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L’héritage de Bhopal : repenser la responsabilité des entreprises

Sunita NARAIN

06 / 2010

Plusieurs jours après que le Président Barack Obama a violemment attaqué la compagnie pétrolière British Petroleum (BP), affirmant qu’il ne la laisserait pas spolier la population suite à la marée noire, c’est précisément ce qu’a fait le tribunal de Bhopal avec les victimes de la plus grande catastrophe industrielle mondiale.

Après 25 longues années, le tribunal a prononcé son jugement dans l’affaire pénale contre Union Carbide et sa filiale indienne, sur les charges de négligence et de responsabilité. Il reconnaît certes coupables sept cadres d’Union Carbide India, mais pour des infractions mineures de blessures involontaires – équivalant à un accident de la route – et acquitte les principaux accusés de l’entreprise parente américaine.

Le jugement, universellement qualifié de parodie de justice, a pourtant été bien accueilli par le Gouvernement des États-Unis qui considère que ce verdict met un terme à toutes les plaintes déposées contre sa multinationale Union Carbide, une victime « malchanceuse ».

Il ne fait aucun doute que dans cette affaire les victimes ont été totalement abandonnées par l’État indien, au niveau du Gouvernement comme de la Justice. Il est hautement significatif que le Ministre de la Justice de l’Union indienne l’ait admis en constatant avec tristesse que « la Justice a été enterrée dans l’affaire de Bhopal ».

Il est communément admis que la Cour Suprême a tout d’abord commis une grave erreur en 1989 en fixant le montant total des dommages, au civil et au pénal, à la somme dérisoire de 470 millions de dollars (elle a réouvert l’affaire pénale en 1991).

Puis, en 1996, la Cour Suprême a décidé de ne pas retenir les charges pénales correspondant à la section 304b (culpabilité d’homicide entraînant une punition maximale de 10 ans d’emprisonnement) pour ne conserver que celles moins graves de la section 304a, négligence ayant entraîné la mort, correspondant notamment aux accidents de la circulation et limitant les dommages et intérêts ainsi que la durée d’emprisonnement.

Dans toute cette histoire, la Cour a été étrangement silencieuse sur la gestion de l’aide apportée aux victimes et sur le manque de recherche médicale et de traitements.

La Cour Suprême, connue pour prendre le parti des victimes environnementales, a été également hésitante sur ce qu’il convient de faire du site abandonné de l’usine, rempli des déchets contaminants toxiques que l’entreprise a laissés derrière elle. Le tribunal n’a fait qu’aggraver et sceller ces erreurs avec un jugement qui blesse encore plus les victimes (si cela est possible) que la nuit mortelle et terrible où la ville a vu des milliers de morts.

Bhopal, c’est une honte. Bhopal, c’est aussi ce que ce pays, en fait tous les pays, doivent faire concernant la responsabilité des entreprises face à l’imprévisible. En 1984, lorsque le gaz mortel de l’usine de pesticides a atteint Bhopal, tuant et mutilant des milliers d’habitants, personne n’avait vu ou imaginé une telle catastrophe. La question de la responsabilité a été étouffée, en grande partie parce qu’il s’agissait d’une entreprise américaine. Personne ne voulait s’en prendre à ce poumon industriel, même en ces temps de relative innocence.

Le montant fixé pour réparer la catastrophe, qui n’est pas terminée puisque des vies continuent à s’éteindre et les maladies à ne pas être soignées, est inférieur à ce qui a été décidé dans la catastrophe de l’Exxon Valdex qui a eu lieu quelques années plus tard en 1989. Lors de cette marée noire qui a touché les côtes de l’Alaska aux États-Unis, le prix payé par l’environnement naturel, la flore et la faune, a été évalué au double de ce qui est payé pour les milliers de vies humaines perdues ou mutilées à Bhopal, soit un milliard de dollars US d’amendes et de dommages économiques.

Mais les intérêts pétroliers américains ne sont pas du menu fretin. En 1990, après Exxon Valdez, la loi sur la pollution pétrolière est adoptée aux États-Unis. Elle plafonne la responsabilité des dommages économiques causés par les marées noires à seulement 75 millions de dollars. Aujourd’hui cette limite est devenue un point de contentieux dans le pays, alors que les États-Unis découvrent qu’ils n’ont jamais anticipé une catastrophe telle que celle de BP, à savoir une fuite émanant d’un puits de pétrole situé si profond dans l’océan qu’aucune intervention humaine n’est possible.

Aujourd’hui, le Sénat américain veut annuler ce plafonnement. Sinon, il lui faudra prouver que la fuite de BP était le résultat d’une négligence grave et délibérée et/ou de la non-conformité aux règlementations. Le Sénat sait que cela sera difficile à établir compte tenu des procédures judiciaires du pays. Le Président des États-Unis affirme également qu’il ne s’agit pas de non-conformité aux réglementations mais que ces dernières ont été assouplies et diluées en raison de la « relation particulière qui existe entre les groupes pétroliers et le Gouvernement ».

C’est donc le bon moment pour demander au Gouvernement indien de repenser la loi sur la responsabilité civile pour les accidents nucléaires, qu’il veut présenter au Parlement. Cette loi limite la responsabilité de l’opérateur à 5 milliards de roupies (100 millions de dollars) par accident, avec des dommages supplémentaires d’environ 23 milliards de roupies (480 millions de dollars) à la charge du Gouvernement. Ce montant est encore inférieur à ce qui a été payé dans le cas de Bhopal, un montant déjà ridiculement bas ; cette somme est une plaisanterie quand il s’agit d’un accident nucléaire.

Les entreprises américaines ayant un intérêt dans le nucléaire veulent à tout prix que l’Inde adopte cette loi. Cela limitera leur responsabilité et réduira ainsi leur couverture assurantielle et leurs coûts. Ce n’est donc pas une surprise si la réponse officielle des États-Unis au jugement de Bhopal mentionne cette loi et exprime son souhait que le Gouvernement indien ne fasse pas le lien entre les deux.

Mais le lien existe bel et bien. La question de la responsabilité doit être établie et elle doit l’être sur la base des coûts totaux. Ce n’est qu’alors que nous pourrons croire ces entreprises qui veulent nous vendre des technologies futures et à haut risque. Après la honte de Bhopal, nous ne pouvons rien accepter de moins.

Palavras-chave

responsabilidade social das empresas, catástrofe ecológica, lixo industrial, indústria química, injustiça


, Índia, Estados Unidos da América

Notas

Lire l’article original en anglais : The Bhopal legacy: reworking corporate liability

Traduction : Valérie FERNANDO

Lire également: La tragédie de Bhopal : aucune leçon tirée

Fonte

Artigos e dossiês

Sunita NARAIN, « The Bhopal legacy: reworking corporate liability », in Down To Earth, 30 Juin 2010

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