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Pour des élections transparentes et des citoyens responsables : le long combat d’une femme de paix à Madagascar

Une expérience de mobilisation de la société civile pour la surveillance des élections et la formation à la citoyenneté : le Comité national d’observation des élections et d’éducation des citoyens (CNOE), à Madagascar, de 1989 à 2001

Jean-François DUBOIS

12 / 2001

Madame Madeleine Ramaholimihaso était jusqu’à cette année associée dans un des plus importants cabinets d’expertise-comptable de Madagascar, et à ce titre vice-présidente du Groupement des entrepreneurs malgaches. Elle est aussi, depuis plus d’une décennie, une des personnalités politiques les plus marquantes de la Grande Ile. Avant même la décolonisation du pays, en 1960, la fraude électorale était ancrée dans les moeurs politiques de l’île. L’avènement violent, en 1972, d’un régime socialiste fonctionnant, de fait, sur le mode du parti unique, ne fit que renforcer les contraintes sur l’expression et l’action politiques et citoyennes. En 1989 cependant, les institutions financières internationales, dans le cadre du Programme d’ajustement structurel, parvinrent à imposer la levée de la censure. C’est à l’occasion des élections présidentielles de mars 1989 que Madame Ramaholimihaso créa le Comité national d’observation des élections (CNOE). En quelques semaines, elle réussit à mobiliser suffisamment d’observateurs pour assurer une présence dans toute l’île au sein de 2 200 bureaux de vote (sur les 16 000 du pays). Ces observateurs étaient des membres de réseaux déjà existants : mouvements catholiques et de diverses églises du pays, syndicats chrétiens ou non, en particulier celui des enseignants-chercheurs, mais aussi bon nombre de citoyens "de base". Ce contrôle fut suffisant pour dénoncer les résultats de l’élection, qui attribuaient la victoire au premier tour au président sortant, Ratsiraka, alors que le Comité constatait en réalité une estimation approximative mais fiable de 42 pour cent des voix. Les activités du CNOE n’eurent évidemment aucun écho dans la presse officielle, mais la levée de la censure avait permis la création de nouveaux médias indépendants, dont un quotidien fondé par le mari de Madame Ramaholimihaso, "Madagascar Tribune", qui fit connaître l’action du CNOE et ses propositions en matière de droits civils et politiques. Lors des événements de 1990-1991, le CNOE fut représenté à la première concertation nationale et participa à la marche pacifique du 10 août 1991, qui exigeait du président des changements radicaux et fut réprimée dans le sang. Madame Ramaholimihaso contribua à la médiatisation nationale et internationale des événements. A l’heure où les médias gouvernementaux étaient complètement désorganisés et, de toute façon déconsidérés, ceci eut un impact considérable sur la population malgache. Ces événements permirent également de réaffirmer le caractère non confessionnel et non partisan du CNOE. Certains de ses membres, qui faisaient partie du gouvernement insurrectionnel, durent quitter le comité. Madame Ramaholimihaso elle-même refusa la fonction de Premier ministre qui lui était proposée, estimant de son devoir de servir son pays non en devenant un acteur politique mais en continuant à mobiliser la société civile dans sa fonction de critique et de vigilance. Cette fermeté dans la neutralité permit au comité de remplir un véritable rôle de médiateur entre les deux parties. En août 1992, un référendum constitutionnel aboutit à la promulgation d’une Constitution démocratique.

Aujourd’hui, l’action du CNOE se poursuit pour le respect de l’équité dans la préparation des listes électorales, l’organisation des campagnes, le déroulement des élections, la surveillance des dépouillements et la promulgation des résultats. Il est devenu un acteur incontournable et bénéficie du soutien de plusieurs gouvernements et institutions internationaux. Le 16 décembre 2001, pour les élections présidentielles, Madame Ramaholimihaso espère pouvoir compter sur 20 000 observateurs et de moyens informatiques, téléphoniques et logistiques importants grâce au soutien financier du Japon, de l’Allemagne, de la Grande-Bretagne, de la Suisse et de plusieurs ONG. Elle a par ailleurs déclaré vouloir s’inspirer d’autres expériences africaines réussies, notamment au Sénégal. Le CNOE ne peut cependant à lui seul assurer des résultats électoraux sûrs et constants. Depuis 1989, la situation dépend surtout de la plus ou moins bonne volonté des hommes au pouvoir, et depuis 1998, Madagascar est dans une phase de régression dans sa pratique de la démocratie élective.

Dès 1989, Madame Ramaholimihaso et le CNOE décident d’engager un travail de conscientisation politique et citoyenne de la population malgache. Dans le nom même du comité, "l’éducation des citoyens" vint s’ajouter à "l’observation des élections" pour évoquer un travail d’assainissement des pratiques politiques et une lutte contre le "désenchantement de la liberté" qu’induisent les profonds dysfonctionnements sociaux. Favoriser l’apprentissage de la démocratie locale, la connaissance des droits et devoirs de tous, au quotidien, et la réflexion sur la relation entre les principes du droit et les spécificités culturelles de Madagascar est devenu une priorité. Le millier de membres du Comité organise des rencontres de citoyens en ce sens, de réunions de villages aux Assises de la démocratie, qui eurent lieu en 2000 et virent la participation d’une vingtaine de partis politiques et une intervention d’un représentant du président, donnant lieu à un vif débat. Tous les moyens de communication sont utilisés : affiches très expressives, émissions de radio. Le CNOE a sa propre revue et saisit toute occasion de faire avancer ses propositions dans la presse. Un recueil de ses communiqués a été publié sous le titre "Pour la démocratie" et diffusé à Madagascar et internationalement. Cette multiplicité d’actions existe grâce à des financements variés, publics (gouvernements français ou britanniques, Agence de la francophonie, etc.) ou associatifs (Communauté internationale pour le développement socio-économique (CIDSE), Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD), Développement et paix, Misereor, Catholic Relief Service, etc.) Ces partenariats sont aussi l’occasion pour le comité de participer à des campagnes internationales d’opinion, comme celle de 1999-2000 sur l’annulation de la dette.

Key words

citizenship education, election, democratization process, popular mobilization


, Madagascar

Comments

Madame Ramaholimihaso est une femme impressionnante d’énergie et de sérénité. Elle dispose de ressources extraordinaires, de relations, de moyens matériels qui, pour beaucoup, deviennent des instruments de pouvoir. C’est pourtant au service de son peuple qu’elle consacre son temps. Son expérience montre que l’appartenance à une élite économique et sociale, nationale et internationale, peut être instrumentalisée de manière à porter des fruits bénéfiques : les fractures sociales internationales ne sont pas une fatalité.

Notes

Entretien du 6 décembre 2001, textes de diverses interventions de Madame Ramaholimihaso lors de rencontres internationales.

Contact : Madeleine Ramaholimihaso, rue Rajakoba Augustin Ankadivato, Antananarivo, Madagascar- mrcabram@dts.mg

Cette fiche a été rédigée dans le cadre de l’Assemblée mondiale des citoyens, Lille, décembre 2001.

Entretien avec RAMAHOLIMIHASO, Madeleine

Source

Interview ; Organisation presentation

Institut Catholique de Paris - 21 rue d’Assas, 75006 Paris, FRANCE - France - www.icp.fr

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