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Le nouvel esclavage en mer : le problème des bateaux ramasseurs

Aliou SALL

10 / 1999

Un phénomène qui a vite gagné en ampleur à Saint Louis est celui des bateaux ramasseurs. A l’origine c’est un homme d’affaire sénégalais en collaboration avec un navire espagnol qui a commencé l’opération en 1978.

Il s’agissait de recruter des pêcheurs sur les côtes sénégalaises pour aller pêcher le long de la côte ouest africaine. Les pêcheurs de Joal sur la Petite Côte ont été les premiers à être approchés. Mais lorsque la commune a voulu s’y mêler en réclamant des taxes aux bateaux, ces derniers se sont rabattus sur les pêcheurs de Kayar et de Yoff qui ont vite découvert que cette opération était une exploitation abusive de leur force de travail.

Une dizaine de bateaux congélateurs pour la plupart coréens, portugais ou espagnols et battant pavillons de complaisance viennent embarquer pêcheurs, pirogues et moteurs pour des zones de pêche lointains avec la complicité de recruteurs locaux et de certaines autorités qui cautionnent ces aventures qui constituent le début de la pire des formes d’injustice humaine.

Ces bateaux d’un temps révolu ont pris à bord en moyenne, en plus de la quarantaine de pirogues, quelques 250 pêcheurs, une trentaine de matelots et une dizaine de membres d’équipage.

Les conditions de vie sont plus que difficiles et les habitations conçues pour les pêcheurs sont trop exiguës, ce qui ne permet pas à ces derniers de se tenir debout à l’intérieur de leurs tentes où tout déplacement nécessite l’utilisation des quatre membres. Et lorsque ceux des tentes au-dessus urinent, ceux de l’étage en dessous couchés sur des cartons aménagés pour la circonstance en lits de fortune voient dégouliner tout près d’eux les urines.

Les conditions sanitaires et hygiéniques sont très mauvaises et ne prennent nullement en compte la dimension humaine du pêcheur. Un seul repas y est servi et sa qualité laisse à désirer. Le seul médecin qui officie dans ces bateaux qu’on peut considérer comme de véritables cercueils navigants est là pour les Coréens et les pêcheurs se trouvent confrontés en cas de maladie à de graves difficultés du fait de l’absence de paramédicaux et d’une boite de pharmacie digne de nom.

Le soir, fatigués par treize heures de dur travail, les pêcheurs se rabattent sur les beignets, les biscuits ou le couscous à l’eau sucrée que leurs parents leur ont fourni au départ de Saint Louis.

Une ration journalière de 12 à 15 litres d’eau est servie à tout un équipage, ration qui peut à la rigeur correspondre à 5 personnes pour se désaltérer, faire son thé et se laver. C’est pourquoi, il est fréquent de voir des pêcheurs ne prendre la douche que deux ou trois fois pendant une marée de deux à trois mois. A Saint Louis l’on compte des dizaines de pêcheurs qui ont contracté des maladies bénignes sur ces bateaux et faute de soins leur état s’est empiré et leur maladie est devenue petit à petit incurable.

L’indifférence des Coréens devant tous ces agissements est totale et ils n’entretiennent presque pas de relations humaines avec les pêcheurs. Leur seul souci c’est de les libérer comme on en ferait avec une meute de singes chapardeurs.

Pourtant, les armateurs présentent souvent des licences apparemment en bonne et due forme pour rassurer les équipages mais dans les zones de pêche, ce phénomène est récurrent sur ces bateaux et ce sont toujours les pêcheurs qui subissent les plus grands préjudices.

Combien sont-ils à être tombés en plein dans des guerres qui ne sont pas les leurs (Cabinda, Congo, Liberia, Sierra Leone)ou à être portés disparus et dont les parents malheureux espèrent toujours leur retour parce que tout simplement leurs exploiteurs se soucient peu de savoir s’ils sont en danger de mort dès lors qu’il sont à l’abri dans les eaux internationales et que les sujets de service leur ramènent des quintaux de poissons frais.

Les autorités au diapason de ce qui se passe dans ces bateaux pouvaient continuer de fermer les yeux sur cette nouvelle forme d’esclavage si des arraisonnements en Angola et les conditions de détention des pêcheurs avant leur rapatriement n’avaient ému les Sénégalais. En effet, plus de 500 pêcheurs, une centaine de pirogues motorisées et des centaines de tonnes de poissons ont été saisis et retenus en Angola au courant du mois de novembre 1998 du fait que les bateaux coréens sont allés pêcher frauduleusement dans des eaux interdites sans sécurité, assurance et toute autre forme de garantie.

Key words

fishing, traditional fishing, fisherman artisan, human right abuses, working conditions


, Senegal

Comments

Pourtant des pêcheurs continuent de penser que c’est un mal nécessaire pour faire face aux problèmes sociaux découlant de la crise de la ressource dans les eaux sénégalaises. Pour le Credetip et le CNPS l’information et la sensibilisation commencées doivent être continuées et renforcées. Mais face aux risques encourus en cas d’arraisonnement, les pêcheurs se doivent de prendre leurs responsabilités et de les assumer.

L’amélioration de leurs conditions de vie et de travail dans ces navires passe inévitablement par une prise de conscience et une solidarité entre les pêcheurs, seule issue qui s’offre à eux pour une prise en compte de leur statut d’être humains d’abord et de professionnels ensuite du secteur de la pêche.

Les autorités ont aussi à réorganiser ce trafic sur des bases claires et honorables en tenant compte des intérêts des pêcheurs pour une solution peut- être définitive du problème.

Auteur :

Auteur institutionnel :Credetip

Date ; Décembre 1998

Mots clefs :Exploitation - Domination - Bateau - Pêche -Commerce - Esclavage - Relations - Humanités -Droits de l’homme - Respect - Solidarité.

Notes

Aliou Sall est socio-anthropologue, spécialiste de la pêche. Il est aussi le secrétaire exécutif du Credetip.

Source

Original text

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CREDETIP (Centre de Recherche pour le Développement des Technologies Intermédiaires de Pêche) - B.P. 3916 Dakar SENEGAL - Tél. : (221)821.94.62 - Fax : (221)821.94.63 - Senegal - credetip (@) sentoo.sn

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