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La tragédie de Bhopal : aucune leçon tirée

Sunita NARAIN

12 / 2009

Cela fait vingt-cinq ans que la catastrophe de Bhopal a eu lieu. Cette nuit-là, des produits chimiques se sont échappés de l’usine de Union Carbide et ont tué et mutilé des milliers de personnes pour plusieurs générations. Avons-nous tiré les leçons de cette catastrophe, avons-nous appris à gérer les accidents chimiques, à traiter les déchets industriels toxiques, à assurer les soins médicaux d’urgence, à donner des compensations financières rapidement et à établir la responsabilité des pollueurs, afin que de telles catastrophes ne se reproduisent plus ?

J’étais à Bhopal quand la ville a commémoré l’anniversaire de cette nuit. Une exposition organisée par des militants de Bhopal en a fait revivre l’horreur : les gens tombés comme des mouches, tués instantanément, alors que l’air saturé de gaz les atteignait, des milliers d’animaux pourrissant et gisant sur les routes, les hôpitaux incapables de gérer les victimes et personne (surtout pas l’entreprise) pour expliquer les symptômes ou les traitements à prodiguer. Le pire est que plusieurs parties de la ville vivent toujours dans l’horreur. Les militants affirment que les enfants nés des personnes victimes du gaz sont généralement difformes ou malades. Pire encore, un stock de produits chimiques toxiques est toujours là, s’infiltrant et contaminant les nappes phréatiques des victimes, anciennes et nouvelles, de cette catastrophe industrielle.

Comment tout cela est-il possible ? Le fait est que nous refusons d’utiliser la science publique et fiable pour guider la politique. Après la catastrophe, le Conseil Indien de Recherche Médicale (Indian Council of Medical Research, ICMR) a été chargé d’étudier les impacts à court et long terme des produits chimiques. Mais, au début des années 90, le gouvernement a demandé à cette institution d’interrompre ses recherches, sans fournir d’explications. En conséquence, aucune recherche épidémiologique sur les victimes, anciennes ou actuelles, n’est disponible. Les groupes de la société civile travaillant avec les victimes ont publié des études qui montrent une incidence accrue des difformités mentales et physiques chez les populations affectées par le gaz. Mais en l’absence de recherche empirique par une institution gouvernementale, le Gouvernement peut nier ce problème. Il dit que c’est la pauvreté. Rien d’inhabituel. Criminel et irresponsable.

Nous tombons à nouveau sur ce jeu de déni dans une question connexe – le traitement des déchets dans l’enceinte de l’usine Union Carbide. Depuis des années maintenant, les groupes travaillant à Bhopal ont fait connaître leur inquiétude concernant les déchets toxiques toujours présents dans l’usine. Une plainte a été déposée à la cour de Jabalpur de la Haute Cour du Madhya Pradesh pour pousser le Gouvernement à retirer les déchets et rapidement. Depuis deux ans, le Gouvernement central et celui de l’État fédéré ont tenté sans succès de gérer cette question des déchets : doivent-ils être enterrés ou incinérés ? Mais alors même qu’il s’emmêle dans ce problème et que le stock de 30 tonnes de déchets attend dans l’usine désaffectée, le gouvernement change de cap. Il affirme désormais que les déchets ne sont pas toxiques, que les nappes phréatiques autour de l’usine ne sont pas contaminées. Pourquoi ? Parce que ses institutions scientifiques le disent. Mes collègues du Centre for Science and Environment ont décidé d’enquêter.

Mes collègues ont d’abord enquêté sur ce que l’usine fabriquait et les procédés qu’elle utilisait. Cela leur a donné des indices pour savoir ce qu’il fallait contrôler au laboratoire. En rassemblant des informations éparpillées, ils ont appris que Union Carbide fabriquait trois sortes de pesticides : carbaryl (commercialisé sous le nom de Sevin), aldicarb (Temik) et une combinaison de carbaryl et hexachlorocyclohexane isomère Gamma (g-HCH) vendu sous le nom de Sevidol. L’entreprise achetait du HCH et après extraction du g-HCH déversait dans le sol les déchets avec les isomères restant et leur toxicité à long terme. Ils ont aussi examiné les dérivés des produits chimiques : les solvants utilisés, comme le chlorobenzène, et les métaux lourds comme le mercure.

Munis de ces informations, nous avons demandé l’autorisation de collecter des échantillons. Nous l’avons obtenue facilement du Ministère de l’Union de l’Environnement et les fonctionnaires de l’agence de contrôle de la pollution ont accompagné mes collègues à l’usine. Chandra Bhushan qui a dirigé cette recherche dit qu’il a été choqué de voir des traces de mercure dans certaines parties de l’usine. Il est ensuite allé dans différents sites autour de l’usine, collectant des échantillons d’eaux souterraines afin de savoir si la pollution s’était propagée.

Les résultats ont été saisissants. Nous avons trouvé les mêmes produits chimiques, à des taux inacceptables, dans le sol et dans l’eau de l’usine. Nous les avons trouvés à nouveau dans les eaux souterraines à près de 3 km de la ville, à des taux plus bas mais indiquant une toxicité chronique, étant donné qu’une exposition à long terme conduit à des pathologies mortelles, en particulier chez la population pauvre et déjà immuno-déficiente des victimes du gaz. La tâche de réhabilitation est énorme, car non seulement les déchets mais aussi les sols et l’eau doivent être nettoyés.

Mais la science est malléable. Les études utilisées par le gouvernement d’ État affirment qu’il n’y a pas de risque, ou bien qu’il est négligeable ; elles ne traitent que de la toxicité sévère, c’est-à-dire de la quantité qu’un être humain doit ingurgiter pour mourir. De plus, ces études, qui ne montrent aucune contamination des eaux souterraines, n’ont effectué aucun contrôle des pesticides produits par l’usine. Ils n’ont rien trouvé tout simplement parce qu’ils n’ont pas contrôlé ce qui aurait dû être trouvé. La confusion et le déni sont au cœur de ce jeu.

Les victimes seront donc oubliées jusqu’au prochain anniversaire.

Palavras-chave

indústria química, lixo industrial, poluição, saúde, governança


, Índia

Notas

Lire l’original en anglais : Not learning from Bhopal

Traduction : Valérie FERNANDO

Fonte

Artigos e dossiês

Sunita NARAIN, ‘Not learning from Bhopal’, in Down To Earth, 31 Déc. 2009

CSE (Centre for Science and Environment) - 41, Tughlakabad Institutional Area, New Delhi, 110062 - INDIA - Tel. : (+91) (011) 29955124 - Índia - www.cseindia.org - cse (@) cseindia.org

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