tout ce qu’ils font c’est de stopper les voitures pour exposer leur point de vue. Ensuite, ils les laissent partir. Malgré la vie qu’ils mènent, ils sont très disiplinés. Ici, les paysans ont plus peur de l’armée que des guérilleros. L’armée torture, viole les femmes, nous dit-il sur un ton à la fois tranchant et ému.

Il nous donne un grand nombre d’informations et il attend patiemment que nous ayons terminé de tout noter pour continuer, car il désire vraiment que tous ces renseignements puissent clarifier la situation. "Ici, ajoute-t-il, c’est le terrain d’un groupe dissident de l’ELP qui opère également sur le littoral. Il y a aussi ceux qu’on appelle "Helenos" et qui sont sous les ordres de Cura Perez, chef de l’ELN.

Nous parcourons d’immenses régions inhabitées où il n’existe que très peu de villes. Dans les rares petites villes que nous traversons, nous rencontrons des enfants qui vendent toutes sortes de choses: citrons, eau - une sorte de mélange du Nordeste brésilien et de l’Amérique centrale. Beaucoup de "chivas" (petits bus en bois)y circulent et transportent presque tout: animaux, fruits et un nombre impressionant de paysans.

"La guerilla est en train de se développer, insiste-t-il. Il y a de olus en plus de gens qui y participent. Par exemple, la FAR est composée de 40 à 50 hommes par groupe. Face à la décomposition sociale du pays, cela ne peut qu’augmenter. Le chômage aidant, beaucoup de gens se sentent mieux là-haut dans les montagnes avec la guerilla. Au moins là-haut, ils disposent de quoi se nourrir. Les jeunes quittent l’armée en espérant trouver un emploi, mais il n’y en a pas. Alors la guerilla leur offre de la nourriture et des conditions de vie décentes et ils vont la rejoindre."

Nous passons devant de plus en plus de soldats en tenue camouflée. Aux points de péage, on en trouve encore d’autres. Nous cachons notre appareil photo, suivant les conseils des Colombiens eux-mêmes. Mais discrètement, nous réussissons à prendre quelques photos.

Attentif à tous nos mouvements, notre chauffeur se montre très patient. Ce n’est que lorsqu’il sent que nous sommes "prêts", qu’il continue son récit. "Au lieu d’augmenter les emplois, le gouvernement les diminue. L’année prochaine (1994)se tiendront des élections pour le Conseil et l’Assemblée, en 1995, ce sera le tour du Sénat et de la Chambre. Cela fait 50 ans que nous vivons cette guerilla. Avant, cela s’appelait "chusma". Le peuple s’entretuait par l’intermédiaire des libéraux (rouge)et des conservateurs (vert). Les partis se partageaient le territoire et celui qui ne respectait pas les divisions était assassiné. Aujourd’hui, le peuple a pris conscience de la situation et les idéaux se sont transformés. Le dictateur militaire Gustavo* a apporté la radio et la télévision et les paysans ont pris conscience qu’ils étaient tous dans la même galère."

Nous nous sommes à nouveau arrêtés pour boire quelque chose de frais et nous n’avons pu résister à lui dire: "Vous devriez être professeur d’histoire, vous avez tant de choses à enseigner." Il a souri timidement. "C’est dommage que nous ayions si peu de temps pour lire, ce que je sais, je le tire du peu de lectures que je fais." Nous avons souri tous les trois, complices et nous lui avons posé à nouveau de nombreuses questions. Il continuait à nous ouvrir son coffre aux trésors et à nous offrir plus d’informations. "Le M-19 est né de l’ANAPO (l’Alliance Nationale Populaire). Les différentes factions de la Frente Nacional avaient le pouvoir à tour de rôle. Le peuple a fini par perdre patience et a élu un dictateur. C’est entre 1974 et 1978 que al Frente Nacional eut pour la première fois le pouvir. C’est de là que naquit le M-19. Un groupe se forma qui prit le maquis dans la montagne. Au départ, il appuyait des actions légales, mais comme le gouvernment n’accomplissait pas ce qu’il avait promis, ils rentrèrent dans la clandestinité. Il participa à la prise de l’ambassade de la République Dominicaine et du Palais de Justice. A l’heure actuelle, le M-19 agit en toute légalité. Nombre de ses membres travaillent dans les mairies, au sénat, etc... Mais il faut que la démocratie pense que le peuple doit au moins manger et que ça va très mal."

*Gustavo Rojas Pinilla - inspiré parce qu’il avait vu à la télévision sur l’Allemagne hitlérienne - a apporté la tchnologie à la Colombie.

Mots-clés

changement social, conditions de vie, délinquance, différenciation sociale


, Colombie, Santander

Commentaire

Après avoir écouté cette très belle leçon d’éthique sociale et d’histoire, nous nous sommes séparés de cet être inoubliable et nous sommes arrivés à Ocana, lieu des grandes rencontres du général libérateur Simon Bolivar.

Notes

Fiche originale en portugais : MFN 2468

Source

Entretien

TRAMONTE, Cristiana, DIALOGO-CULTURA E COMUNICACAO (BRESIL)

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