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Les voyageurs individuels sont-ils de bons voyageurs ? A partir de quand un voyageur fait-il du bien, fait-il du mal ?

Dora VALAYER

08 / 1997

Il ne fait aucun doute que ce qu’on appelle le tourisme de masse, qui utilise les moyens de transport les plus importants, avec les infrastructures les plus lourdes, qui impose des déplacements de populations, la défiguration des paysages, et entraine une urbanisation porteuse de maux sociaux, semble être l’activité touristique la plus dommageable pour les populations locales. Les voyages individuels, comme autrefois, seraient-ils alors les seuls à ne pas faire de mal dans le pays qu’ils visitent ? On pourrait le penser, et l’association ABS (Aventure du Bout du Monde), son magazine Globe-Trotters et son festival annuel qui regroupe des milliers de visiteurs pourraient le laisser penser.

Ce sont pourtant les responsables eux-mêmes de cette association et de son festival qui se sont posé la question en 1996 lors de la préparation de leur festival de novembre, en inscrivant ce thème au programme de leur festival 1996 sous le titre "la responsabilité des voyageurs"

Il apparaît que le terme de "voyageur individuel" recouvre en réalité une quantité de formes de voyages, et une quantité de motivations qui ne s’avouent pas toujours. "Aller à la rencontre de l’autre" ou "des autres" ou "des autres cultures" sont des formules généreuses qui ne veulent pas dire grand’chose si l’on ne continue pas en disant ce qu’on va faire de l’autre après l’avoir rencontré. Une famille entière part en voilier pour plus d’un an, les enfants seront scolarisés par correspondance, le circuit n’est que sommairement esquissé, et l’imprévu dictera la durée des étapes. Un chômeur de longue durée met entre parenthèses sa recherche d’emploi et, peu argenté, profite abondamment de l’"hospitalité légendaire" d’un peuple du tiers-monde. Un jeune photographe ou cinéaste prépare un concours qui lui permettra peut-être de gagner un prix conséquent ou de financer son prochain voyage. Un groupe d’explorateurs cherche à rejoindre un lieu encore inviolé. Un autre réalise une compétition d’endurance sur un site dangereux. En évacuant les projets les plus condamnables comme la prostitution enfantine ou quelque trafic, la question est en effet posée : quand un voyageur est-il un bon voyageur, et à partir de quand commence-t-il à devenir dangereux pour les pays qu’il a choisi de visiter ? La réponse est en effet difficile, d’abord parcer que le pire des voyageurs peut changer au cours de son voyage. Si l’on élimine celui qui ne part que pour vérifier ce qu’il savait déjà, il reste tous ceux qui à leur retour ne seront jamais plus les mêmes. Les enfants du voilier ne grandiront jamais comme ils l’auraient fait entre les murs d’une salle de classe. Que celui qui a vécu chez l’habitant y a découvert des valeurs inconnues qui l’ont changé à jamais, et que la vidéo rapportée aura servi à diffuser des images qui auront contribué à faire connaître la planète à ceux qui la verront. Un autre affirme qu’il voyage en tant que "témoin" de la richesse ou de la souffrance d’un peuple pauvre. Y a-t-il une réponse ? Il semble bien que la seule réponse possible ne soit pas ce que le voyageur a pu y gagner, en culture, en information, ou en gloire fragile, car il sera toujours gagnant, mais ce que l’habitant du pays d’accueil a gagné, ou a peut-être perdu, lui, à cette intrusion parfois indiscrète. En réalité le seuil de tolérance est beaucoup plus bas qu’on ne peut le penser. Lors d’une prise de parole à une table ronde du festival des Globe-Trotters 1996, une Africaine a décrit le comportement du jeune occidental qui, accueilli à la mode africaine, n’en finissait pas de chercher à en tirer parti, et c’est la responsable d’une association de voyage qui a dit avec force qu’à ses yeux le meilleur des voyages serait celui où le voyageur n’aurait pas d’appreil photo. Tant que le voyageur reste un consommateur à l’affut du bénéfice personnel à tirer de son voyage, il est en situation de pouvoir faire du mal aux populations fragiles qu’il visite. Par ailleurs la confrontation de deux modes de vie peut en elle-même être dommageable pour le plus fragile des deux. Le plus grave, c’est que le voyageur individuel n’est individuel que pour lui-même, car il est désormais multiplié par des milliers, voire des millions, et c’est une prise de conscience qu’il fait rarement. Les problèmes éthiques peuvent-ils être escamotés ?

Key words

tourism, consumption, ethics, ideology, cultural alienation, obstacle to communication


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Comments

La question de savoir à partir de quand un voyageur peut être "bon" ou "mauvais" est très difficile. La première chose est qu’elle ne peut pas ne pas être posée, alors que bien souvent, même le voyageur individuel voudrait être libéré de toute pression d’ordre éthique. En réalité, la relation marchande qui s’introduit dans la plupart des relations créées par le tourisme, qu’elle surgisse entre le visiteur et le visité, ou chez le seul visiteur (s’il entend "monayer" d’une façon ou d’une autre cette rencontre)suffit à elle seule à perturber cette relation. Un "riche" même désintéressé ne rencontre pas un "pauvre" sans que, d’une façon ou d’une autre, celui-ci n’en fasse quelque part les frais. On pourrait alors dire que le seul voyageur qui ne fait pas de mal est le voyageur qui a inscrit, ou qui introduit dans sa démarche de voyageur une volonté de ne pas accepter telles quelles les règles de fonctionnement de la société mondiale qui veut qu’il soit d’un côté de la consommation, et son hôte d’un autre. On peut dire alors qu’il n’est de bon voyageur que celui qui reste attentif, même en voyage, aux droits de l’homme. Il n’est de bon voyageur que militant.

Notes

Les noms et adresses des organismes qui réalisent des voyages responsables ou de ceux qui analysent en permanence les effets des voyages dans le tiers-monde sont disponibles à Transverses

Source

Articles and files ; Book

ABM=Association du Bout du Monde, ABM in. Globe-Trotters, 1996/08 (France), 48; Les livres de fond qui traitent du tourisme abordent tous ces questions fondamentales, en particulier ceux publiés aux éditions L'Harmattan dans la collection Tourismes et Sociétés.

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