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De l’incantation expiatoire à l’utopie salvatrice

Analyse des discours politiques officiels sur le changement climatique

Hélène GASSIN

2004

Une analyse des discours politiques officiels sur l’effet de serre montre qu’il s’agit avant tout d’une forme d’incantation sans autres fondements que le recours au mythe de la solution technologique. Pourtant, correctement informés, les citoyens se montrent généralement beaucoup plus logiques et courageux que leurs dirigeants, qui éludent sciemment les nécessaires changements de nos modes de vie.

La prise en compte du risque climatique dans les discours officiels est relativement ancienne. Une discussion sur la difficulté de la communauté internationale, ou nationale, à passer du discours à l’acte serait d’ailleurs intéressante mais nous nous concentrerons ici sur le discours lui-même et ce qu’il sous-entend.

Analyse sémantique

Le discours officiel dominant admet généralement l’ampleur du problème. Certains vont même jusqu’à reconnaître l’impérieuse nécessité de modifier en profondeur les modes de production et de consommation à l’oeuvre aujourd’hui, voire jusqu’à admettre que c’est bien le mode de vie occidental qui n’est pas soutenable et qu’il faudrait en changer rapidement et encourager les autres à ne pas suivre le même chemin. Il en va ainsi des discours des deux Présidents français, François Mitterrand au Sommet de la Terre de Rio en 1992 (« Chaque peuple a conçu dans son premier âge ces mythes terribles ou merveilleux sur la création du monde ; mais aujourd’hui c’est de destruction qu’il s’agit ») et Jacques Chirac au Sommet mondial du développement durable de Johannesburg, dix ans après (« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. La nature, mutilée, surexploitée, ne parvient plus à se reconstituer et nous refusons de l’admettre »).

Ces discours mériteraient une analyse sémantique fine, mais on peut d’ores et déjà essayer d’en comprendre la fonction en notant quelques similitudes frappantes.

Rappel de la relative jeunesse de l’humanité pourtant aujourd’hui en mesure de détruire la planète : « On ne peut séparer l’homme de la nature car il est la nature même comme le sont l’eau, l’arbre, le vent, le fond des mers. Dominé par les éléments depuis la nuit des temps, il est capable désormais de tuer toute vie sur la terre et par là de s’anéantir » (François Mitterrand) ; « Au regard de l’histoire de la vie sur terre, celle de l’humanité commence à peine. Et pourtant, la voici déjà, par la faute de l’homme, menaçante pour la nature et donc elle-même menacée. L’homme, pointe avancée de l’évolution, peut-il devenir l’ennemi de la vie ? » (Jacques Chirac).

Les responsables du moment semblent craindre le regard des générations futures : « Un jour on nous dira, vous saviez tout cela, qu’avez-vous fait ? » (F. M.) ; « Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas ! Prenons garde que le XXIe siècle ne devienne pas, pour les générations futures, celui d’un crime de l’humanité contre la vie » (J. C.).

Rappel de la responsabilité majeure et historique des pays du Nord, mais aussi des responsabilités particulières des pays en développement : « Deuxièmement, il conviendrait de mieux cerner le rôle, ou la responsabilité, des pays du Nord. Je pense qu’ils ont à préserver et à restaurer leur propre domaine – eau, air, villes, paysages – ce à quoi leurs gouvernements s’emploient d’inégale façon. Qu’ils ont à s’interdire toutes atteintes à l’environnement des pays du Sud […] J’attends enfin que les pays du Nord associent plus étroitement les pays du Sud à la définition des urgences écologiques […] Troisièmement, les pays du Sud, quelle que soit leur volonté, légitime, de se développer, ne peuvent s’exonérer de leur part de solidarité afin de protéger une biosphère, qui est la même pour tous » (F. M.) ; « Notre responsabilité collective est engagée. Responsabilité première des pays développés. Première par l’histoire, première par la puissance, première par le niveau de leurs consommations […] Responsabilité des pays en développement aussi. Nier les contraintes à long terme au nom de l’urgence n’a pas de sens. Ces pays doivent admettre qu’il n’est d’autre solution pour eux que d’inventer un mode de croissance moins polluant » (J. C.).

La place de la coopération internationale et les engagements déjà pris apparaissent généralement dans une zone discrète du discours et sans emphase. Le ton s’affaiblit alors et le décalage avec le reste du discours saute aux yeux : « Ces pays [développés], je le répète ici, devraient consacrer, avant l’an 2000, 0,7 % de leur produit national brut à cette aide » (F. M.) ; « Augmentons l’aide au développement pour atteindre dans les dix ans au maximum les 0,7 % du PIB » (J. C.).

Enfin, les chefs d’Etat s’attachent à classifier des chantiers prioritaires : la paix, pour François Mitterrand, en 1992, les changements climatiques pour Jacques Chirac, en 2002. On peut noter aussi le fait que l’éradication de la pauvreté apparaît au même niveau dans les deux discours, soulignant l’échec de la communauté internationale dans ce domaine.

L’analyse de ces échantillons de discours, combinée au constat désespérant de la faiblesse des réalisations, permet de proposer une explication à leur rôle. Face aux périls dans lesquels l’humanité s’est elle-même embourbée, le discours des grands de ce monde viserait à donner le change en affirmant haut et fort qu’ils ont compris l’enjeu, qu’ils entendent bien assumer leurs responsabilités propres et pousser chacun à prendre conscience des siennes. Mais si les issues et la remise en question du mode de vie occidental sont effleurées, ils ne semblent pas résolus à aller plus loin. Le discours climat est une forme d’incantation (« ça va mal mais nous sommes là »), probablement destiné à asseoir une image de responsabilité auprès des citoyens mais aussi peut-être destiné à rassurer les responsables politiques eux-même par auto-suggestion.

Ainsi, le discours climat semble un préalable nécessaire car impossible à remettre en question tant les évidences sont grandes et irréfutables. Ce phénomène se retrouve avec le traitement de la question de la maîtrise de l’énergie dans le discours politique français. Au cours du processus de débat national sur l’énergie, pas un discours officiel n’a oublié la nécessité première de réduire nos consommations. Mais finalement, les mesures proposées visent au mieux à les stabiliser.

Le messie technologique

Passés les discours, quand on demande à un gouvernement, un chef d’Etat ou même parfois à un défenseur de l’environnement d’étudier le champ des remèdes et les moyens de changement, la remise en question va en s’atténuant. L’objet de la réforme nécessaire change subrepticement, on circonscrit le problème à l’un de ses aspects, l’électricité par exemple, pour souvent finir par une posture de croyance aveugle dans un messie technologique, finalement beaucoup plus confortable, ou du moins perçu comme tel.

Selon les orateurs, le niveau social depuis lequel ils s’expriment et leur culture nationale, on nous renvoie vers : la civilisation de l’hydrogène (même si le discours raisonnable qui consiste à préciser que l’hydrogène ne saurait être considéré comme une source d’énergie mais comme un simple vecteur passe peu à peu et commence à dominer débats et conférences, on trouve toujours des espoirs démesurés dans le couple hydrogène/pile à combustible) ; le tout renouvelable (est-ce bien intelligent d’envahir les espaces naturels d’équipements pour alimenter des pratiques et appareils gaspilleurs voire totalement dénués d’utilité ?) ; la séquestration géologique ou sous-marine du CO2 ; le nucléaire de fission actuel et futur ou encore la fusion thermo-nucléaire pour dans cinquante ans.

Les discours les plus élaborés nous proposent un « mix » de ces différentes solutions. Le point commun étant le recours au mythe de la solution technologique à un problème qui ne l’est pas, ou pas seulement. La maîtrise des consommations d’énergie n’apparaissant malheureusement plus que dans sa dimension d’efficacité des appareils utilisateurs d’énergie.

Le processus intellectuel qui permet de partir du constat de l’insoutenabilité de nos modes de vie pour aboutir à la conclusion qu’il faut mettre le CO2 sous le tapis ou installer des champs de panneaux solaires dans le Sahara peut paraître caricatural, mais il est réellement à l’oeuvre.

Nous sommes là devant une attitude assez classique : face à un problème massif, indéniable, reconnu par les populations et a priori difficilement soluble, l’homme moderne est tenté par une réponse conceptuellement simple et à haute teneur scientifique ou technologique, synonyme de progrès. La nécessité de déconstruire une situation de crise en démêlant un à un les fils qui y ont mené est perçue comme régressive. On préfère ainsi déposer un réacteur thermonucléaire aux pieds de la déesse Science plutôt que d’interdire aux constructeurs automobiles de fabriquer des grosses voitures, tout en ayant le culot de trouver cela plus réaliste…

L’option citoyenne

Nous sommes face à un cercle vicieux : les dirigeants politiques ont le sentiment que les nécessaires changements profonds de nos modes de vie sont impossibles, ou bien qu’ils ne seront pas acceptés par leurs électeurs qui, du coup, les sanctionneront. Par conséquent, ils bornent leurs actions à des mesures perçues comme indolores et particulièrement inefficaces. Or, par cette attitude, nos élites n’encouragent ni la recherche, ni l’expérimentation, ni le débat. Et quand on ne cherche pas, on a bien du mal à trouver des arguments et des compétences. Manque venant ensuite accréditer la thèse de l’insurmontable changement de cap.

Il existe une exception notable, celle des Etats-Unis de Georges W. Bush, qui a au moins le mérite de la cohérence en déclarant impensable la remise en question de la société de consommation que pourrait générer une baisse des niveaux de consommation d’énergie.

On a donc bien le sentiment que le discours dominant sur les changements climatiques a principalement pour vocation de rassurer les citoyens sur la capacité de leurs dirigeants à prendre leurs responsabilités, qui consistent à attendre et à préparer activement l’arrivée du messie technologique. On peut se demander s’il ne serait pas plus sain de se lancer dans une démarche d’analyse documentée et sérieuse sur ce qu’implique réellement pour nos sociétés une lutte active contre les changements climatiques et, surtout, d’en discuter avec les citoyens. Correctement informés, ces derniers se montrent généralement beaucoup plus logiques et courageux que leurs dirigeants, comme l’a montrée l’unique conférence de citoyens organisée sur ce thème en 2002 par feue la Commission française du développement durable (1).

1 « Nous citoyens, à la lumière des données scientifiques actuelles, sommes convaincus que c’est notre mode de vie qui génère une quantité de gaz à effet de serre supérieure à ce que notre planète peut absorber de façon naturelle. Ce surplus est responsable du réchauffement de notre atmosphère (…) Face aux conséquences désormais prévisibles du changement climatique, il est urgent que nous prenions collectivement conscience de l’ampleur du phénomène et de ses effets.  » On peut consulter l’ensemble des avis et recommandations de la Conférence de citoyens sur le changement climatique (février 2002) à l’adresse : www.cite-sciences.fr/…

Key words

climate change, politics, greenhouse effect, technological innovation

file

Lutte contre le réchauffement climatique (Cahier de Global Chance n°19, réalisé avec le Courrier de la Planète)

Notes

Greenpeace : Face aux changements climatiques, Greenpeace juge urgent de développer rapidement les énergies renouvelables et de faire de réels progrès en efficacité énergétique. L’association conduit une campagne « Energie et climat ». http://www.greenpeace.org/france/…

En 2004, Hélène Gassin était chargée de campagne Energies à Greenpeace (www.greenpeace.org/france/).

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