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Comment définir une ville durable ?

Dans le creuset des villes, s’inventent des tentatives, des expériences, des mobilisations associatives, des mises en réseau qui tentent de forger de nouvelles réponses aux problèmes du XXI° siècle.

Cyria Emelianoff

1999

Le projet de ville durable ne peut se comprendre en dehors de son contexte, des mutations qui affectent l’habitat humain. Cet habitat devient urbain à une échelle et à un rythme sans précédent dans l’histoire. Simultanément, la ville s’étale et se disperse, des morphologies d’archipel se dessinent, la matrice de sens et de solidarité collective tend à se diluer, sauf en cas d’agression majeure. L’affirmation actuelle des pouvoirs urbains ne semble pas générer de projet politique dans cet intervalle ouvert, le plus souvent. La concurrence économique crée les conditions d’un aveuglement collectif, en faisant passer au second rang les risques, les dégradations écologiques, ou encore le creusement des inégalités, des détresses. Pourtant, dans le creuset des villes, s’inventent des tentatives, des expériences, des mobilisations associatives, des mises en réseau qui tentent de forger de nouvelles réponses aux problèmes du XXI° siècle.

« Le durable » est au temps ce que le « global » est à l’espace

Face aux tendances actuelles de l’urbanisation, on peut définir la ville durable en trois temps :

  • 1. C’est une ville capable de se maintenir dans le temps, de garder une identité, un sens collectif, un dynamisme à long terme. Pour se projeter dans l’avenir, la ville a besoin de tout son passé, d’une distance critique par rapport au présent, de sa mémoire, de son patrimoine, de sa diversité culturelle intrinsèque et de projets multidimensionnels. Le mot durable rappelle en premier lieu la ténacité des villes, des villes phénix que les destructions ne parviennent pas à détruire et qui renaissent de leurs cendres, telle Gdansk. Il renvoie à la pérennité des villes dans leurs diverses expressions culturelles, à leurs capacités de résistance et d’inventivité, de renouvellement, en un mot.

« Durable » est au temps ce que « global » est à l’espace : un élargissement de notre champ de vision, au-delà du court terme. Levons ici une ambiguïté : la durée ne signifie en aucun cas l’immobilisme. La durée des villes est une durée créatrice, bergsonienne . Elle fait référence au caractère fortement contextualisé des villes, toujours impliquées dans une histoire et une géographie, indissociablement urbaine et terrestre, humaine et écologique. Les longues séries pavillonnaires monocordes, l’urbanisme commercial et le « modèle de la rocade », selon l’expression de Jean-Paul Lacaze, profilent au contraire une ville qui maximise les consommations, aux antipodes d’un développement multidimensionnel.

  • 2. La ville durable doit pouvoir offrir une qualité de vie en tous lieux et des différentiels moins forts entre les cadres de vie. Cette exigence appelle une mixité sociale et fonctionnelle, ou, à défaut, des stratégies pour favoriser l’expression de nouvelles proximités : commerces et services de proximité, nature et loisirs de proximité, démocratie de proximité, proximités aussi entre les différentes cultures de la ville, entre les groupes sociaux, entre les générations. Cela oblige à penser différemment des catégories longtemps étanches, des couples apparemment irréconciliables, pour ouvrir la voie par exemple aux parcs naturels urbains, à la ruralité en ville, aux schémas piétonniers d’agglomération, à l’économie solidaire et aux finances éthiques, ou plus simplement à la démocratie locale et globale à la fois.

La proximité doit s’organiser en réponse aux coûts et aux risques lourds de l’hypermobilité, une mobilité qui est en partie contrainte. Coûts énergétique et géopolitique lié aux intérêts pétroliers, coûts climatiques reportés sur les décennies à venir et sur les pays les moins à même de faire face aux transformations et aux risques, coûts de santé publique avec une prévalence en forte hausse des maladies respiratoires, coûts économiques de congestion et d’extension des réseaux urbains, coûts sociaux pour les expatriés des troisièmes couronnes appauvris par leur budget transport, ou encore pour les populations soumises aux plus fortes nuisances automobiles. Face à ces coûts, longtemps sous-estimés, la ville durable devient une ville de relative compacité, qui peut s’accommoder de différentes morphologies urbaines, à condition que l’on parvienne à renouveler les modes de transport, leur pluralité, ainsi que les logiques de localisation qui sous-tendent l’aménagement, pour les combiner dans des configurations originales.

  • 3. Une ville durable est, en conséquence, une ville qui se réapproprie un projet politique et collectif, renvoyant à grands traits au programme défini par l’Agenda pour le XXI° siècle (Agenda 21) adopté lors de la Conférence de Rio, il y a dix ans. Les villes qui entrent en résonance avec ces préoccupations définissent, à l’échelon local, quelles formes donner à la recherche d’un développement équitable sur un plan écologique et social, vis-à-vis de leur territoire et de l’ensemble de la planète, et elles reformulent par là même un sens collectif. Il s’agit à la fois de réduire les inégalités sociales et les dégradations écologiques, en considérant les impacts du développement urbain à différentes échelles. La « durabilité » dont l’horizon serait seulement local n’a pas de sens en termes de développement durable, caractérisé par le souci des générations présentes et futures, du local et du global. Il s’agit en somme de trouver des solutions acceptables pour les deux parties, ou encore, de ne pas exporter les coûts du développement urbain sur d’autres populations, générations, ou sur les écosystèmes.

Qualité de vie et égalité

Entre une définition minimale, « la ville qui dure », et une définition programmatique, « la ville qui élabore un Agenda 21 local », une troisième, médiane et pratique se réfère à la qualité de vie en milieu urbain. La disparité des revenus, l’accessibilité variable des services urbains, l’inégalité des chances en matière d’éducation n’épuisent pas le thème de l’inégalité urbaine, qui s’exprime aussi dans l’éventail à angle plat des qualités de vie. L’inégalité écologique est largement distribuée, redoublant souvent l’inégalité sociale, tout en constituant l’un des défis les plus difficiles à relever en raison de ses composantes économiques, culturelles, sociales, psychologiques, écologiques. L’environnement urbain, c’est aussi des climats, des ambiances, des aménités. Cette inégalité se mesure, ou ne se mesure pas, d’un côté en termes d’exposition aux risques mineurs ou majeurs, d’espérance de vie, de pathologies ou de vulnérabilités, de l’autre, par des formes de bonheur visuel, sensoriel, tacite, silencieux ou rieur.

Les villes, les métropoles surtout, qui arrivent en tête de la performance économique et technologique, n’offrent pas les mêmes atouts au regard de la qualité de vie. C’est un des enseignements du phénomène de périurbanisation, marqué à la fois par un attachement à la ville, à sa sphère d’influence économique et culturelle, et par un détachement de son environnement urbain, une démarcation en termes de critères d’habitation et de modes de vie. La recherche d’un espace à moindre coût, première, ne peut oblitérer le désir, second, d’un environnement « renaturé », offrant quelque calme, air, espace d’épanchement pour les enfants… La ville attire, mais ne peut ignorer la fuite dont elle est simultanément l’objet. Pour endiguer quelque peu cette dispersion, sans doute est-il nécessaire d’opérer un retour critique sur la qualité de l’habitat et de l’environnement urbains. La question de la qualité de vie et de ses disparités peut être posée à toutes les échelles : quartier, commune, agglomération, pays, continent, planète, sans oblitérer les composantes culturelles de l’appréhension de l’espace.

Le développement durable urbain apporte quelques éléments nouveaux de réflexion (changement climatique, risques émergents, inégalités écologiques, …), mais il introduit surtout, pour les villes qui se prêtent à cette démarche, un questionnement d’ensemble. L’intégration de ces préoccupations nouvelles ne peut être réalisée en effet de manière compartimentée. D’autre part, le développement durable n’est pas un projet qui se greffe sur une politique. Il se définit au contraire en fonction des situations existantes, des besoins, de la volonté des acteurs locaux et des priorités qu’ils énoncent, ce qui demande de reconsidérer un ensemble de questions urbaines.

Une deuxième méprise possible serait de ne considérer, dans la ville durable, que ses capacités à se maintenir, évoluer, s’adapter. La ville durable, pour reprendre les termes du rapport Brundtland, est aussi une ville qui répond aux besoins du présent. Or, un panorama rapide de l’urbanisation dans le monde, ou même dans une quelconque agglomération, fait état sans ambiguïté de situations critiques pour un certain nombre d’habitants. La propension à ne pas considérer les dimensions sociales du développement urbain durable génère une vision tronquée de la ville durable, qui peut amener des dérives vers une écologie réduite à un nouveau standard ou standing de vie.

La ville durable est un projet, un horizon, en aucun cas une réalité : on peut tendre vers cet horizon, comme l’explique le rapport du groupe d’experts européens conduisant la campagne des villes durables (lancée à Aalborg), mais non réaliser in extenso un développement durable. Une ville durable est simplement une ville qui initie une ou plusieurs dynamiques de développement durable. Elle est d’abord un cadre où prennent sens des projets collectifs. Cette démarche pose des questions politiques et éthiques, relatives au développement humain planétaire et à l’héritage qui sera légué aux générations futures.

dossiê

Développement durable, paradigme du développement urbain?

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Cyria Emelianoff a soutenu en 1999 une thèse de troisième cycle de géographie à l’université d’Orléans : « La ville durable, un modèle émergeant » (Porto, Srasbourg, Gdansk)

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