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La lutte contre le barrage de Mapithel au Manipur en Inde

Vasundhara JAIRATH

07 / 2011

Le barrage de Mapithel se situe sur le fleuve Thoubal, dans le district d’Ukhrul au Manipur, un petit État du nord-est de l’Inde. Cet article, qui relate la lutte contre le barrage, est basé sur une visite du site de ce barrage et des villages alentours en mars 2010. Pendant mon séjour, j’ai rencontré des chefs de village, à la tête de conseils locaux, mais aussi des anciens, des jeunes, des hommes et des femmes des villages en question ainsi que le directeur de Progressive Construction Limited, l’entreprise qui a obtenu le contrat de construction du barrage.

Le projet a été engagé par le Département chargé de l’irrigation et du contrôle des inondations (Irrigation and Flood Control Department, IFCD) au sein du gouvernement du Manipur avec l’aide du gouvernement central. La construction a débuté en 1989 et a soulevé de fortes protestations de la part de ceux concernés par le barrage. Il existe plusieurs raisons à leur mécontentement. Au début des années 70, alors que le gouvernement avait informé les habitants des villages locaux du projet et des bienfaits que cela représenterait pour eux, nulle mention n’avait été faite de la construction réelle de ce barrage ! Aucun consentement préalable n’a été recherché auprès de ceux qui allaient devoir être déplacés par le barrage, et aucune procédure engagée sur le fondement de la loi pour l’acquisition de terrain en Inde (Land Acquisition Act) n’a été suivie d’effet. En ce qui concerne les études du gouvernement, préalables au lancement des travaux, elles donnèrent la priorité au lancement du projet ; des équipes commencèrent à tester les sols dans les champs sans la permission des propriétaires terriens, à qui il ne restait plus qu’à être chassés. Ainsi, l’étude complète nécessaire à une bonne élaboration du projet n’eut jamais lieu.

Après l’approbation du projet en 1980 incluant bien la construction d’un méga barrage qui submergerait des villages entiers, la contestation anti-barrage commença à enfler. En 1990, l’Organisation des Villages Concernés par le Barrage de Mapithel (Mapithel Dam Affected Villages Organisation, MDAVO) fut créée, en grande partie par les villages qui appartenaient à la zone concernée par l’immersion. Les villages en aval dans la vallée, qui seraient concernés par le changement de débit du fleuve, n’étaient pas encore entrés en lutte. A cette époque, la MDAVO elle-même n’avait pas encore le soutien de tous villages qui seraient bientôt submergés. Néanmoins, en 2008, ces villages formèrent l’Organisation des Collines et Vallées (ching-tam) concernées par le Barrage de Mapithel (Mapithel Dam Affected Ching-Tam Organisation, MDACTO) regroupant ainsi même ceux qui, au début, avaient coopéré avec les autorités. L’opposition ultime de ces villages après 28 années d’assentiment met en évidence l’échec de l’État à répondre aux préoccupations des communautés concernées.

Pendant plus de 50 ans les collines de Manipur ont été soumises à la loi de 1958 sur les forces armées (pouvoirs spéciaux) alors que la vallée n’y a été assujettie que durant une vingtaine d’années. Cette loi draconienne a été imposée dans les régions considérées comme « troublées » par l’État, incluant ainsi la plus grande partie du nord-est de l’Inde ainsi que le Jammu et Cachemire. Elle permet aux soldats de procéder à des arrestations sans preuve et d’ouvrir le feu sur ceux qui pourraient contrevenir à la loi « y compris si cela entraîne la mort ». Elle accorde également l’immunité juridique aux soldats. Ainsi, ces régions ont rapidement été envahies par des forces armées cultivant l’art de la gâchette. Le site du barrage et la région concernée par l’immersion étaient, à l’origine, habités par des gens appartenant aux tribus Kuki et Naga. Quand les contestations face au barrage débutèrent dans les années 80, il existait déjà des conflits importants entre l’État et les militants armés des communautés Kuki et Naga. L’atmosphère était tendue en raison des lourdes opérations anti-insurrectionnelles menées par l’État. Depuis que les protestations anti-barrage se sont fait entendre, les forces armées ont régulièrement été utiliser pour réprimer y compris les méthodes de résistance non-violentes et constitutionnelles adoptées par le mouvement de lutte. Le contexte de cette résistance organisée était plutôt celui des moyens anti-constitutionnels déployés par le gouvernement du Manipur afin de lancer ce projet sans en avoir informé ceux pour qui les conséquences seraient les plus importantes.

Au cours des années 80, le mouvement de résistance se développa. Lors de l’une des principales manifestations, vers la fin de la décennie, des camions et des machines appartenant à l’IFCD furent brûlées en opposition à la mise en Ĺ“uvre forcée du projet. Un grand nombre de villageois furent arrêtés et plusieurs d’entre eux furent battus pendant leur détention alors que d’autres furent soumis à des électrocutions, un moyen de torture qui est devenu monnaie courante au Manipur. En dépit des brutalités exercées par l’État, certains sites, comme celui de Chadong, le plus grand village à être concerné par l’inondation, ont clairement fait comprendre aux autorités du brarrage que, désormais, le passage leur serait tout simplement interdit sans l’accord des chefs de village.

La résistance sans faille des villageois força le gouvernement du Manipur à débuter des négociations en 1993. Lors de la réunion du 19 juin 1993, un protocole d’accord fut signé entre les villages concernés, représentés par la MDAVO et le gouvernement du Manipur. Selon ce protocole, le processus de réhabilitation et de réimplantation (R&R) devait avoir pris fin dans les deux ans après sa signature. Cependant, lors de mon séjour en 2010, peu de choses avaient évolué.

Au même moment, plusieurs des villages en aval s’étaient unis pour former le Comité de la Région de Construction du Barrage de Mapithel, étendant leur coopération avec les autorités en charge du projet. Des villages comme celui de Louphong, qui se trouve aujourd’hui tout près du site du barrage, acceptèrent la compensation offerte par l’État et fut déplacé vers son emplacement actuel en 1989-1990. La compensation offerte par l’État était financière, composée de sept versements destinés à être répartis sur 6-7 ans. Cependant, une telle ‘compensation’ n’a que peu de valeur puisque aucun terrain ne peut être acquis sans le versement d’un montant forfaitaire. Qui plus est, le montant reçu par les familles qui ne possédait pas de terrain individuel ne s’élevait qu’à 30.000 roupies (675$), puisqu’il s’agissait seulement d’une part du montant reçu pour les terres communales ! Les maisons et les bâtiments publics comme l’église étaient supposés être reconstruits par l’État mais finalement, ce furent les villageois qui s’en chargèrent. Maintenant membres de la MDACTO, ces villages, ont pris conscience que les promesses faites par l’État étaient fausses ; la qualité de vie s’est dégradée suite aux effets combinés du déplacement, de la construction du barrage et de la militarisation de la région. De plus, la nature de cette compensation financière était une mascarade. Finalement, après que le gouvernement ait fait trainer le processus du versement des compensations pendant 20 ans, la MDACTO et la MDAVO se’ sont unies pour demander la révision de la politique de R&R.

Alors que le travail de R&R est au point mort, les travaux de construction effectif sont sporadiques. L’atmosphère sur le site hautement militarisé est tendue. En 1997, un accord de cessez-le-feu a été signé entre le gouvernement indien et les militants armés de la tribu Naga et, en 2008, une suspension de commandement a été signée avec les groupes armés de la tribu Kuki. Malgré ces accords, la présence militaire de l’État est intense autour du site du projet, créant une surveillance de chaque instant et une restriction des allées et venues. Bien que la construction du barrage ait commencé en 1989, elle s’est rapidement interrompue en raison des agitations. Elle a repris en 2005 pour s’arrêter de nouveau. En 2007, les fondations du barrage ont été construites puis les travaux ont de nouveau été suspendus. Des officiels de l’entreprise de construction déclarèrent que cinq de leurs ouvriers avaient été tués par des groupes armés inconnus en 2008. A la suite de cette recrudescence de décès (apparemment d’autres incidents similaires avaient déjà été rapportés par le passé), une nouvelle vague de déploiement militaire fut organisée. Actuellement, le site du barrage et la région alentour ont des forces armées à chaque détour et sommet des collines, qui repèrent rapidement les personnes extérieures et suivent le moindre de leur mouvement. Les forces armées déployées comprennent les Assam Rifles (AR), le Bataillon de Réserve de l’Inde (India Reserve Battalion, IRB) et la Force de Sécurité des Frontières (Border Security Force, BSF).

Pendant mon séjour dans la région, alors que je rejoignais en moto le nouveau village déplacé de Louphong, une jeep avec 7 commandos de l’IRB arriva dans le village moins d’une minute après mon arrivée. Six d’entre eux, armes à la main, sautèrent de la jeep avant même que celle-ci ne soit complètement arrêtée et se déployèrent dans le village alors que l’un d’entre eux, David, s’avança vers mon hôte afin de se renseigner sur moi. Etant donné que je venais de Delhi, j’avais obtenu une invitation pour le site du barrage et une rencontre avec Sarabjit Randhawa, directrice de Progressive Construction Limited. Les habitants n’avaient qu’un accès limité au site protégé militairement (dont j’eus droit à une visite personnalisée !) et Mme Randhawa m’informa que Honrei (mon hôte) était la première personne de Chadong qu’elle rencontrait sur le site du barrage. Son propre accès aux villages en amont est aussi limité puisqu’elle n’est pas autorisée à se déplacer sans de grandes précautions de sécurité. L’entreprise déclare qu’elle n’est pas responsable des troubles dans la région ; le problème est le conflit entre les villageois affectés et le gouvernement du Manipur. En ce qui les concerne, ils ont été mandatés par le gouvernement pour effectuer un travail et ils sont là pour le terminer. Quoiqu’il en soit, ils continuent la construction du barrage, environ 70% des travaux sont terminés, malgré des revendications sur la possession des terres alentours qui seront bientôt submergés par le réservoir.

Ironie du sort, le Ministère des Énergies Nouvelles et Renouvelables du gouvernement central a construit une micro-centrale hydroélectrique à Chadong. Celle-ci pourrait tout à fait fournir de l’électricité à la région mais elle n’a pas encore été achevée en raison de l’embarras que cela pourrait causer face aux prétentions du gouvernement du Manipur selon lequel le méga-barrage de Mapithel vise aussi à répondre aux besoins en électricité de la région. Ajoutant à l’ironie, cette centrale a été construite par le gouvernement central dans la zone d’immersion. Les habitants de la région, qui sont plongées dans les limbes depuis maintenant 31 ans, ont remis à plus tard les travaux de réparation et de développement puisqu’ils ne savent pas si le barrage anéantira leurs efforts. En 2003, cependant, dans une démarche audacieuse destinée à défier le gouvernement du Manipur, plusieurs personnes, y compris mon hôte, s’unirent afin de construire une école, l’Académie Chrétienne Unie, à l’intérieur de la zone d’immersion, dans le village de Riha. Cette école se dresse fièrement comme un symbole de la résistance des habitants de la région face à un État qui tente d’imposer par la force ce qu’il appelle le « développement ».

En 1998, une nouvelle politique de R&R fut mise en place afin d’offrir la réhabilitation qu’elles méritent aux communautés concernées mais peu de choses ont été faites. Pendant mon séjour en 2010, aucune réhabilitation n’avait été complètement achevée. En 2008, sous la pression de la MDAVO et de la MDACTO, le gouvernement du Manipur a mis en place un comité d’étude composé d’experts chargé de la réhabilitation et de la réimplantation afin de revoir, une fois encore, la politique de R&R à la lumière des dix années écoulées ! La révision à venir de la politique de R&R qui doit être approuvée par les deux parties devra être achevée un an avant que le projet ne soit finalement terminé. Alors que le projet devait avoir vu le jour en mars 2011, le Comité de révision travaillait toujours à son évaluation en avril 2011. A présent, la date avancée pour l’achèvement des travaux est mars 2012.

Le 3 novembre 2008, dans un dernier cas de violation des droits de l’homme, une manifestation de femmes a été prise d’assaut par la police. Une des femmes a été grièvement blessée et est à présent invalide à vie tandis que d’autres ont également été blessées. Les manifestantes ont été empêchées d’accéder au site du barrage alors qu’elles souhaitaient présenter aux autorités du barrage un rapport répertoriant les réclamations des personnes affectées. Voilà un exemple parmi tant d’autres du mauvais usage qui est fait de la police et des forces armées qui agissent en toute impunité dans une zone fortement militarisée. L’incident, qui a été filmé, met à nu le programme du gouvernement qui écrase toute forme constitutionnelle de résistance.

Conclusion

L’accusation d '« anti-développement » maintes fois répétée au sujet de ces mouvements de résistance n’est qu’une stratégie consciente visant à masquer la nature biaisée de l’État et des projets de développement sponsorisés par l’industrie qui creusent chaque fois un peu plus le fossé entre les riches et les pauvres, les villes et les villages. Les personnes qui luttent ne protestent pas contre le développement, les routes ou les infrastructures. Elles protestent contre la manière dont sont distribués les bénéfices de ce développement. Elles protestent contre des routes flanquées de postes de l’armée qui arrête, interroge, fouille, humilie et restreint la mobilité des populations locales et qui agit comme un système de surveillance. Elles protestent contre des infrastructures qui servent constamment les intérêts de ceux qui consomment de plus en plus, afin de mieux oublier ceux qui ont à peine de quoi consommer. Elles protestent contre un développement qui exige qu’une partie de la population se sacrifie pour la « nation », sans rien en retour sinon de la mauvaise foi et des forces armées.

Palavras-chave

represa, deslocamento da população, eletricidade, violência


, Índia

dossiê

Les luttes populaires en Inde

Comentários

Je remercie vivement Ramthing Kasar et Honreikhui Kashung pour leur chaleur, leur hospitalité et leurs contributions pertinentes qui ont fait de mon séjour à Mapithel un moment vraiment mémorable de perspicacité.

Notas

Lire l’article original en anglais : The Struggle against Mapithel Dam in Manipur, India

Traduction : Laurence Besselievre

Fonte

Texto original

Intercultural Resources - 33-D, 3rd Floor, Vijay Mandal Enclave, DDA SFS FLATS, New Delhi, 110016, INDIA - Índia - icrindia.org

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