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La durée de vie des centrales nucléaires et les nouveaux types de réacteurs

Note à Madame Nicole Fontaine sur le rapport Bataille Birraux

Benjamin DESSUS, Bernard LAPONCHE

12 / 2003

Commentaires et critiques

Le rapport « La durée de vie des centrales nucléaires et les nouveaux types de réacteurs » de Christian Bataille et Claude Birraux, centre son analyse et ses recommandations sur les points suivants :

  • les possibilités techniques et les conséquences économiques d’une extension significative de la durée de vie moyenne du parc nucléaire français actuel jusqu’à 40, voire 50 ou 55 ans.

  • les conséquences de cette extension de durée de vie sur les échéances et la dynamique de renouvellement du parc nucléaire d’ici 2050.

  • l’intérêt du réacteur EPR proposé par Framatome comme solution de transition entre le parc actuel et les réacteurs de la génération suivante, la génération dite G IV, censée apporter des éléments déterminants de progrès aussi bien sur les questions de risques d’accident que de prolifération ou de déchets.

  • la nature et l’enjeu des recherches à développer pour la mise au point de la génération G IV pour assurer la relève de la solution EPR, considérée comme transitoire.

Ce rapport, fruit de l’audition de nombreuses personnalités, comporte une analyse approfondie de nombreux points. Il ne peut être question dans une courte note d’en réaliser une critique détaillée. Dans cette note, nous limitons nos commentaires aux questions économiques et énergétiques concernant la pertinence de l’introduction d’EPR dans le parc actuel de production d’électricité. On peut en effet résumer la progression du raisonnement et les messages principaux du rapport sur ces points par les quelques considérations suivantes :

1 - L’extension de la durée de vie des réacteurs actuels au delà de 30 ans (40 voire 50 ou 60 ans) apparaît techniquement tout à fait possible, sans remettre en cause la sûreté, et hautement souhaitable du point de vue économique.

2 - Malgré cette prolongation d’un minimum de 10 ans de la durée de vie du parc (1) par rapport aux prévisions d’il y a quelques années, la combinaison d’une croissance inéluctable des besoins d’électricité, de la dynamique de décroissance du parc nucléaire et des exigences de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre conduit à la nécessité d’introduction de nouvelles tranches nucléaires dans le parc français autour de 2020.

3 - Compte tenu des échéances qui excluent pour les auteurs le recours à la génération G IV à l’horizon du renouvellement, seul l’EPR, parmi les concurrents possibles, satisfait aux différents critères de sûreté, de disponibilité et de compétitivité requis pour cette transition.

Le raisonnement et les conclusions proposées apparaissent à première vue comme imparables. La première partie du raisonnement, la prolongation proposée de la durée de vie du parc, devrait pourtant a priori conduire plutôt à modérer les propos sur l’urgence du renouvellement qu’à les renforcer. Mais le lecteur, s’il est convaincu par les arguments concernant la prolongation de la durée de vie proposée de 10 à 20 ans, voit grâce à cet argument, sa conviction de l’urgence renforcée, en imaginant la gravité du problème devant lequel se trouverait la France si cette prolongation se révélait impossible.

Il est donc important d’analyser de plus près les hypothèses explicites et/ou implicites sur lesquelles repose le déroulement du raisonnement des auteurs.

I - La durée de vie du parc

La discussion sur la durée de vie du parc actuel n’attire pas de commentaires particuliers de notre part. Elle reprend d’ailleurs assez largement les analyses et les conclusions du rapport Charpin, Dessus, Pellat (2) qui avaient conduit les auteurs à envisager des scénarios prospectifs centrés sur deux hypothèses de durée de vie du parc actuel, 41 ans et 45 ans. Il reste bien entendu tout à fait essentiel de s’assurer que cette prolongation de durée de vie, dont les avantages économiques sont reconnus, ne s’obtient pas au détriment de la sûreté des réacteurs qui doit non seulement se maintenir, mais s’améliorer au cours de cette phase éventuelle de prolongation.

II - Les échéances du renouvellement

Par contre les prémisses du raisonnement qui sous tend la nécessité du renouvellement du parc à l’horizon 2020, avec des dynamiques dépendant principalement des durées de vie envisageables, sont tout à fait contestables. En effet, aucun scénario explicite d’évolution des besoins d’énergie électrique aux divers horizons ne vient justifier l’analyse présentée. Il s’agit là d’une carence considérable que nous avons déjà d’ailleurs eu l’occasion de signaler dans une précédente note à Madame la ministre de l’industrie (3).

Alors qu’elle est centrale, la seule référence explicite à l’évolution des besoins d’électricité apparaît à la page 93 du rapport sous la forme suivante : « l’hypothèse commune aux scénarios étudiés par EDF est que la puissance en centrales thermiques en base (4), actuellement de 60 GW devrait passer à 75 GW en 2050 (dont 5 GW pour l’hydraulique de base) ».

Outre que cette présentation masque la très mauvaise utilisation qui est faite aujourd’hui de ces moyens puisque les besoins de base recensés en 2002 n’ont atteint que 240 TWh (30 GW appelés) et non pas 480 TWh (60GW * 8 000 heures) comme le laisserait supposer l’assertion précédente, celle concernant la puissance de base en 2050 conduit à une consommation supérieure ou égale à 600 TWh en 2050.

On sait d’autre part que la distribution temporelle des usages de l’électricité en France conduit à une consommation en base de l’ordre de 50 % de la consommation annuelle totale. Le scénario non explicité sous jacent à l’assertion précédente conduit donc à une projection de consommation d’électricité de l’ordre de 1 200 TWh en 2050, soit une croissance des besoins d’électricité d’un peu plus de 2 % par an sur toute la période.

Si cette progression peut paraître comme tout à fait souhaitable pour l’opérateur EDF qui a établi ce scénario, elle est complètement en dehors des projections d’évolution des besoins dont on peut disposer aujourd’hui.

Les seuls éléments de scénarios électriques détaillés officiels dont nous disposions proviennent de RTE, gestionnaire du réseau de transport d’électricité, et ont servi de support au rapport « Programmation pluriannuelle des investissements ». Ils se traduisent par une augmentation des besoins d’électricité de 1,4 % entre 2000 et 2010, 0,9 % entre 2010 et 2015, 0,6 % entre 2015 et 2020 dans le scénario le plus consommateur (R1), traduisant en fait une évolution linéaire (et non pas exponentielle) des besoins d’électricité en France pour les décennies qui viennent (5).

La poursuite de cette tendance conduirait à des besoins d’électricité de 620 TWh en 2030 et 720 TWh en 2050, sans tenir compte des programmes d’économie d’électricité qui sont actuellement en projet. Les projections qui servent actuellement d’outil à la programmation des investissements conduiraient donc, sauf retournement improbable, à des besoins d’électricité 65 % plus faibles que dans la projection qui sous tend le raisonnement du rapport Bataille-Birraux. Les scénarios du rapport Charpin, Dessus, Pellat s’inscrivent dans la même fourchette puisqu’ils projettent des consommations d’électricité finale comprises entre 535 TWh pour le scénario « bas » et 720 TWh pour le scénario « haut ».

Il est bien évident que de tels écarts de projection ont des conséquences majeures sur les échéances de renouvellement du parc.

Si l’on reste dans l’hypothèse d’une utilisation du parc nucléaire en base (8 000 heures par an) comme semble le préconiser le rapport qui se borne à ce cas d’utilisation pour étudier la compétitivité de la filière par rapport à d’autres filières de production d’électricité, les échéances de renouvellement sont totalement modifiées.

A titre d’illustration, et pour une durée de vie de 40 ans du parc actuel, le premier renouvellement pourrait se situer entre 2027 et 2030, 7 à 10 ans plus tard que dans le scénario Birraux-Bataille (6). Pour 45 ans de durée de vie, cette échéance serait encore décalée de 5 ans, 2032 à 2037.

Tableau I : Scénarios d’évolution des besoins d’électricité et échéance de renouvellement des premières tranches nucléaires du parc français (40 ans de durée de vie)

Scénarios d’évolution des besoins d’électricité et échéance de renouvellement des premières tranches nucléaires du parc français (40 ans de durée de vie)

On voit bien à travers cet exercice la très grande influence du scénario de besoins d’électricité choisi sur l’échéance du renouvellement.

L’absence de toute justification du scénario implicite d’évolution des besoins d’électricité retenu par les auteurs du rapport nuit évidemment fortement à la crédibilité de l’exercice. (7)

III - La date d’apparition d’une nouvelle génération de réacteurs

Le raisonnement des auteurs s’appuie d’autre part largement sur l’affirmation selon quelle la mise en service de générateurs d’un nouveau type, présentant des avantages décisifs par rapport à la filière des réacteurs à eau, ne saurait être envisagée avant 2035 ou 2040. Cette assertion, largement relayée depuis dans différentes instances, apparaît comme contestable. En effet certaines des filières de cette génération ont fait dans les années 1960 à 1980 l’objet de réalisations de prototypes, voire même de démonstrateurs en vraie grandeur, par exemple les réacteurs Haute Température (HTR), ou certains des réacteurs à neutrons rapides. Il apparaît dans ces conditions au moins surprenant que le développement industriel de certaines de ces filières exige 35 à 40 ans d’efforts alors que le développement ex-nihilo des réacteurs PWR (équipant les centrales actuelles) a pris moins de 20 ans.

La littérature récente montre d’ailleurs que les promoteurs de la filière HTR par exemple - qui présente selon eux des avantages décisifs de rendement (50 à 55 % au lieu de 33 à 35 % pour les PWR) et de sûreté intrinsèque - considèrent que ce réacteur pourrait être disponible dès 2010 ou 2015 (8) pour fabriquer de l’hydrogène.

Une analyse réellement indépendante de cette question mériterait bien évidemment d’être engagée pour vérifier la vraisemblance des échéances retenues au dire d’experts qui sont juges et partie dans cette affaire.

IV- La compétitivité de la filière EPR

Le rapport Bataille-Birraux se fonde sur les mêmes éléments, les mêmes méthodes de calcul et les mêmes données chiffrées que ceux qui ont servi à établir les coûts de référence publiés récemment par la DGEMP et que nous avons critiqués au cours de notre entrevue avec Madame la ministre de l’industrie, critique qui a fait l’objet d’une note qui lui a été remise en séance (9) : critiques concernant l’absence de scénario justifiant le besoin de 4 ou 10 réacteurs en base, l’absence d’analyse indépendante de données chiffrées (techniques et financières) en provenance des seuls constructeurs, etc.

On constate d’ailleurs que la seule analyse a priori indépendante d’EDF et des constructeurs, celle des finlandais, pourtant réalisée sur la base du chiffrage initial du projet, aujourd’hui nettement dépassé (2,2 à 2,5 milliards d’euros au lieu de 1,8) conduit à une différence de coût d’à peine 10 % entre les coûts marginaux actualisés en base du kWh nucléaire et ceux du kWh turbine à gaz.

Comme on l’a précisé pour les coûts de référence de la DGEMP, l’absence de scénario justifiant l’usage en base d’une série d’EPR, l’absence totale de possibilité d’expertise indépendante des données chiffrées affectent très largement la crédibilité des conclusions annoncées.

Conclusion

Parmi les quatre principaux piliers qui soutiennent le raisonnement des rapporteurs, seul le premier, celui de la possibilité et de l’intérêt d’une prolongation de 10 ans ou plus de la durée de vie du parc fait l’objet d’un assez large consensus.

Par contre :

  • la dynamique d’évolution des besoins électriques qui sous tend celle du renouvellement du parc apparaît comme totalement déviante par rapport aux scénarios dont on peut disposer ;

  • le délai affiché pour la mise sur le marché de technologies « révolutionnaires » est contredit par le discours même de certains promoteurs de ces nouvelles technologies (y compris Areva) ;

  • la compétitivité « incontestée du kWh nucléaire » ne fait pour le moins pas consensus à la fois pour des raisons méthodologiques de calcul et pour des raisons d’absence de transparence des informations (10).

Chacun de ces points est de nature à remettre en cause les recommandations du rapport et l’urgence de lancer un démonstrateur d’EPR à court terme. Mais plus encore, c’est l’imbrication de ces incertitudes qui remet en cause la construction même du raisonnement qui justifie les propositions.

1 Prolongation d’ailleurs actée unilatéralement par EDF récemment qui a décidé d’amortir ses centrales sur 40 ans au lieu de 30.
2 JM Charpin, B Dessus, René Pellat, Etude économique prospective de la filière électrique nucléaire, Rapport au premier ministre, 2000.
3 Note Benjamin Dessus – Bernard Laponche à madame la ministre déléguée à l’industrie sur le Livre blanc sur les énergies - 7 décembre 2003.
4 Il s’agit de moyens de production appelés plus de 8 000 heures par an.
5 Cette évolution est d’ailleurs conforme à celle observée depuis une trentaine d’années.
6 Une note détaillée sur cette question « Quelle place pour les EPR en France dans les 30 ans qui viennent ? » a été remise à madame la ministre de l’industrie au cours de notre visite du 8 décembre dernier.
7 On notera que cette même remarque avait été formulée à la DGEMP à propos de son exercice « coûts de référence de l’électricité » qui vient de paraître.
8 Voir par exemple les déclarations de Didier Beutier (Cogema) et de Bertrand Barré (Framatome) dans le numéro spécial de Science et Vie « le siècle nucléaire » et les pages 183 à 188 consacrées à ces réacteurs dans le rapport Bataille-Birraux.
9 Le coût du kWh EPR, Benjamin Dessus.
10 Alors que les résultats économiques du rapport Charpin Dessus Pellat avaient semblé recueillir un large consensus.

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