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La sériciculture en Inde, panacée face au sous-développement ?

Frédéric LANDY

03 / 1994

L’Inde centrale reçoit souvent moins de 800 mm de pluies annuelles. Une seule culture de pauvre millet, guère d’activités non-agricoles: les petits paysans n’ont donc d’autres choix que d’émigrer en ville, au moins pour un séjour de quelques années. Pour lutter contre l’exode rural et le sous-développement, l’Etat indien, notamment au Karnataka, a beaucoup misé sur le ver à soie.

Si l’Inde est le second producteur mondial de soie, le Karnataka en produit l’essentiel, et cette activité est en plein essor, relayé par l’aide de la Banque Mondiale. Dans le sud de l’Etat, des régions vivent depuis plus d’un siècle de la culture d’un mûrier résistant à la semi-aridité, avec les feuilles duquel on parvient à nourrir des vers "multivoltines". Cependant, la soie est de qualité souvent médiocre: aussi tente-t-on de développer l’élevage de vers "bivoltines" plus productifs, ou à défaut de vers croisés "multibivoltines" moins fragiles que les bivoltines. Cependant, ces nouvelles races demandent deux fois plus de feuilles que les races locales: il leur faut un mûrier de variété améliorée, qui lui même exige de l’irrigation.

Dans les zones de sériciculture traditionnelle, le nouveau mûrier n’a pu guère s’implanter, faute d’eau: quand les paysans disposent d’un puits, ils accordent souvent la priorité aux cultures vivrières. Mais dans les zones où a récemment été introduite la sériciculture, le mûrier irrigué occupe les meilleures terres; une autre particularité est que les planteurs de mûriers y sont toujours éleveurs de vers, tandis que dans les zones traditionnelles les deux activités sont souvent dissociées.

Le nord du district de Mandya ne connaît la sériciculture que depuis 1978: là, on arrive avec 20 ares irrigués à produire 45 kg de cocons en moyenne. Mais les résultats, largement supérieurs à ceux des zones non irriguées, sont inférieurs de moitié à ceux du Japon, et surtout sont marqués par leur irrégularité: problème d’eau ou de main-d’oeuvre (un hectare de mûrier exige au total presque un millier de jours de travail, notamment pour nourrir en feuilles les vers à la fin de leur cycle), qualité des oeufs (pourtant souvent achetés dans des magasins publics), problème d’hygiène (les vers sont souvent stockés dans la pièce commune de la maison, avec les hommes et le bétail). L’administration incite à se protéger contre la dangereuse mouche uzi, propose dans les villages de prendre en charge la première semaine du cycle du ver, offre des engrais gratuits aux Intouchables, et des pesticides aux éleveurs de bivoltines, propose des prêts pour tous. Elle organise la vente aux enchères des cocons dans de grands "marchés reglementés" où les filatures publiques ont obligation d’acheter à des prix assez élevés. (L’Inde aurait certes intérêt à des cours de la soie meilleur marché... mais non les régions productrices. Entre l’intérêt régional et l’intérêt national, l’Etat a choisi... la région).

L’adoption de l’innovation proposée par l’Etat a été sélective: tout d’abord, les bivoltines sont peu élevés en raison de leur fragilité. Ensuite, les surfaces cultivées en mûrier ne représentent jamais plus de 3 ou 4 % de la SAU des zones non traditionnelles. D’une part parce que là le mûrier est toujours irrigué, et que les puits sont peu nombreux. D’autre part parce que les exigences en main-d’oeuvre obligent à engager des ouvriers agricoles qui peuvent se trouver peu disponibles lors de la saison des moissons ou des fêtes: paradoxe d’une activité qui est encouragée par l’Etat parce qu’elle peut réduire le sous-emploi agricole, mais qui souffre de ce que ce sous-emploi soit d’ampleur fort irrégulière selon les mois!

Dernier problème: la sériciculture par les revenus qu’elle procure est censée réduire la pauvreté rurale. Mais qui peut se permettre une culture irriguée sinon les propriétaires de puits et de pompes, donc les riches? Les pauvres ne peuvent cultiver de mûrier amélioré; et ils ne sont pas encouragés à cultiver du mûrier plus frustre, car les multivoltines qu’ils nourrirraient ne produiraient pas une soie facilement exportable.

Key words

agriculture, state intervention in agriculture, irrigation, traditional techniques upgrading


, India, Karnataka

Comments

La sériciculture rapporte de l’argent aux paysans - et à l’Etat exportateur - et donne du travail aux pauvres ruraux. C’est sur ce constat que se fonde la politique de l’Inde. Mais elle oublie que c’est une activité élitiste socialement si elle se fonde sur du mûrier irrigué, et que l’impact sur l’emploi rural sera faible si peu de paysans élèvent des vers à soie. En fait, cette activité réservée aux plus riches aurait plutôt tendance à creuser les écarts sociaux. Panacée, la sériciculture? Sans doute pas autant qu’on a pu le rêver.

Notes

Cette fiche a été élaborée à partir de ma thèse qui doit être publiée en 1994 sous le titre : "Paysans de l’Inde du Sud", chez Karthala.

Source

Theses and dissertations

LANDY, Frédéric

Université de Paris 10 (Centre d’étyudes de l’Inde et de l’Asie du sud) - 59 Rue Bazire, 76300 SOTTEVILLE LES ROUEN. FRANCE. Tel 33 (0) 140 97 75 58. Fax 33 (0) 140 97 70 86 - France - frederic.landy (@) wanadoo.fr

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