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L’information responsable

Un défi démocratique

Jean-Luc MARTIN-LAGARDETTE

2006

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La critique des médias et des journalistes prend chaque jour de l’ampleur. Les contraintes économiques et publicitaires, les bouleversements technologiques et la demande sociétale s’imposent à la presse avec une intensité jamais atteinte. Au point d’impact de ces tendances lourdes : l’Information. Comment se construit-elle ? Quel crédit lui accorder ? Dans quelles conditions les journalistes travaillent-ils à son élaboration ? Et quelle est la place laissée aux citoyens dans ce processus ? Jean-Luc Martin-Lagardette nous offre de mieux comprendre les rouages de la profession de journaliste. Il propose également des mesures concrètes destinées à favoriser l’avènement d’un journalisme citoyen et d’une information responsable. Ces mesures permettraient de rendre à la presse une crédibilité aujourd’hui chancelante et de légitimer le rôle capital qu’elle joue au sein de la société démocratique.

L’ouvrage « L’information responsable » est téléchargeable en ligne, sur le site des ECLM.

Introduction

L’argent au service de l’Idée

Les questions d’éthique de l’information sont à la mode. Enfin ! Les multiples critiques qui s’élèvent un peu partout sur les pratiques médiatiques montrent que le public commence à prendre conscience de l’importance de la qualité de l’information qu’il reçoit. Les esprits sont mûrs, semble-t-il, pour un débat sur le rôle et le statut de la presse et des journalistes dans notre démocratie. Cet essai a été conçu pour apporter une pierre dans ce débat. Avec une intention majeure: éclairer les enjeux et faire des propositions pour une presse plus responsable.

Commençons par nous interroger sur la conception de l’information en France, sur les valeurs essentielles qui guident nos médias. Schématiquement, deux conceptions s’affrontent, l’une que nous appellerons «journalisme libéral» et l’autre que nous qualifierons de « journalisme citoyen» (1).

La première, celle qui a le plus cours en France dans la pratique, consiste à dire que le journaliste doit simplement «informer », c’est-à-dire relater des faits à ses lecteurs et donner son avis en tant qu’observateur privilégié et selon les valeurs de la ligne éditoriale. Son éthique défend essentiellement l’indépendance du journaliste vis-à-vis des pouvoirs ainsi que son honnêteté dans son analyse et son jugement. Cette vision refuse toute ingérence extérieure (professionnelle, législative, citoyenne) dans la façon dont les journalistes font leur travail. La conscience du journaliste demeure, hors les tribunaux, la seule instance d’arbitrage habilitée à trancher dans les différends déontologiques. Le journal est avant tout considéré, dans la pratique, comme une entreprise privée devant générer du profit ou du pouvoir.

La seconde conception, inspirée des Lumières, mise en Ĺ“uvre plutôt dans les pays d’Europe du Nord et réclamée par un nombre croissant de citoyens (et une poignée de journalistes), affirme que le journaliste est investi d’une mission. Il a, en outre, le devoir de servir le progrès humain et de combattre les injustices. Ce journalisme est plutôt favorable à une forme de régulation de son activité (pour éviter qu’il ne soit au service des pouvoirs). Dans cette optique, le journal est avant tout considéré comme une entreprise d’intérêt public (2) produisant un bien culturel et social.

Apparemment, ces deux conceptions s’opposent au point d’être incompatibles entre elles. Dans le journalisme libéral, on met en avant le long combat historique de la presse pour se libérer des tutelles politiques, militaires et administratives. La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse couronne cette conquête. Texte fondateur du droit de l’information, cette loi consacre la liberté d’expression (3) et la liberté d’entreprise. Elle met fin à des décennies de limitations et de répression. Autorisations préalables, censure, délits d’opinion, etc., n’ont plus cours tandis que l’article 1 proclame que « l’imprimerie et la librairie sont libres ».

Héritier des combattants de la liberté de la presse, le journalisme libéral défend essentiellement un droit d’exprimer une opinion. Le régime de la libre concurrence permettant la diversité des expressions et le réseau de la distribution assurant à tous les titres une même égalité de traitement, cette conception estime que le pluralisme indispensable au débat démocratique est ainsi parfaitement assuré. Il rejette avec véhémence toute régulation externe à la publication.

De plus, les aides directes et indirectes de l’État à la presse n’étant pas négligeables, le journalisme libéral se satisfait de la configuration actuelle du système informationnel. Son principal mérite est bien de permettre aux médias d’exister, d’assurer aux journalistes et à leurs collaborateurs un emploi exaltant (quand il est mené dans de bonnes conditions), et à l’opinion publique de partager une culture commune de l’information. Pour simplifier, nous dirons que le journalisme libéral puise sa légitimité dans la liberté d’expression au nom de la démocratie et du pluralisme, l’approche étant centrée sur la liberté d’entreprise.

De son côté, le journalisme citoyen estime que le journaliste est en quelque sorte «mandaté» par ses lecteurs pour les représenter dans sa collecte de l’information. C’est pour eux et en leur nom qu’il interviewe ses interlocuteurs, par exemple. Dans ce contexte, le journaliste est un médiateur, un auxiliaire de la démocratie, un contre-pouvoir pour défendre l’intérêt des citoyens dans leur ensemble. Il défend sa liberté d’expression mais aussi celle des citoyens et notamment celle des minorités (4).

Dans cette conception, la liberté d’entreprendre, si elle n’est pas cadrée par des garde-fous, conduit à privilégier les plus puissants, ceux qui ont les moyens de s’exprimer ou d’influencer par la menace ou la séduction. Il est nécessaire, dans cette optique, d’instaurer un minimum de contrôle ou de régulation pour éviter que les intérêts particuliers ou partisans ne l’emportent sur le contenu des informations. Ses défenseurs souhaitent la création de structures ou de systèmes assurant un meilleur encadrement. Ils sont favorables à une certaine forme de régulation (qui respecterait la liberté d’expression). Pour simplifier, nous dirons que le journalisme citoyen puise sa légitimité dans le souci d’exprimer les faits en respectant la diversité des points de vue, selon le critère majeur du bien commun, l’approche étant centrée sur la démocratisation de la parole.

À ces deux conceptions du journalisme, il faut en ajouter une troisième, celle de l’État qui, comme législateur, peut légitimement intervenir, ce qu’il a fait encore souvent, soit pour nationaliser les moyens de production de la presse (5), soit pour réguler les médias (6), soit enfin pour favoriser le pluralisme (7).

Les arguments du journalisme citoyen portent d’autant plus qu’ils furent développés à une période où la presse se comporta d’une façon nuisant gravement à l’intérêt général. Avant et après la Première Guerre mondiale par exemple, de nombreux titres furent l’objet de divers scandales financiers (krach de l’Union générale, affaires Stavisky et de Panama, subventions secrètes à propos des emprunts étrangers, chantages) (8) ou moraux (antisémitisme, mauvaise foi des polémiques, appels à la violence), tandis que pendant la Seconde Guerre mondiale, de nombreuses publications collaborèrent avec l’occupant.

Au sortir de ces douloureux épisodes, les motivations furent grandes pour tenter de soustraire la presse au capital et à l’esprit de lucre. Une commission du Conseil de la Résistance plancha sur la possibilité d’«obtenir des garanties efficaces contre la corruption des journaux et l’influence du capitalisme sur la presse en imposant aux journaux de se constituer suivant certaines formes juridiques spéciales ».

Dans la Presse française, mensuel de la Fédération nationale de la presse, organe des patrons de presse de l’époque, son président Albert Baylet stigmatisait les «puissances d’argent ». Il militait pour que les leçons soient tirées. C’est pourquoi il réclamait le «vote rapide d’un statut de la presse ». C’est une question «de vie ou de mort pour la presse née de la Résistance», ajoute-t-il dans un éditorial (9) : «Si donc un grand nombre de journaux ont accepté, entre 1940 et 1944, de paraître sous la censure allemande ou vichyssoise, la faute n’en est pas aux journalistes, mais au régime de presse qui soumettait les journaux aux forces d’argent. […] D’où l’idée, si longtemps caressée pendant la Résistance, d’une réforme de grand style, d’un nouveau statut de la presse qui assurerait l’indépendance économique de toutes les publications périodiques », ajoutera t-il plus tard (10).

Pendant six ans, une série d’initiatives est élaborée pour donner au journalisme et à la presse de nouvelles bases légales, plus explicites, plus fortes: un «statut de la presse ». Des commissions étudient ces projets provenant de la profession comme des pouvoirs publics. L’idée maîtresse de tous ces textes est d’inscrire dans la loi le rôle particulier de cette profession, d’une part en affirmant que l’entreprise de presse n’est pas une entreprise comme les autres et qu’elle mérite donc un statut particulier; d’autre part, en reconnaissant aux journalistes un rôle d’intérêt public. D’où l’idée, pour ce dernier point, de créer une «Cour d’honneur, chargée de veiller à la dignité et à la tenue de la presse française ».

Pour que la presse soit libre, soutient-on alors, « il ne suffit pas que les journaux soient libres à l’égard du gouvernement, il faut qu’il soient libres à l’égard des puissances d’argent ».

Malheureusement, tout ceci resta lettre morte. Quelques progrès furent accomplis, mais le formidable espoir né de ces jours sombres ne s’est pas concrétisé. Le chapitre quatre revient sur ces années uniques qui faillirent donner au pays une loi permettant à la presse d’«accomplir sa mission ». Mais Albert Baylet, déjà, prévenait: «Elle ne pourra le faire que si, grâce à une loi bien étudiée, elle s’affranchit du joug qu’il lui fallu trop longtemps subir. Il faut de l’argent pour faire un journal, d’accord ; mais, sous l’ancien régime, l’Idée était au service de l’argent ; nous voulons que, dans le régime nouveau, l’argent soit au service de l’Idée. (11)» Aujourd’hui, cette question de la liberté du journalisme par rapport à l’argent n’a toujours pas trouvé de réponse vraiment satisfaisante. Elle est même au coeur des critiques adressées de nos jours aux médias.

Dans les pages qui suivent, nous tenterons de mettre en lumière les enjeux de ce débat, qui se pose de nouveau avec intensité. Alors que la presse écrite d’information générale perd continuellement des lecteurs, le mécontentement vis-à-vis de la pratique journalistique s’accroît et s’exprime de plus en plus ouvertement. En perte de crédibilité, journaux et journalistes se réfugient derrière la sacro-sainte «liberté d’expression» pour refuser de rendre des comptes. Des livres accusateurs sont publiés contre tel ou tel journal, contre la profession ou contre les organismes de formation de journalistes. Des associations d’usagers des médias voient le jour. Des journaux gratuits envahissent les lignes de métro. Et Internet sert d’exutoire à tous ceux qui veulent construire ou lire une «alter-information». À l’aurore du nouveau siècle, la crise de la presse devient flagrante. Les conditions sont réunies pour engager le débat sur le fond. Quelle presse veut-on? Une presse plutôt libérale ou plutôt citoyenne ? Est-il possible de définir ce qu’est une information satisfaisante professionnellement et socialement ?

Ce livre a été conçu pour apporter des éléments de réflexion et faire des propositions. Nous croyons, en ce qui nous concerne, à la nécessité de parachever ce que nos pères avaient imaginé sans réussir à l’imposer à la Libération. Nous pensons qu’il faut inscrire dans la loi et dans nos codes (12) que nous choisissons d’accorder à l’humain, en matière d’information, une préséance sur l’argent. Mais il serait bon, au préalable, de nous mettre d’accord sur la définition de ce qu’est une information de presse acceptable.

Dans cet ouvrage, nous développons l’idée – c’est notre thèse – qu’une information responsable, satisfaisante tant professionnellement que socialement, est une information fidèle aux faits et juste dans son élaboration. Cette thèse, si elle était adoptée, permettrait de proposer des évolutions concrètes dans le fonctionnement des médias. Car ce sont eux qui conditionnent la formation de nos représentations communes. Ce sont eux qui façonnent, pour une grande part, les croyances et les savoirs de l’opinion publique. C’est donc d’eux que dépend en grande partie la qualité du lien social.

Il ne s’agit pas, bien sûr, d’imaginer une «police de l’information » ni de créer une instance ordinale pour surveiller les pratiques de la profession, mais de réguler les pratiques journalistiques pour éviter tant les dérives impunies que la judiciarisation. Réguler n’est pas juger mais installer des garde-fous. Il ne s’agit pas plus de dicter ce que devrait être l’information : nos propositions ne concernent pas le contenu des informations. Elles suggèrent des mesures et des critères pour apprécier les procédures de fabrication, afin d’encourager la responsabilité et de diminuer les risques de dérapage.

Enfin, il ne s’agit pas non plus d’opposer l’esprit (l’humain) et la matière (l’économie) mais d’accorder au premier la priorité dans l’échelle de nos valeurs. Cela nous semble être une condition de fond pour que nous puissions continuer à vivre ensemble en favorisant le mieux possible l’intérêt de tous et de chacun.

De nos jours, globalement, le journalisme libéral l’a emporté sur le journalisme citoyen. Les conséquences s’en font ressentir fortement à notre époque. Aurons-nous le désir, la volonté de favoriser l’avènement d’un journalisme plus citoyen qui saurait en même temps préserver les forces et les atouts du journalisme libéral ? Comme l’écrit Michel Muller, auteur du rapport «Garantir le pluralisme et l’indépendance de la presse quotidienne pour assurer son avenir» (13), la presse écrite peut, «par sa diversité, le pluralisme de son approche critique, son intelligence de l’information, son ouverture sur la réalité et la capacité de ses professionnels à se remettre en question, aider à établir un nouveau contrat de confiance entre le lectorat et les quotidiens ». Un vrai « défi démocratique ».

1 Ces appellations sont retenues uniquement pour la commodité de l’analyse car, dans la réalité, tout n’est pas aussi tranché. Les deux conceptions s’interpénètrent parfois, comme nous le verrons au cours de notre essai.
2 Ce qui ne signifie pas la même chose qu’entreprise publique. Cette dernière formulation indiquant que le capital et la présidence de l’entreprise sont aux mains des pouvoirs publics.
3 Le principe de la liberté d’expression a valeur constitutionnelle. Il est énoncé à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen.
4 Une forme de ce journalisme s’est concrétisée aux États-Unis par l’expérience du Public ou Civic Journalism. Ce mouvement vise à donner la parole aux citoyens ordinaires et aux responsables associatifs et communautaires, pour qu’ils puissent participer à l’émergence d’un « agenda de l’opinion ». Une place centrale y est accordée à la discussion et aux débats. Voir Sociologie du journalisme, Erik Neveu, La Découverte, Paris, 2001.
5 À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, l’État confisque les biens de la presse. Il en confie la gestion à la Société nationale des entreprises de presse (Snep). Cette nationalisation va durer dix ans.
6 En créant par exemple le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).
7 En accordant des aides importantes à la presse d’information et d’opinion.
8 Arthur Raffalovitch, économiste russe installé à Paris, parle, dans un article paru en 1931 dans l’Humanité, de «l’abominable vénalité de la presse ». Les Français parlent aussi de « presse pourrie ».
9 La Presse française, n° 36, mars 1949.
10 Idem, n° 37, avril 1949, p. 6.
11 Ibid., n° 10, juin 1946.
12 L’inscription dans nos textes d’un vrai statut pour la presse, même adapté aux réalités d’aujourd’hui, ne pourra se réaliser que s’il existe une réelle volonté de la part des journalistes ou une demande populaire à laquelle répondraient nos élus. En attendant, comme nous le verrons plus loin, nous pouvons très bien mener des démarches volontaires, sur le principe des chartes de qualité ou de la certification environnementale.
13 Conseil économique et social, juin 2005.

Palavras-chave

meios de comunicação, ética dos meios de comunicação, cidadania, democracia

Notas

L’ouvrage « L’information responsable »

Jean-Luc MARTIN-LAGARDETTE. L’Information responsable : un défi démocratique. Paris : ECLM (Editions Charles Léopold Mayer), 2006. 282 p. ISBN 2-84377-124-2. 18€

Téléchargement du livre sur le site des ECLM

 

Biographie de l’auteur

Jean-Luc Martin-Lagardette est journaliste indépendant, professeur de journalisme et auteur de plusieurs ouvrages sur le journalisme et l’environnement.

FPH (Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme) - 38 rue Saint-Sabin, 75011 Paris, FRANCE - Tél. 33 (0)1 43 14 75 75 - Fax 33 (0)1 43 14 75 99 - Franca - www.fph.ch - paris (@) fph.fr

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