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Une notion maîtresse : la médiation

Agnès DE SOUZA

06 / 1996

Il est une vérité oubliée de la seconde partie du XXème siècle : il n’existe pas de science sans base conceptuelle. A la question de ses fondements épistémologiques, la science moderne oppose une foi aveugle dans la méthode expérimentale. Pourtant, au sein de la science, des paradoxes surgissent, révélant les limites logiques du paradigme : le contraste entre les effets curatifs réels de l’homéopathie et l’impuissance à les interpréter n’en est qu’un exemple... qui montre que cette question est d’actualité et la science plus idéologique qu’elle ne l’admet. C’est d’ailleurs son étonnement -caractéristique du philosophe- devant la place de l’homéopathie dans notre culture qui a amené A. Lagache à s’interroger sur la tradition à laquelle se rattache cette médecine et sur la culture dans laquelle nous vivons : pourquoi l’homéopathie y est-elle perçue comme une pratique étrange, relevant d’un acte de croyance? "Notes sur les bases conceptuelles de la science" nous apporte ces réponses et pose les bases d’un nouveau paradigme, adapté au vivant, le "paradigme du sens". A la lumière de ce dernier A. Lagache propose un éclairage original sur ce que nous appelons "l’évolution des espèces", qui a l’intérêt d’intégrer un certain nombre de phénomènes non compris par la science actuelle. Une analyse brillante qui remet la science du 20ème siècle à sa juste place.

A. Lagache rend au dualisme dont se réclame notre culture son véritable sens. Nous vivons dans une culture fracturée qui sépare la matière et l’esprit, le corps et l’âme, ce que nous appelons illégitimement dualisme. La première découverte et démystification d’A. Lagache, a été celle-ci: ce dualisme est en fait la juxtaposition rigide de deux monismes contradictoires, séparés, irréductibles l’un à l’autre et aussi totalitaires et illusoirement sécurisants l’un que l’autre. D’un côté, un positivisme étroit et arrogant pour lequel selon le diktat du paradigme mécaniste tout est matière et le réel connaissable par sa réduction en éléments les plus simples: c’est le matérialisme moderne tout-puissant qui rejette hors des limites du rationnel tout ce qui n’est pas matériel.

A l’opposé, l’idéalisme abstrait, tout aussi réducteur, cultive le mythe également tout-puissant d’un esprit coupé de toute chair, étranger à la matière, et clame l’indépendance de la volonté et de la conscience. La juxtaposition de ces deux monismes à l’isolement encore renforcé par la division des études universitaires, est à la base même de notre double approche de la maladie, comme désordre somatique ou problème psychologique. Pour A. Lagache, qui rejoint le point de vue des homéopathes, la réalité de la maladie est en amont de cette fracture, au lieu d’origine où est nouée la relation corps/esprit. Le vrai combat pour la santé est alors au-delà de la combinaison des traitements chimiques et psychiques: il passe par une troisième voie.

Peut-on croire sérieusement qu’un être vivant soit la somme de ces deux réalités matérielle et spirituelle et que la base conceptuelle qui convienne pour le décrire soit la juxtaposition de deux termes incompatibles? Un système vivant -réseau de relations intérieur/extérieur- est forcément combinatoire et autre qu’analytique. Il faut donc sortir de la contradiction aristotélicienne qui ne décrit pas un dualisme, puisqu’elle n’affirme qu’un terme, le second étant la négation du premier, soit une catégorie vide. Un vrai dualisme signifie que les différents niveaux de réalité coexistent et travaillent ensemble dans le processus dynamique de la vie. Il a donc besoin d’un opérateur, qui crée liens, passages, mouvements... entre les termes et par lequel chacun puisse traiter avec l’autre sans perdre son identité. Cet opérateur est la médiation. Et pour A. Lagache, c’est là le concept essentiel.

Loin d’être une moyenne ou un sous-produit, la médiation qui lie l’esprit et le corps, faits physiques et sémantiques, gère les liens tout en maintenant la distance et la différence entre eux. Est médiation, la brume qui, chez les Indiens d’Amérique racontés par Lévi-Strauss, lie et sépare la terre et le ciel. Est médiation la musique, qui n’appartient ni au corps ni à l’esprit, mais les lie dans une "bonne distance de communication". Ou encore le walkabout song qui, dans la culture traditionnelle australienne, est donné à l’individu à sa naissance comme son identité personnelle et qui décrit l’itinéraire d’un voyage rituel dans les "empreintes des ancêtres". Comme le remède homéopathique (analogon)qui apporte au malade l’information lui permettant de guérir. Autant d’exemples qui font dire à A. Lagache que c’est la médiation qui crée les objets, non l’inverse. Et que les éléments biologiques sont des objets sémantiques traités par le corps comme des informations, auxquels convient donc la logique de l’échange d’information.

"Evolution" des espèces ou variations sur une partition? :

Si nous acceptons l’hypothèse selon laquelle les structures vivantes combinent faits mécaniques et sémantiques et que les médiations sont les éléments dynamiques qui les font fonctionner comme un tout, la question de l’évolution des espèces peut être comprise comme un déploiement de transferts d’équilibre entre fonctions sémantiques et mécaniques. Ainsi alors que le squelette externe de l’oursin, protection mécanique, le dispense d’avoir un système immunitaire, les vertébrés ont à l’inverse un squelette interne et un système immunitaire.

Le code génétique peut être lu comme un système sémantique, non symbolique (langage)mais concret. A la manière d’un poème, ne comportant que quelques mots (et pas tout le dictionnaire!)reliés dans un système mutuel de compatibilité signifiante. C’est le style comme unité contextuelle supérieure de Jakobson (1963)ou la notion de "Bauplan" suggérée par Ernst Mayer: l’absence de cornes chez les animaux carnivores ou l’exubérante magnificence de la nature -splendeur des plumes d’oiseau ou luxuriance végétale- échappent à l’interprétation utilitariste des théories darwiniennes. Si le code génétique intègre des systèmes mécaniques dans un ordre sémantique, il y a alors moins une "évolution" des espèces (malgré une chronologie)qu’une variation sur le même thème sémantique d’organisation.

Cette hypothèse d’une sémantique autre que linguistique qui permet de comprendre les événements du corps, l’expérience esthétique et d’éclairer différemment de nombreux aspects de la réalité, a incité A. Lagache à formaliser une approche conceptuelle différente de celle du mécanisme et de la symbolique du langage, et à l’expérimenter, ce qui est un total succès de laboratoire. Et si en ce XXème siècle, l’idée de la médiation qui est au coeur du "paradigme du sens", surprend, elle n’est pourtant pas aussi neuve qu’on pourrait le croire. Elle se rattache à la lumineuse tradition philosophique d’unité de la nature et d’union de l’âme et du corps, qui brilla aux 17ème et18ème siècles, et qu’il faut redécouvrir si l’on veut comprendre l’être vivant.

Palavras-chave

filosofia, epistemologia, ciência e cultura, saúde, homeopatia


, Franca

Fonte

Artigos e dossiês

LAGACHE, Agnès, Notes sur les bases conceptuelles de la science, Kluwer in. Revue internationale de systémique (Pays Bas), vol 9, n°2

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