español   français   english   português

dph is part of the Coredem
www.coredem.info

search
...
dialogues, proposals, stories for global citizenship

Impunité et justice dans le conflit israélo-palestinien

Ilan HALEVI

10 / 1995

Le concept d’impunité renvoie au double sens de la justice: système de valeurs qui sous-tend le droit dit « naturel », mais aussi processus judiciaire. Ces notions, cependant, n’émergent qu’en relation à des « injustices », c’est-à-dire après que des « crimes » ont été perpétrés.

De la notion de « justice relative »

Dans l’expérience historique du peuple palestinien, la notion de justice a subi une distorsion douloureuse. En effet, la création de l’Etat d’Israël en 1948 a constitué une injustice historique, avec laquelle le peuple palestinien a été sommé de composer : la reconnaissance du fait colonial israélien dans ses « frontières » d’avant 1967 a en effet été posée comme condition même de la participation palestinienne.

Cette « prescription » de l’injustice commise il y a un demi-siècle est devenue cruciale dans le combat pour abolir la deuxième injustice: l’occupation, en 1967, de la Cisjordanie, de Jérusalem Est et de la bande de Gaza.

En contradiction avec ses propres textes fondateurs, l’OLP s’est engagée depuis vingt ans dans la revendication de l’Etat palestinien indépendant sur un quart du territoire de la Palestine mandataire, c’est-à-dire dans la recherche de ce que Yasser Arafat appelait « la justice relative ».

Ce relativisme découle essentiellement de la nature du compromis historique qui le sous-tend, entre l’histoire de la Palestine arabe et la réalité de l’Etat-colon israélien, entre le rêve et la dure résistance de faits accomplis.

Il ne faudrait pas n’y voir que le triomphe de la raison sur la passion, sans y reconnaître le poids écrasant d’un rapport de force dominé par la disparition de tout jeu bipolaire dans les relations internationales.

Il n’en reste pas moins que la paix aujourd’hui programmée au Moyen-Orient repose sur la recherche d’un équilibre ou il n’y aurait ni vainqueur ni vaincu, où la double négation (celle de la nation indigène par les colons, et celle de l’Etat-Nation des colons israëliens par le peuple palestinien)se solderait par un double échec et un compromis mutuel : l’occupant renonçant au quart du territoire déjà occupé, l’occupé renonçant à revendiquer les trois autres quarts et à y ériger les bases de sa vie nationale aujourd’hui désintégrée.

Cette double incapacité (israélienne à faire disparaître le peuple palestinien, et palestinienne à « libérer » l’ensemble de la Palestine) ne suffit hélas pas à transformer en équilibre le rapport de force écrasant, sur le terrain, en faveur de l’occupant israélien. Mais elle écarte de fait les solutions « justes » qui supposent une victoire explicite du « droit », l’ONU aussi bien que la lettre du droit international au profit du droit de veto pratique que s’arroge celui qui tient toutes les cartes en main.

Il ne fait aucun doute que cet aspect moralement insatisfaisant, du point de vue du peuple palestinien, du processus en cours est pour beaucoup dans la tiédeur du soutien populaire, et le sentiment généralisé que la paix est synonyme, non seulement d’oubli mais aussi d’impunité pour les criminels. D’autant plus que dans la réalité du processus, ce sont les artisans même de la double dépossession du peuple palestinien en 1948 et en 1967 qui ont tiré les conclusions de leur échec relatif: non pas des opposants à leur politique qu’un électorat las de la guerre aurait porté au pouvoir, mais les auteurs même de l’injustice historique convertis au nouveau réalisme.

Des crimes de guerre, cependant, peuvent être commis par la partie globalement « juste » - celle dont le combat est porteur de la restauration ou de l’instauration du droit, contre la population civile de la partie adverse, globalement « injuste » - celle dont les objectifs sont contraires au droit. Les bombardements de Hiroshima et de Nagasaki, mais aussi de Dresde et Leipzig appartiennent de toute évidence à cette catégorie. Ils n’ont cependant fait l’objet d’aucune mise en cause à caractère judiciaire, ni nationalement, ni internationalement. Car seuls les crimes de guerre commis par ceux qui vont devenir les vaincus font l’objet d’une répression et d’une condamnation aussi massive que rétroactive.

Dans l’histoire du conflit israélo-palestinien, l’invasion israélienne du Liban au cours de l’été 1982 est une exception à cette règle: la victoire militaire de l’occupant (départ organisé des forces de l’OLP de Beyrouth)ayant débouché sur les massacres de Sabra et Chatila, la dénonciation des crimes de guerre israéliens recevait un indéniable écho international, et même israélien. Elle n’entrainait cependant que la constitution d’une commission d’enquête israélienne officielle, aux objectifs restreints, et n’était suivie d’aucune condamnation personnalisée.

La Commission Kahane, en effet, n’examine ni la question des exécutants, ni l’hypothèse de l’intention criminelle, mais la seule question de la responsabilité israélienne indirecte, au sommet de la hiérarchie politique et militaire, dans l’exécution du massacre par une tierce partie (« libanaise ») sur laquelle la commission ne se reconnait pas de juridiction. Elle crée aussi le précédent : en février 1994, après le massacre de la mosquée d’Abraham à Hébron, c’est l’autorité responsable du crime qui conduit l’enquête et décrète l’absence de poursuites judiciaires, ce dont la communauté internationale se contente.

On comprend alors que l’opinion palestinienne n’imagine la paix que sous les traits de la « réconciliation », la « sulha », qui implique de tourner la page et de pardonner les offenses du passé. On comprend aussi l’irritation face à l’hypocrisie de l’occupant prétendant, pour justifier la libération sélective des prisonniers politiques, discriminer entre ceux qui ont « du sang sur les mains » et les autres : cette distinction ne pourrait se justifier que si l’on était dans une logique de justice et de rétribution de l’ensemble des crimes commis par les belligérants dans le contexte du conflit.

Amnistie ou amnésie ?

Dans le cas de conflits à caractère communautaire, confessionnel, éthnique ou national, la paix suppose de toute façon l’amnésie, sans laquelle la coexistence pacifique ne peut être perçue comme plausible.

Entre la justice-vengeance et le pardon généralisé sans lequel la reconstruction et la réconciliation resteront de vains mots, la conscience et l’opinion populaire posent comme une exigence incontournable la reconnaissance de l’injustice subie. On le verra lorsque la négociation portera sur la question des 3 ou 4 millions de réfugiés palestiniens (selon les critères retenus) : seule la reconnaissance du droit de retour - donc la reconnaissance rétroactive de la réalité de l’expulsion de 1948 - peut ouvrir la voie à un véritable compromis dans la pratique.

L’exigence minimum serait de « dire le Droit », même si ce dernier n’est jamais totalement appliqué. L’impossibilité d’énoncer la justice est hélas une hypothèse hautement plausible qui, parce qu’elle fragilise le lien entre l’opinion populaire et le mouvement/gouvernement qui la conteste et l’entérine, elle ne contribue guère à enraciner l’idée de paix dans la société.

FPH (Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme) - 38 rue Saint-Sabin, 75011 Paris, FRANCE - Tél. 33 (0)1 43 14 75 75 - Fax 33 (0)1 43 14 75 99 - France - www.fph.ch - paris (@) fph.fr

legal mentions