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Payer les écolières pour qu’elles aillent à l’école

Yamini DEENADAYALAN

04 / 2010

En Inde, le problème des enfants de sexe féminin est de nature économique : c’est ce qu’a compris l’ancien cadre d’entreprise Virendra Singh. Son école, Pardada Pardadi, située à Anupshahar en Uttar Pradesh, permet aux filles de continuer l’école, en leur offrant trois repas quotidiens, dix roupies par journée de présence, une bicyclette après deux ans d’école et des toilettes à la maison après trois ans.

Sam (Virendra Singh) a pris sa retraite alors qu’il était l’un des patrons de la société DuPont. Mais plutôt que de s’installer dans une banlieue heureuse et aisée des États-Unis, il est retourné à Anupshahar, un petit village du district de Bulandshahar dans l’Etat d’Uttar Pradesh, afin d’ouvrir une école pour filles qui paie les enfants pour qu’elles restent à l’école.

« Je n’ai jamais fait de travail social dans ma vie. Je suis né dans une famille féodale et ai fait un métier de ‘macho’ toute ma vie », dit le fondateur septuagénaire de l’école professionnelle pour filles Pardada Pardadi.

Après 35 ans passés aux États-Unis, Sam a pris conscience qu’il n’était pas l’un d’entre eux ; il se sentait toujours profondément indien.

En 1984, Sam était responsable de l’usine DuPont en Virginie. Quand la tragédie de Bhopal est survenue, il a eu le sentiment désagréable que ses employés lui feraient moins confiance en tant que responsable d’une usine chimique parce qu’il était indien. Il n’arrivait pas à gérer l’image de l’Inde qui domine en Occident : un pays pauvre et sous-développé. Il voulait transformer ce sentiment de honte en quelque chose de productif.

Quand est venu le temps de partir à la retraite, Sam savait qu’il voulait retourner dans le village où, pendant des générations, les femmes de sa famille n’étaient pas considérées comme suffisamment importantes pour être mentionnées dans l’arbre généalogique ; elles n’étaient que des utérus invisibles ayant pour tâche d’apporter des héritiers mâles à la famille.

Le taux d’alphabétisation des femmes dans les zones rurales d’Uttar Pradesh est de 43%. Dans cette société fortement patriarcale on incite peu les familles à envoyer leurs filles à l’école et en 2000, quand Sam a ouvert la Pardada Pardadi, de nombreuses filles étaient mariées à l’âge précoce de 13 ans.

L’école, qui a commencé avec un groupe initial de 35 étudiantes en 2000, s’enorgueillit aujourd’hui de 1.000 étudiantes. Cinquante ont réussi aux quatre premiers examens de la classe 10 (1). Certaines des diplômées ont étudié la mode, d’autres sont devenues enseignantes ou ont obtenu des emplois dans des villes aussi éloignées que Delhi.

Quand j’ai interviewé Sam dans son bureau à l’école, il m’a interrompue en disant : « Regardez ! » Une longue file de femmes rentrait à pied d’une journée de collecte d’herbe. Elles étaient menées par un enfant de 6 ou 7 ans portant l’uniforme des écoles gouvernementales.

D’après les statistiques, 94% des enfants indiens fréquentent les écoles gouvernementales. Mais cela est uniquement sur le papier. Ils reçoivent leur uniforme gratuit et assistent à l’école de manière très occasionnelle pour le repas gratuit de midi. Je voulais sortir mon appareil photo pour prendre un cliché de ces femmes portant des ballots d’herbe mais Sam a dit : « Ne vous inquiétez pas. Elles seront là tous les jours. Vous n’avez pas raté une opportunité de photographie ».

C’est à ce monde que Sam est retourné, espérant convaincre les parents que leurs petites filles aussi doivent recevoir une éducation.

Sam explique qu’à DuPont son travail consistait à analyser la stratégie de l’entreprise et ses priorités. Et c’est ce qu’il a fait à Anupshahar. Cette fois la priorité était l’éducation obligatoire pour les filles.

Le problème des enfants de sexe féminin a toujours été un problème économique. Après des années passées à assister à des conférences sur la responsabilité sociale des entreprises qui s’intéresse au travail des enfants et à l’exploitation, Sam s’est défait de l’idée que le développement était contextuel et que le modèle occidental ne pouvait pas être adapté à la réalité indienne. Ce qui était important pour ces filles – la plupart étant la première génération d’élèves - était leur indépendance sociale et financière. Même s’il était important qu’elles aient un bon bagage universitaire, elles avaient aussi besoin de qualifications professionnelles qui leur garantissent un emploi.

Pardada Pardadi se devait donc d’être à la fois professionnelle et universitaire. Sam a décidé de s’attaquer systématiquement à tous les prétextes généralement avancés pour garder les filles à la maison et de compenser les heures de travail manuel perdues quand les filles sont à l’école. Il a décidé de leur offrir trois repas par jour, des vêtements, des livres, le transport et 10 roupies qui seraient déposées sur le compte de la fille pour chaque jour de présence. Le montant, environ 35.000 roupies, peut être récupéré après obtention du diplôme sous forme d’une bourse pour poursuivre les études. Après deux années à l’école, les écolières peuvent recevoir une bicyclette gratuite (en fonction de la distance entre leur maison et l’école) et après trois ans, l’école finance la construction de toilettes dans leur maison au village. Au départ, Sam a entièrement financé le projet avec ses économies.

Le matin, les élèves assistent aux cours normaux et le soir elles apprennent la broderie à la main et à la machine afin de confectionner des produits qui sont vendus dans des points de vente à Delhi et sur Internet.

Prenons le cas de Mamta, mère de trois filles et d’un garçon. Son mari est un travailleur migrant qui vient rarement voir sa famille au village. Mamta confectionne des vêtements pour le village. Elle gagne environ 1.500 roupies par mois. Elle n’est jamais allée à l’école. Quand nous l’avons rencontrée chez elle, elle a été une hôtesse charmante demandant à un enfant dehors qu’il aille nous acheter des biscuits « Parle G » pour accompagner le thé chaud et sucré qu’elle avait préparé pour nous. Elle m’a dit qu’elle envisageait de donner autant que possible une éducation à ses filles parce qu’elle ne pouvait pas payer leur dot et elle voulait qu’elles aient un travail afin de ne jamais se retrouver dans sa situation. Elle a demandé si elle pouvait être employée à l’école dans le département professionnel comme formatrice en couture. Le travailleur communautaire qui nous accompagnait a promis qu’il étudierait sa demande.

Le réel changement que l’école a apporté est sensible dans les villages où les femmes comme Mamta ont une voix nouvelle et rêvent pour leurs filles d’opportunités qu’elles n’ont jamais eues. Ce sont des femmes comme Mamta que Sam voulait atteindre à travers les avantages matériels qu’il offre.

Un autre obstacle à l’éducation des filles est la puberté, à partir de laquelle les filles quittent l’école. Sans accès à des installations sanitaires, contraintes d’utiliser des chiffons pendant leurs règles, les femmes des villages sont vulnérables aux maladies et aux infections.

Le projet « Rag to pad » (« des chiffons aux serviettes hygiéniques ») (2) fabrique des serviettes hygiéniques bon marché à partir de pulpe de bois et de gaze, vendues à 5 roupies le paquet aux élèves filles et à leurs proches de sexe féminin. Le projet est dirigé et géré par des diplômées de Pardada Pardadi qui ont des postes à temps plein à l’école.

Pour qu’une société intègre le changement, les histoires de réussite sont idéales pour alimenter l’imagination. Rencontrons Priti Chauhan, 21 ans, qui a rejoint Pardada Pardadi au début des années 2000 quand l’école a ouvert ses portes. Priti appartient à la communauté conservatrice des Thakur, dont les membres n’autorisent toujours pas leurs femmes à sortir de la maison. Elle a fini sa classe 10 et décidé qu’elle voulait devenir comptable. Elle a été employée en tant que telle dans l’école et reçu une formation sur place. Priti dit que pour la génération de sa mère, travailler en dehors de la maison était impensable. Elle se prépare maintenant à aller à Rudrapur pour une formation payée qui lui garantira un emploi. Devant choisir entre aller à Rudrapur ou Bangalore elle dit : « Rudrapur est plus proche de la maison. Je ne veux pas aller trop loin ».

Mais le chemin n’a pas été facile. Les gens se sentent menacés quand les structures du pouvoir sont remises en cause. Sam a même reçu des menaces de mort. Il dit avec philosophie : « J’ai vécu une bonne vie. Je sais que c’est là que je veux être. »

Quand on lui demande ce qui a changé en dix ans, Sam répond : « Je ne peux toujours pas faire en sorte que les filles rejettent la caste ; elles joueront avec des filles appartenant à d’autres castes mais elles feront toujours référence à elles comme ‘cette fille bhangar’ ou ‘cette fille brahmin’. Cependant des choses ont changé en mieux. Les filles sont intellectuellement réceptives à des idées nouvelles, des opportunités nouvelles, et ça, c’est la moitié de la bataille gagnée. Maintenant elles disent qu’elles doivent avoir un emploi et se marier tard, même si elles cèdent encore à la pression de leur famille. »

Neetu Tomar a 23 ans. Elle travaille au département de la santé de l’école, gérant les vaccinations et les autres programmes relatifs à la santé pour les étudiants. Elle passe actuellement l’examen pour les cours d’infirmière. « J’ai dit à mon frère cadet de se marier parce que je n’ai pas de projet de mariage pour le moment. Je veux devenir infirmière », dit-elle.

Lajjavati, une jeune mère de quatre filles, me dit : « Nous voulons que nos filles aillent à l’école, mais pas si elles sont diplômées et ne veulent pas se marier au bon âge ou dans la communauté ».

Les conflits sont inévitables, fracturant la colonne vertébrale de cette société où il est difficile pour une femme de 25 ans de trouver un mari et pour une femme célibataire de vivre seule. C’est la réalité ici. Mais le changement prend des générations et Pardada Pardadi a conduit ces jeunes filles à une étape qui indique qu’un processus plus grand, plus radical est en cours.

1 Equivalent de la Seconde en France, étape très importante de la scolarité en Inde
2 Lire « Des chiffons aux serviettes hygiéniques »

Key words

access to education, right to education, rights of children, women's rights, education and social change


, India

Notes

Lire l’original en anglais : Paying girls to stay in school

Traduction : Valérie FERNANDO

Source

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Yamini DEENADAYALAN, « Paying girls to stay in school », in InfoChange India, Avril 2010

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