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La mobilisation des femmes pour leurs droits au Maroc

Mina TAFNOUT

2003

L’Association Démocratique des Femmes du Maroc (ADFM), œuvrant pour la protection et la promotion des droits des femmes, a élaboré depuis sa création des programmes d’action en direction des femmes victimes de discriminations et de violences. A cet effet, elle a développé une approche privilégiant deux stratégies-clés :

  • la mise en œuvre de programmes de prévention, d’éducation et de promotion de l’égalité ;

  • la consolidation de programmes efficaces et adaptés d’aide, de soutien et d’information aux victimes.

Dans cette optique, l’ADFM a créé en 1997 le centre NEJMA – centre de formation, d’information et d’assistance juridique - pour les femmes victimes de discriminations et de violences. Le centre est né pour répondre à une nécessité légitime à laquelle l’autorité publique compétente n’a pas apporté de solution.

Le centre est un espace d’accueil des femmes en difficulté qui sont souvent dans des situations précaires et de grande détresse psychologique. Il leur offre une écoute, de l’information et de l’orientation juridique. Dans les cas extrêmes d’indigence, le centre offre l’assistance juridique auprès des tribunaux. Le centre a pour objectif de faciliter l’accès des femmes à l’information sur leurs droits (action de proximité), de mettre en évidence les carences des lois existantes (action de plaidoyer) et de contribuer au renforcement des capacités des associations en matière d’écoute juridique (action de formation).

Ces trois activités constituent les piliers de la mission et de la raison d’être du centre NEJMA. Ils justifient sa démarche, structurent la fonction d’assistance et lui procurent un caractère concret et perceptible par la femme elle-même.

Le centre assure des permanences juridiques gratuites, et ce, six jours par semaine (du lundi au samedi matin). Il est composé de 3 structures :

  • structure d’écoute : composée de trois parajuristes chargées de l’écoute, de l’orientation et de l’information des plaignantes ;

  • structure d’assistance juridique : constituée de trois avocates qui assurent une permanence 2 fois par semaine, le rôle de ces dernières est d’informer les femmes sur leurs droits et de les aider dans leurs procédures juridiques.

  • structure de promotion : constituée des membres bénévoles de l’association qui veillent à la réalisation des outils de travail (guide juridique…) et l’organisation des campagnes de sensibilisation et de plaidoyer pour le changement des lois discriminatoires.

Pour les consultations juridiques, le centre NEJMA adopte une approche participative qui inclue les femmes dans tout le processus de la consultation, c’est une approche basée sur le respect des besoins, intérêts et choix des femmes. Les parajuristes du centre ne disent pas aux femmes qu’elles doivent quitter un homme violent, ou conduire leurs affaires devant un tribunal… C’est à elles de prendre une décision qui touche leur vie et celle de leurs enfants. Il s’agit d’un point crucial car les mauvais traitements qui ont été infligés aux femmes ont ébranlé leur estime de soi et leur sentiment d’être capables de mener leur propre destin ; et ceci non pas parce qu’elles ne voulaient pas prendre leur vie en main mais parce que ce contrôle leur a été retiré au moyen de la terreur et des mauvais traitements.

Le centre a aussi une vision féministe pour le traitement des problèmes des femmes : il n’est pas un bureau de plaintes qui donne des conseils techniques fournis par des techniciens de droit en limitant ses services aux réponses et aux solutions purement juridiques issues directement des lois et codes existants ; dans la mesure où, d’une part, la plupart de ces derniers sont discriminatoires et ne garantissent pas les droits fondamentaux des femmes, et d’autre part, la nature des dossiers présentés au centre relève de l’interdit comme par exemple la grossesse hors mariage, les enfants "illégitimes", quitter le domicile conjugal... Se limiter aux services purement juridiques qui est pour nous une démarche réductrice veut dire ne pas répondre à la majorité des cas qui se présentent au centre et ne pas aider les femmes.

Outre les consultations juridiques qui ont pour objectifs de répondre à des besoins urgents, individuels et spécifiques, le centre est en train de développer un programme d’alphabétisation juridique. Ce programme sera élaboré en fonction des priorités, des besoins et des intérêts exprimés par les femmes.

Le programme va englober des informations sur les moyens d’utiliser les lois pour protéger les femmes, par exemple, contre la violence ou les abus sexuels, sur les démarches permettant d’obtenir la garde des enfants, pour protéger et exiger le droit à la propriété en cas de divorce ou de décès du mari. Le programme donnera des explications sur les structures du système juridique, les procédures et la terminologie en vigueur. Il est important que les femmes soient également conscientes des insuffisances des lois qui parfois peuvent se retourner contre elles.

L’objectif du programme est aussi d’encourager les femmes à réfléchir de manière plus critique à leur propre condition, de les aider à poser et à se poser des questions, à développer en elles mêmes la confiance et l’estime de soi, à prendre des décisions, à mieux contrôler leur propre vie, à acquérir plus d’autonomie et à maîtriser les moyens d’améliorer leurs conditions de vie, à les aider à résoudre les problèmes immédiats, en bref les inciter à l’action…

Comme je les ai déjà mentionnés, notre stratégie et notre travail ont pour objectif de rendre les femmes autonomes. Cet objectif commence à se réaliser, et ce par la constitution de groupes de femmes. Ces groupes, deux pour le moment, sont composés d’un ensemble de femmes qui ont bénéficié des services du centre et qui veulent agir sur des thèmes spécifiques. Actuellement, il y a le groupe de la nationalité, c’est-à-dire les marocaines mariées à des étrangers et qui ne peuvent pas octroyer leur nationalité à leurs enfants; le deuxième groupe est constitué de femmes en cours de divorce et qui sont privées de leurs enfants. Ces deux groupes sont abrités par notre association qui leur fournit tout ce qui est logistique et leur facilite les contacts, sans intervenir sur leurs démarches de travail et de mobilisation.

Le groupe de la nationalité a déjà entamé des contacts avec le Ministre de la Justice, Ministre des Affaires Islamiques et le Ministre des Droits de l’Homme. Ce même groupe va assister à l’activité que compte organiser l’ADFM avec un groupe parlementaire qui a présenté un projet d’amendement relatif à cette question.

Le deuxième groupe a opté pour la mobilisation. Dans ce sens, il a organisé un sit-in le 16 octobre 2002 devant le tribunal de première instance de Rabat auquel ont participé des centres juridiques, des associations féminines et des associations de droits humains. Actuellement, elles préparent une lettre au Ministre de la Justice et discutent pour une rencontre avec le Comité Consultatif chargé de la révision du Code du Statut Personnel.

Ces femmes et d’autres femmes qui ont visité le centre n’ont plus honte aujourd’hui de parler publiquement de leurs problèmes et des injustices dont elles sont victimes. Elles participent à des émissions télévisées ou de radio pour témoigner de leurs souffrances, elles assistent à toutes les manifestations organisées par l’ADFM ou par d’autres associations (journée de la femme du 8 mars, les 16 jours d’activisme contre la violence faite aux femmes, 1er mai…). Il y a même une femme qui vient de publier un livre où elle raconte son problème et son expérience avec les tribunaux et les procédures judiciaires.

Pour conclure, je dois dire que les stratégies de base communautaire doivent viser à donner aux femmes des moyens d’action, à modifier les croyances et les attitudes qui permettent un comportement abusif, car c’est seulement quand les femmes obtiendront leur place de membres à part entière de la société que tout type de violence contre les femmes (institutionnel, physique, moral…) ne sera plus une norme invisible mais, bien au contraire, une aberration choquante.

ADFM (Association Démocratique des Femmes du Maroc) - 2 rue Ibn Mokla, secteur les Orangers, Rabat, MAROC - Tél. : (212) 37 70 60 81 - Fax : (212) 37 26 08 13 - Morocco - adfm (@) mtds.com

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