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De l’interculturalité à la citoyenneté

Association Raconte-nous ton histoire

01 / 2011

La philosophie de dialogue interculturel entre habitants et institutions à la base du projet DiverCité (voir Où va se nicher l’interculturel ?) est inséparable d’une réflexion sur le fonctionnement de la société française, tout simplement en ce qu’elle permet de s’interroger sur les principes sur lesquels celui-ci repose et à la bonne manière de les mettre en œuvre.

L’un des principaux enseignements de nos débats est qu’il y a très peu de différences entre les cultures en ce qui concerne les grands principes, aussi bien moraux que juridiques. Tout le monde s’accordera d’une part sur la nécessité d’aider son voisin, de ne pas mentir, etc. ; d’autre part sur l’interdiction du vol, du meurtre, de la violence. Certes, même à ce niveau des grands principes, il y a tout de même des points qui peuvent poser problème. Ils ne portent pas sur les principes en eux-mêmes mais sur leur extension : on les appliquera uniquement dans ses relations avec les personnes de la même « culture », mais pas aux autres ; ou encore on les appliquera uniquement aux hommes mais pas aux femmes.

Même lorsqu’il n’y a pas de différence apparente dans les grands principes affichés, il peut aussi y avoir des différences importantes en ce qui concerne la manière de réaliser et de mettre en œuvre ces principes dans la réalité, et dans les modes de fonctionnement et les institutions qui sont créées à cette fin. L’exemple le plus parlant est celui de la solidarité à l’égard des enfants et des personnes âgées (voir Solidarités plurielles) : dans un village rural du Sud de la planète, ces tâches de soin sont entièrement assumées par la famille élargie et/ou les voisins, alors qu’en France elles sont prises en charge dans des proportions variables (mais jamais totalement, quoi qu’en pensent certains migrants) par des formes de solidarité indirecte, gérées par les pouvoirs publics. Il peut également arriver, lorsque dans une situation donnée, deux grands principes entrent en contradiction, que des cultures différentes accordent une plus grande importance à l’un ou à l’autre de ces principes. Par exemple, l’équilibre et le partage entre responsabilité individuelle et responsabilité collective sera différent selon les cultures.

Une occasion de réflexion sur le fonctionnement des institutions françaises

Une démarche interculturelle permet de ramener les discussions et les confrontations sur un terrain commun, celui des principes, et donc de remettre les situations de tension en perspective. Ce faisant, elle peut aussi permettre de soulever la question de savoir si nos propres modes de fonctionnement et les règles que nous avons mises en place sont forcément les meilleurs pour mettre en œuvre tel ou tel principe, ou s’il ne faut les adapter au vu de l’expérience acquise et des évolutions de la société. Quoiqu’en aient certains, l’arrivée de populations qui n’ont pas forcément les habitudes acquises que supposent parfois nos règles ou nos modes de fonctionnement (ou au contraire qui ont préservé certaines habitudes que les populations plus anciennement présentes ont perdues du fait de la modernisation de la société française) constitue une raison tout à fait valable de procéder à une telle interrogation si elle peut amener des progrès pour tous. Un bon exemple est celui des règles de fonctionnement du logement social. Il y aurait donc place pour un dialogue sur la meilleure manière de réaliser certains principes partagés par tous. Ceci ne signifie pas bien entendu qu’il faudrait à chaque fois renégocier avec chaque nouvel arrivant pour qu’il accepte l’application des règles existantes ; mais, à l’inverse, si l’on se contente d’imposer des règles sans laisser ouverte la possibilité d’interroger leur sens, il y a de fortes chances qu’elles soient perçues comme arbitraires.

Les débats et rencontres avec les habitants organisés au fil des années à Belleville dans le cadre du projet DiverCité ont permis de mesurer l’importance cruciale d’un travail d’accueil et d’information des populations immigrées sur le fonctionnement du système social français et sur leurs droits et devoirs. La logique et les règles du système français sont mal connues, de sorte que les gens peuvent avoir une impression d’arbitraire ou de personnalisation, voire de discrimination, parce qu’ils ne comprennent pas pourquoi un tel bénéficie de tel aide et pas eux. Informer les immigrés, et particulièrement les femmes, sur leurs droits est aussi une entreprise de libération, qui leur permet de se positionner en citoyen-ne-s.

À cet égard, la culture politique prévalant dans la région ou le pays d’origine a une influence déterminante. Il est évident que si une personne vient d’un pays sous gouvernement autoritaire, ou bien où les relations avec les politiques et les fonctionnaires se font toujours sous le registre de la personnalisation, du clientélisme ou de la corruption, ou encore où la culture juridique écrite n’est pas développée, elle aura d’autant plus de mal à comprendre le fonctionnement de la culture démocratique et administrative française.

Nous nous sommes aussi rendu compte que les problèmes que décrivent les gens ne relèvent pas seulement d’une mauvaise « explication » de la manière dont le système fonctionne, mais tiennent aussi pour une part à ce que ce système est confus en lui-même, pour diverses raisons. Parmi ces raisons, le fait que les grandes lignes en aient été établies il y a plusieurs décennies, avec en vue la société d’alors, et que le sens en soit devenu plus opaque ; ou encore les multiples réformes du droit social et de celui des migrations de ces dernières années (voir Le flou des droits : pourquoi le système social français peut être difficile à comprendre). Rétrospectivement, ces réformes paraissent animées par une volonté de « culpabiliser » voire d’humilier aussi bien le migrant que le bénéficiaire de la protection sociale – en présentant le fait d’être en France ou celui de recevoir de l’argent de l’Assedic ou de la CAF comme une « faveur », quelque chose qui ne serait pas normal.

Ces tendances empêchent tout le monde, Français et immigrés, de se positionner en citoyens vis-à-vis de ce système. Autrement dit, si ce système est en crise (ce qui est à relativiser), il s’agit tout autant d’une crise de sens que d’une crise de financement. Les problèmes interculturels permettent donc de mettre en évidence des enjeux, des dysfonctionnements plus ou moins profonds du système, qui concernent en fait tout le monde.

Pour les usagers et des migrants, prendre le temps d’expliquer le sens des règles, les tenants et les aboutissants des décisions prises par les services sociaux, est encore un moyen de « défaire les nœuds » des malentendus et des tensions et de lutter contre le sentiment répandu, mais pas toujours justifié, d’être victime de discrimination parce qu’on n’obtient pas telle prestation reçue par le voisin, ou pas de logement social. On passe du statut de victime à celui de porteur de droits.

La citoyenneté des migrants

En fin de compte, reconnaître aux populations migrantes une voix au chapitre en matière de débat sur le fonctionnement des institutions, des services publics et de la protection sociale revient à reconnaître leur citoyenneté. Que cela plaise ou non (notamment aux politiciens qui depuis des années enchaînent les réformes dans le but au fond de « dé-citoyenniser » les étrangers), vouloir restreindre la citoyenneté à la nationalité et même au droit de vote formel est aussi fictif qu’illusoire. Les migrants – y compris les sans-papiers – ont des droits et des devoirs, ils sont intégrés à de multiples niveaux au fonctionnement de la société, et souvent davantage en tant que contributeurs qu’en tant que bénéficiaires. Le refus de le reconnaître ne peut qu’entraîner en contrecoup des réactions de rejet de la part des migrants ou de leurs enfants. Or l’expérience partagée par les habitants de Belleville tend à suggérer que ce sont souvent les « institutions » - au niveau national, celui des politiciens et des médias, mais aussi parfois sur le terrain, au niveau des interactions quotidiennes – qui refusent de reconnaître l’existence d’un espace de citoyenneté partagé et leur renvoient une image d’intrus illégitime ou d’assisté. Bien sûr, il faut faire la part des choses dans ce que disent les habitants : les diverses institutions qui sont présentes sur un quartier ont aussi un impact très positif en termes de citoyenneté. Il n’empêche que lorsque le message global adressé aux migrants reste très ambigu, et qu’il revient aux institutions de faire le premier pas.

Dans certains cas, comme à l’école à travers la représentation des parents d’élèves, il existe d’ores et déjà des dispositifs formalisés de participation, et il faut bien évidemment encourager les migrants à s’y intéresser. Ils sont nombreux par exemple à imaginer que le fait qu’ils ne soient pas Français les empêche de participer. Pour autant, ces modes de participation ne sont pas forcément les plus adaptés à la situation des migrants : le pouvoir des représentants de parents d’élève est relatif, la participation effective requiert un certain bagage culturel et administratif, les parents immigrés ont souvent moins de facilités à se libérer pour les réunions, etc. Là encore, la faiblesse de la participation à ces dispositifs ne concerne pas seulement les parents immigrés, loin, de là, mais la population dans son ensemble.

Même si les échanges avec les habitants ont tendu à montrer que la revendication du droit de vote n’était pas forcément au premier plan de leurs préoccupations, le meilleur moyen d’affirmer et renforcer la citoyenneté des migrants reste de faire progresser enfin ce dossier, non pas tant en vue des élections elles-mêmes que pour l’importance symbolique de cette reconnaissance. La contribution et la légitimité des migrants doivent être reconnues, et ils doivent être rendus davantage acteurs du système (par exemple en aménageant des possibilités de participation plus adaptées à leur propre expérience et à leur situation) dans le cadre d’une communauté de citoyens élargie, au risque que cela ébranle certaines positions ou certaines certitudes établies. C’est peut-être le déni de cette nécessité qui contribue en fin de compte plus que tout autre facteur à la crise de sens que connaissent nos institutions sociales, et qui les rend d’autant plus vulnérables aux attaques de l’idéologie néolibérale.

Key words

migration, public administration, cross cultural dialogue, cross cultural education


, France, Paris, Belleville

file

DiverCité : « Migrations, interculturalité et citoyenneté en France : enseignements d’un dialogue avec les institutions et les habitants dans le quartier parisien de Belleville »

Notes

Ce texte fait partie du dossier « Migrations, interculturalité et citoyenneté », issu d’un ensemble de débats et de rencontres organisées dans le quartier de Belleville à Paris entre 2004 et 2009, avec des habitants (issus des migrations ou non) et des représentants de diverses institutions présentes sur le quartier. Les textes proposés dans le dossier reprennent les principaux points saillants de ces discussions, dans le but d’en partager les leçons.

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