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Agriculture biologique : une filière difficile à mettre en place en France

Nolwenn WEILER

03 / 2008

Le marché français des produits issus de l’agriculture biologique est en pleine croissance. De nouvelles marques et enseignes fleurissent et même la grande distribution s’y met. Problème : l’agriculture conventionnelle a bien du mal à se mettre au vert. La filière connaît des pénuries de plus en plus régulières. Pour y répondre, les acteurs de l’agriculture biologique plaident pour la mise en place de filières inter-régionales.

Prendre soin de la terre et de sa santé sont les deux motivations principales des consommateurs de produits bio. Ils ne déambulent pas encore en masse dans les rayons bio des supermarchés, mais ils incarnent une tendance lourde, en nette progression. Face à l’industrie agroalimentaire classique, le marché du bio français est cependant encore loin de faire le poids. Les produits sans pesticides ni engrais de synthèse représentent 2% du chiffre d’affaires global du secteur. Ils bénéficient cependant d’une croissance à faire rêver n’importe quel investisseur : 9,5% par an depuis 1999, pendant que l’ensemble du marché alimentaire progressait de 3,6%. Plus de quatre Français sur dix déclarent consommer des produits bio au moins une fois par mois selon le baromètre Agence Bio/CSA (2007). 77% des sondés estiment que l’agriculture biologique « est une voie d’avenir face aux problèmes environnementaux ». Le succès de la filière se mesure aussi par la diversité des consommateurs : un sur quatre est un converti de fraîche date au label AB. Les acteurs du secteur le confirment : Claude Gruffat, PDG des magasins Biocoop, découvre une nouvelle « clientèle familiale du samedi » ; Bruno Cousquer, codirecteur d’une petite chaîne de magasins bios à Strasbourg (Serpent vert) observe « un intérêt nouveau des très jeunes adultes ». « Beaucoup d’étudiants viennent faire leurs courses chez nous alors que la problématique santé n’est pas une préoccupation habituelle dans cette population. En fait, c’est plutôt l’envie de lutter contre la mal-bouffe qui les motive. »

Le développement des supermarchés spécifiquement bio (Biocoop, La Vie claire, Naturalia…) est l’élément le plus visible de cet essor. Avec près de 2 000 points de vente et un chiffre d’affaires moyen qui grimpe de 15% par an, ces magasins spécialisés offrent une diversité de produits appréciée par les éco-consommateurs purs et durs. Plus faciles d’accès pour les non-initiés, les grandes et moyennes surfaces participent également à la banalisation de ces produits. Fréquentées par les trois quarts des acheteurs réguliers ou épisodiques, elles restent les principales distributrices de la filière. Paradoxe : le bio se porte bien grâce à ces temples de l’hyperconsommation. « Il leur suffit d’élargir leur offre, en allongeant leurs rayons spécialisés ou en réunissant tous les produits bio au même endroit. Auchan l’a fait l’année dernière. Cela a été très efficace. La chaîne a contribué pour moitié à la croissance du marché bio en France en 2006. », se réjouit Jean-Denis Bellon, directeur marketing du groupe Distriborg, spécialisé dans la distribution de produits naturels et diététiques.

Le bio se heurte cependant à un problème de taille. L’offre ne suit pas la même courbe croissante que la demande. Les volumes disponibles sont trop réduits. Producteurs et transformateurs français fournissent encore la grande majorité des produits vendus dans les magasins spécialisés ou dans la grande distribution (entre 60 et 90% selon les enseignes), mais les ruptures de stocks menacent. Un ralentissement du développement du bio dans l’hexagone pourrait en découler. Un grossiste comme Bonneterre, dont environ 80% des fournisseurs sont français, se dit confronté à des pénuries assez fréquentes. En 2007, ils ont été obligés de se tourner vers l’Italie pour s’approvisionner en porc élevé en bio. Une pénurie de porcs en France, on croirait rêver ! « La surface agricole utile en bio est aujourd’hui largement en deçà de la croissance de la demande. Il va y avoir un problème de capacité de la France à être autosuffisante en produits bio. », souligne Jean-Denis Bellon.

Réorganiser les filières

En dix ans, les surfaces certifiées françaises ont été multipliées par cinq. Le nombre d’exploitations bio a triplé. Mais les cultures ne représentent qu’un ridicule 2% de la surface agricole utile. La France, première puissance agricole européenne, se situe au 20e rang en la matière, loin derrière l’Autriche (13,5%), l’Italie (8%), la Finlande (6,5%) ou la Suède (6%). « Cette faiblesse de la production plombe la dynamique. », estime Vincent Perrot, président de la Fédération nationale de l’agriculture biologique (Fnab). Pas facile d’attaquer des gros marchés quand on est si faible numériquement. Peu nombreuses, les exploitations bio sont en plus très éparpillées sur le territoire. L’organisation de la collecte et de la transformation implique d’importantes contraintes logistiques et des coûts peu compétitifs. Des difficultés que n’ont pas nos voisins belges, hollandais ou allemands qui ont mis en place depuis longtemps des bassins de production. « En France, la structure agricole n’est pas faite pour développer le bio. », déplore Cécile Frissur, déléguée générale du Synabio, le syndicat national des transformateurs de produits naturels et de culture biologique.

Héritière des réformes radicales lancées il y a 50 ans, et financée en grande partie par la PAC (politique agricole commune), la filière agricole et agroalimentaire française est adaptée aux gros volumes qui empochent la majorité des subventions. Résultat : « L’industrie agroalimentaire classique est aujourd’hui incapable de gérer les petits volumes de la production bio. », souligne Cécile Frissur. Les Lorrains de Biogam, une petite unité de transformation laitière qui a ouvert en janvier 2007, ont dû se rendre en Belgique pour acquérir une machine à fabriquer des yaourts. Et pour trouver l’appareil - d’occasion - nécessaire à fermer les bouteilles de lait, Georges Prost, le directeur, a épluché les petites annonces des revues spécialisées… « Aujourd’hui, les industries laitières sortent entre 100 et 300 millions de litres à l’année, alors que nous n’en produisons qu’un million. On ne trouve plus de fabricants de petites machines. », regrette-t-il. Difficile aussi de convaincre les transporteurs, peu intéressés par un fret trop maigre pour eux. Que faire ? Un soutien public aux transports des petits volumes et à une mise en réseau des PME serait bienvenu. Les prix proposés aux consommateurs seraient ainsi revus à la baisse. L’encouragement aux petites unités de préparation de produits bio serait aussi bien accueilli par les fournisseurs et distributeurs. « La taille modeste des PME rend le suivi et le contrôle qualité plus aisés. », insiste Jean-Denis Bellon, de Distriborg.

Il ne s’agit pas pour autant de créer un réseau de petites industries alimentaires complètement coupées du reste du secteur. Les capitaux brassés par les grosses entreprises et la grande distribution sont attendus impatiemment. Lactel l’a fait pour le lait. Danone a commencé timidement pour les yaourts, après avoir entretenu la confusion avec ses pots « Bio » au bifidus, qui n’avait rien de bio. On est loin de l’image sympathique mais réductrice d’une agriculture biologique uniquement portée par des associations réunissant producteurs et consommateurs (les Amap) ou des petites entreprises agricoles d’insertion. « Cela ne sert à rien d’opposer les circuits de distribution. », insiste Vincent Perrot, de la Fnab. « Circuits longs et circuits courts se complètent. D’ailleurs, grande distribution ne signifie pas forcément circuit long. Les magasins Leclerc, par exemple, se fournissent auprès de producteurs bio locaux. » Les filières très courtes ont leur limite : « Le marché est trop étroit pour n’être organisé qu’à l’échelle régionale. », précise Cécile Frissur, du Synabio. « L’idéal, pour répondre à la demande, serait une organisation inter-régionale. C’est la prochaine étape. Mais nous partons de loin. »

La PAC : un frein au bio

La réorientation de la politique agricole française vers un soutien à l’agriculture biologique est indispensable à la croissance du secteur. Reste que l’État brille par son absence. « Il faudrait arrêter de plomber le bio avec le soutien à l’agriculture raisonnée. », proteste le directeur marketing de Distriborg. Bénie par le gouvernement actuel, l’agriculture raisonnée est très soutenue par l’industrie phytosanitaire (la France est le troisième consommateur mondial de pesticides). Avec un recours « modéré » aux pesticides, aux engrais chimiques ou à l’arrosage, elle fait office d’intermédiaire entre une agriculture conventionnelle productiviste et l’agriculture biologique. « Cela crée de la confusion chez les consommateurs, freine le rythme des conversions en bio et laisse le terrain libre aux autres pays. », s’agacent les partisans du bio.

À la FNSEA, on ne partage pas cet engouement pour le bio et son essor, au contraire de son ennemi juré, la Confédération paysanne. « S’ils parlent beaucoup du bio, les consommateurs continuent à vouloir des produits toujours moins chers et à acheter du non-bio. Pour que la filière se développe vraiment et que des agriculteurs s’installent, la grande distribution doit arrêter de capter aussi copieusement des marges. », se défend Christiane Lambert, vice-présidente de l’incontournable syndicat agricole. Bref, si le bio stagne, c’est la faute aux consommateurs et aux distributeurs, surtout pas celle des agriculteurs ! Christiane Lambert assure que ses ouailles font « de réels efforts pour diminuer leur impact sur l’environnement ». En juin dernier, quand la France a été condamnée par Bruxelles pour non-respect de la législation européenne en matière de limitation de la pollution aux nitrates, des agriculteurs français ont manifesté leur mécontentement en bloquant une route nationale pendant plusieurs jours… De quoi douter de la bonne volonté de certains en matière de respect de l’environnement et, indirectement, du consommateur et de sa santé.

Paradoxe : les importations bio en augmentation

En attendant que la France rattrape son retard, « la solution, c’est l’importation ! », assène Sylvain Marion, de la Fédération nationale de l’épicerie. Cette tendance lourde à l’augmentation des importations est impossible à chiffrer avec précision. Les statistiques de l’Agence Bio précisent simplement que le nombre de demandes d’importation auprès du ministère de l’Agriculture a doublé entre 2001 et 2007. « Il est quasiment impossible d’avoir une connaissance précise de l’origine et des volumes importés, car il n’existe, hélas, aucun recensement spécifique des flux de produits biologiques. Nous ne pouvons que nous baser sur la déclaration volontaire des opérateurs économiques français, ce qui est toujours sujet à caution. », explique Jacques Caplat, de la Fnab. Que l’offre bio repose, à terme, sur les importations, serait un grand paradoxe écologique. Le Maroc est déjà devenu le premier fournisseur étranger, hors Union européenne, du marché hexagonal. Et les produits bio viennent parfois de beaucoup plus loin. « Il y a en ce moment une grande croissance de l’Asie, notamment pour les produits périssables » souligne Sylvain Marion. « Pour le moment, les coûts de transport sont largement couverts par le moindre coût de la main-d’œuvre sur place. »

En plein essor, l’agriculture biologique des pays du Sud va-t-elle, comme sa grande sœur conventionnelle, passer sa vie à nourrir les consommateurs du Nord de la Planète ? Pas si sûr… Car les consommateurs de bio préfèrent les produits locaux, une attitude finalement assez cohérente, et responsable. Stéphane Lagarde, directeur de Filéane, une société qui importe des produits bio de Chine (gingembre, thé…), s’en est rendu compte à ses dépens. Les consommateurs ont boudé ses pommes bio venues de Chine. Autre importateur, Alterbio privilégie les produits français face aux autres. « Même plus cher, il se vend mieux », confie son responsable d’achat Antoine Géa. Cette demande très forte des consommateurs, qui suppose une réorientation totale de la politique agricole française, est confirmée par le baromètre de l’agence bio qui constate que 80% des acheteurs de produits bio privilégient les produits locaux.

Key words

production procedure channels, organic farming, food and agricultural products commercialization, consumption, chain of distribution, CAP, food supply import, agriculture and feeding


, France

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Filières durables : l’agriculture

Notes

Initialement publié dans l’hebdomadaire Témoignage Chrétien et par Basta! (http :www.bastamag.net/article204.html)

En savoir plus :

  • Agence Bio, un groupement d’intérêt public en charge du développement et de la promotion de l’agriculture biologique : www.agencebio.org/

  • Des consommateurs qui soutiennent le bio : www.bioconsomacteurs.org/

  • Fédération nationale de l’agriculture biologique : www.fnab.org/

  • Syndicat national des transformateurs de produits naturels et de culture biologique : www.synabio.com/

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