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Inde : l’accès à la terre dans une société très inégalitaire

300 millions de paysans sans terre suite à de multiples discriminations

Loïc GÉRARD

12 / 2007

Trois cents millions de paysans indiens sont privés d’accès à la terre suite à de multiples discriminations, ne bénéficiant pas du développement économique rapide de leur pays. Au début des années 1990, l’Inde s’est progressivement convertie au libéralisme économique, l’afflux des investissements étrangers, la compétitivité retrouvée du secteur industriel, le développement du commerce extérieur puis du marché intérieur entraînant un véritable bond du Produit intérieur brut (PIB). En 2006, la croissance annuelle du PIB s’élevait à 7,7 % et les dirigeants tablaient sur un taux de 10 % pour les années suivantes. Les classes moyennes et supérieures sont les seules à avoir vraiment bénéficié de cette prospérité, la fraction la plus pauvre de la population n’en tirant pratiquement aucun profit. Chacun des 53 000 milliardaires indiens possède au minimum 200 000 fois le revenu moyen de 5 000 roupies (95 euros) par mois. Et encore, un tel salaire reste inaccessible pour une grande majorité d’Indiens. Le recensement de 2001 comptabilisait 260 millions d’Indiens vivant en dessous du seuil de pauvreté. De nombreuses publications s’accordent sur le fait qu’environ 400 millions d’Indiens ne disposent pas d’un dollar (65 roupies) par jour pour vivre.

Des discriminations économiques et écologiques

Alors que l’Inde ne parvient pas à répartir ses richesses, la fracture sociale n’a jamais été si importante. La malnutrition et l’insalubrité sévissent et dans les mégapoles, les bidonvilles poursuivent leur développement anarchique. Dans les campagnes où vivent encore 800 millions d’Indiens, la discrimination économique empêche la majorité des paysans d’être propriétaires des terres qu’ils cultivent. Les paysans sans terre sont environ 300 millions – soit pratiquement 3 Indiens sur 10 – chiffre en augmentation de 2 millions chaque année. En janvier 2006, au Forum économique mondial de Davos, le Premier ministre Manmohan Singh, conformément aux recommandations de grands patrons d’industrie, a déclaré que la priorité pour son pays était l’accroissement des richesses et que le problème de la réduction de la pauvreté serait réglé après… La lutte contre la pauvreté qui occupait une place de choix dans tous les programmes gouvernementaux depuis l’Indépendance (1947) est désormais considérée comme secondaire, devant résulter de l’enrichissement d’une petite fraction de la population.

Les investissements publics en milieu rural sont à la baisse. Alors qu’en 2006, l’agriculture représentait 20 % du PIB – contre 26 % pour l’industrie – et qu’elle employait directement ou indirectement 65 % des Indiens, à peine 1,3 % des investissements ont été réalisés cette même année dans les campagnes. Alors que, presque partout, les populations rurales souffrent du manque d’eau, les aménagements se font toujours attendre. Certains Etats ont connus leurs pires sécheresses depuis 40 ans, tandis que d’autres, comme l’Etat du Bihar, étaient confrontés à de graves inondations. Ce délaissement entraîne un fort exode rural vers les villes, une situation écologique toujours plus dégradée et des difficultés de subsistance dans les villages. Comme le déclare G. Bhatia dans l’hebdomadaire indépendant Tehelka, « on trouve aujourd’hui de l’eau en bouteilles, de la soupe et des nouilles lyophilisées dans chaque village, mais quel est l’intérêt quand on n’a pas de travail et que le puits est asséché ? » (1). Seules décisions d’envergure des gouvernements et de l’État central indien : répondre favorablement aux Institutions financières internationales qui préconisent de réaliser des projets pharaoniques comme l’installation de grands barrages, de mines, d’usines ou de parcs animaliers, mais aussi de redistribuer des terres publiques à de très grandes entreprises agro-alimentaires comme vient de le faire l’État du Maharastra. Cette politique entraîne le déplacement massif des habitants les plus vulnérables : adivasis (arborigènes) et paysans sans terre incapables de faire valoir leurs droits car ils ne possèdent aucun titre de propriété.

Des discriminations dans l’application du droit

L’Inde est le pays démocratique le plus peuplé de notre planète et certains droits reconnus dans la constitution indienne n’ont rien à envier à ceux accordés par les États les plus progressistes. Malheureusement, ces droits sont peu ou pas appliqués. Seulement 10 % de la main d’oeuvre jouit d’un statut social et bénéficie des garanties très protectrices du droit du travail. Les centaines de millions de travailleurs du secteur informel n’ont ni reconnaissance légale, ni protection sociale, ni même – à l’exception de quelques secteurs – la possibilité de se syndiquer. Le droit à la terre est une autre illustration de ces droits restés en grande partie lettre morte. La réforme agraire, pourtant plusieurs fois promise et initiée par le gouvernement fédéral, n’a jamais été véritablement mise en oeuvre. La Commission nationale sur le travail rural estime que seulement 2 % des terres qui devaient l’être ont finalement été redistribuées depuis 1947. Et quand il y a eu redistribution de terres, les effets n’ont pas été ceux que l’on aurait pu escompter.

« Quelques États indiens ont entrepris une réforme agraire, mais elle n’a pas bénéficié aux plus pauvres. La terre n’a pas été redistribuée à ceux qui la travaillent mais à des personnes qui font travailler des paysans sur leurs terres. Par exemple, au Kérala, ce sont les classes moyennes qui ont bénéficié des terres redistribuées et non les plus déshérités. Au Bengale, État dirigé par des communistes, la réforme agraire a octroyé le droit de cultiver, mais pas le droit de propriété, ce qui rend impossible de céder sa terre à quelqu’un d’autre. Cette situation crée une double subordination pour les paysans. Ils dépendent du bon vouloir du propriétaire qui peut à tout moment les chasser de ses terres et ils sont globalement les « obligés » du Parti Communiste car un changement de parti au pouvoir pourrait leur faire perdre ce droit de cultiver qui est vital pour eux. Le plus extraordinaire est que les propriétaires des terres sont, eux aussi, redevables au Parti Communiste qui leur permet de conserver leurs terres ! »

Extrait d’un entretien avec Rajagopal P.V., président du mouvement Ekta Parishad, Rennes, septembre 2005.

Des discriminations liées au système des castes

Quatre Indiens sur cinq sont hindouistes, religion qui repose sur l’existence de castes. Dans son article 15, la Constitution de 1950 interdit toute discrimination basée sur la religion. Pourtant, le système des castes influence toujours considérablement les rapports sociaux au sein de la société indienne et, de ce fait, continue à jouer un rôle important dans les questions d’accès à la terre. La société hindoue est ainsi divisée en quatre ordres principaux : les Brahmanes (prêtres), les Kshatriyas (guerriers), les Vaishyas (commerçants) et les Shudras (serviteurs). Chaque caste comprend elle-même des milliers de jatis (4635 au total), qui font souvent office de noms de famille et correspondent à des degrés de pureté différents. Il y a aussi les intouchables ou « hors castes », qui occupent le plus bas échelon du système. Autrefois désignés sous le terme d’Achoot (« impurs »), ils sont aujourd’hui appelés Dalits (« opprimés »). Comme il est impossible de se marier hors de sa jati, le système est figé. On naît et on meurt de la même caste, l’essentiel des solidarités se déroulent à l’intérieur de sa caste.

« Il faut bien comprendre que l’Inde est toujours un pays féodal. Dans chaque village, vous avez des forts et des faibles, des personnes de hautes et de basses castes, certaines qui ont du pouvoir, des armes et d’autres qui n’ont que leur pauvreté et qui cultivent la terre. Les autorités, d’une façon générale, soutiennent les riches qui car ils ont du pouvoir. Ceux-ci peuvent alléguer qu’ils possèdent une terre où l’occuper n’importe où n’importe quand, par la force ou la corruption. Aujourd’hui, la situation foncière est dominée par l’existence d’une multitude de conflits qui presque toujours se terminent devant la justice. Il y a des gens qui ont un titre de propriété qui leur a été distribué mais qui ne connaissent pas la localisation précise de cette terre. Ils vont demander : « montrez-moi où est ma terre ? ». On leur dit : « la voici, vous pouvez cultiver ». Un peu plus tard, un potentat local arrive et leur annonce : « Allez-vous en ! Ceci n’est pas votre terre, mais la mienne… ». La situation devient inextricable : un grand nombre de personnes possèdent un titre de propriété mais n’ont pas de terre et il y en a autant qui ont une terre sans le titre correspondant ».

Rajagopal P.V., président du mouvement Ekta Parishad

Les Dalits représentent 16 % de la population indienne, soit près de 200 millions. Même si l’« intouchabilité » a officiellement été abolie, les Dalits continuent à souffrir de discriminations sociales et religieuses dans leur vie de tous les jours. Ils sont cantonnés aux tâches les plus dégradantes (collecte des ordures et des excréments, ramassage des morts et des carcasses d’animaux…). L’accès aux ressources communes leur est interdit (puits, électricité, pâturages) et ils doivent souvent vivre à part dans des villages. Des mesures de discrimination positive ont contribué à l’élévation sociale et à la fierté Dalit, mais surtout dans les grandes villes. Un intouchable, Kocheril Raman Narayanan, a même été élu par un collège électoral au titre surtout honorifique de président de la République indienne de 1997 à 2002. Dans les campagnes, l’instauration de quotas dans les écoles a conduit à la scolarisation d’enfants Dalits, mais celle-ci reste encore très partielle. Alors que 64 % des Dalits sont agriculteurs, l’accès à la terre leur est très difficile, la tradition religieuse les ayant exclus de la propriété et le système colonial anglais n’y ayant rien changé, alors qu’il a donné la possibilité d’accéder à la propriété à d’autres castes privées de ce droit. Des Dalits ont récemment obtenu de petites parcelles cultivables dans certains États indiens suite à des réformes agraires, mais cela reste exceptionnel. La plupart sont aujourd’hui des ouvriers agricoles qui, du fait de leur pauvreté, sont « rattachés à vie » à un propriétaire foncier.

« Dans les campagnes, où vivent une grande majorité des Dalits, le système de castes est encore plus ancré qu’en ville. Les terres sont concentrées dans les mains de grands propriétaires : 12% des familles possèdent 60% de la terre. Les Dalits y travaillent comme ouvriers agricoles dans une grande précarité. Acculés à la misère, ils sont souvent contraints d’emprunter de l’argent aux propriétaires terriens. Ils deviennent alors des « travailleurs liés » (bounded labourers), attachés au propriétaire jusqu’au remboursement total de leur dette (somme initiale + des intérêts très élevés), c’est-à-dire le plus souvent à vie. Il y a là une forme d’esclavage, pourtant interdite par la loi. Quant à l’accès à la terre, il leur est refusé. Pourtant, un droit ancien exige que les communes attribuent des terrains aux Dalits. »

Extrait de « Dalits, l’oppression n’est pas une fatalité », Aurélia Lieberherr, Frères des hommes.

Les discriminations de genre

L’Inde est l’un des rares pays au monde où le sex ratio (rapport du nombre de garçons au nombre de filles dans une tranche d’âge) est en défaveur des femmes, avec 40 millions supplémentaires d’hommes en âge de se marier. L’explication de cette particularité tient au fait que le sexe masculin est beaucoup mieux considéré que le sexe féminin. Les filles vont moins à l’école – 2 filles sur 3 sont analphabètes contre 1 garçon sur 3 – et sont davantage privées de nourriture et de soins médicaux que les garçons. A l’âge adulte, peu d’entres elles ont accès à un travail rémunéré et, quand c’est le cas, elles n’ont pas le même salaire que les hommes. Dans toutes les situations de la vie quotidienne, les femmes subissent les abus de pouvoir de leurs collègues masculins ou de leur mari. Deux femmes sur trois âgées de 15 à 49 ans ont été victimes de violences sexuelles. Bien qu’interdite par une loi promulguée en 1961, la dot matérialise la différence entre l’homme et la femme au sein du couple. Elle repose d’une part sur des fondements religieux : dans la religion hindoue, l’homme est la représentation du divin dans la famille. Des fondements économiques d’autre part : le fils a coûté cher à ses parents. L’homme est le seul chef de famille et le seul propriétaire de la terre. En cas de décès, ce sont ses frères et ses fils qui héritent de ses biens. La femme indienne est ainsi éternellement soumise aux hommes et ne possède rien hormis ses bijoux.

Voir document associé : fiche Le combat non-violent de Ekta Parishad. Entretien avec Rajagopal P.V.

1 Cité dans le numéro hors série du Courrier international, « Inde, un autoportrait », mars-mai 2006.

Palavras-chave

acesso a terra, agricultura camponesa, mulher, camponês sans terra, reforma agrária


, Índia

dossiê

Accès à la terre : voyage au centre des impasses de la mondialisation

Fonte

Texte extrait de l’ouvrage « Accorder l’accès à la terre", CRIDEV, Frères des Hommes, PEKEA. Septembre 2007. 126 p.

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