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La mobilisation pour Tchernobyl aura-t-elle lieu ?

Elisabeth BOURGUINAT

10 / 1998

Xavier Gorge est responsable d’une filiale de la Cogema qui est engagée dans le projet de démembrement de l’usine de Tchernobyl : très rapidement après l’accident, et au prix d’efforts héroïques de la part notamment des soldats russes, un sarcophage de béton et d’acier a été construit et un système de refroidissement installé en sous-sol pour empêcher la centrale de s’enfoncer progressivement sous l’effet de la chaleur interne ; mais des risques importants demeurent. Le sarcophage se dégrade lentement et peut s’effondrer partiellement, libérant les poussières contaminées qui sont actuellement en suspension dans l’enceinte ; par ailleurs, les huit cents dépôts de déchets radioactifs dispersés sur le site, dépôts très volumineux du fait de l’explosion, finiront tôt ou tard, si rien n’est fait, par contaminer les nappes phréatiques, ce qui serait catastrophique.

Un programme d’assistance au pays de l’est, TACIS, a lancé à partir de 1991 une consultation très large pour étudier l’alternative de démanteler le réacteur ou de construire un nouveau sarcophage. La solution finalement retenue consiste à démanteler le réacteur, ce qui suppose de construire une arche gigantesque au-dessus du sarcophage, pour assurer le confinement avant de commencer les opérations.

Aux problèmes techniques posés par ce projet, qui comporte nombre d’inconnues qui devront être traitées au fur et à mesure de l’avancement des opérations, s’ajoutent de considérables difficultés d’organisation liées à la multiplicité des intervenants et à la diversité de leurs motivations.

Le gouvernement ukrainien et surtout l’opinion publique ukrainienne souhaitent que cette centrale qui a coûté déjà tellement de vies humaines soit fermée, mais ils n’ont manifestement pas les moyens de prendre l’opération en charge : l’indépendance de l’Ukraine, acquise en 1991, quelques années après la catastrophe, a entraîné le départ des Russes, qui possédaient les compétences techniques sur les questions nucléaires, ainsi que leur désengagement financier. Les Occidentaux souhaitent tout aussi vivement que le problème soit réglé de façon satisfaisante, pour une raison fort simple : ils doivent rassurer leur opinion publique à l’approche de la période où toutes les centrales nucléaires devront être renouvelées (entre 2010 et 2015).

Le projet est cependant bloqué, dans l’attente d’un " client " : les donateurs sont extrêmement nombreux - ce qui ne facilite pas la prise de décision - mais ne peuvent être considérés comme le véritable client : le client n’est pas seulement celui qui paye ; c’est celui qui est " intéressé par le résultat ", et en l’occurrence, ce devraient être au premier chef les Ukrainiens.

Mais les plus intéressés par le projet ne seraient-ils pas plutôt Framatome ou l’industrie occidentale ? Les Ukrainiens ont à faire face à des pollutions par les métaux lourds, dans le bassin du Donetsk, qui sont autrement préoccupantes pour eux dans l’immédiat. Leur intérêt - qu’ils ont d’ailleurs bien compris - est de proposer aux occidentaux de régler eux-mêmes la facture.

Key words

governance, nuclear energy, nuclear plant, nuclear waste, nuclear pollution, ecological disaster, citizen responsibility


, Ukraine

Comments

L’histoire de Tchernobyl est un exemple caractéristique de la difficulté actuelle à définir et à mettre en ouvre des responsabilités collectives. Au delà du démantèlement du réacteur 4 de Tchernobyl, se pose la question des autres centrales qui ont été construites sur le même modèle et ne sont pas près d’être arrêtées, notamment celles qui alimentent Saint-Pétersbourg en électricité. Qui doit l’emporter, entre les tenants d’une solution écologique et ceux qui se préoccupent surtout d’économie ? Jusqu’à quel point ceux qui, en Occident, veulent continuer à développer des programmes d’énergie nucléaire doivent-ils se montrer solidaires des problèmes posés par le nucléaire dans les pays qui connaissent des difficultés économiques ? L’opinion occidentale s’émeut beaucoup des risques provoqués par Tchernobyl et par les autres centrales des pays de l’est (le nuage qui a survolé nos pays a frappé les esprits autant que les comètes autrefois), mais sommes-nous prêts à " payer la facture " pour que ces risques soient supprimés ? Par ailleurs, à qui revient-il de décider qu’un pays a ou n’a pas les moyens de " s’offrir " l’énergie nucléaire, et par conséquent que ses centrales nucléaires peuvent être conservées ou doivent être fermées ?

C’est autour de ce type de problèmes que l’absence d’une vraie " gouvernance mondiale " se fait le plus cruellement sentir ; si la communauté internationale n’est pas parvenue, dix ans après cette catastrophe particulièrement spectaculaire, à régler le problème, qu’en sera-t-il des pollutions beaucoup moins visibles et tout aussi dramatiques qui se produisent un peu partout, dans des pays incapables, pour des raisons économiques, de prendre en charge eux-mêmes les mesures qui s’imposent ?

Source

Colloquium, conference, seminar,… report

GORGE, Xavier, CLAES, Lucien, Ecole de Paris de Management, Tchernobyl et l'avenir du nucléaire à l'est, Association des Amis de l in. Les Annales de l'Ecole de Paris, 1997 (France), III, Une version proche de ce texte a été publiée dans la revue Gérer et Comprendre n° 47, mars 1997.

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