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L’impact des Zones Economiques Spéciales sur les petits agriculteurs en Inde

Centre for Education and Documentation

07 / 2009

L’attrait des Zones Économiques Spéciales

La plus grande Zone Économique Spéciale (ZES) du monde se situe à Shenzhen, en Chine. Elle couvre près de 20.000 hectares et possède ses propres ports, centrales électriques, approvisionnement en eau et aéroports. Cette vitrine du miracle économique chinois est copiée en Inde où les Zones Économiques Spéciales sont les nouveaux avatars des Zones de Libre Echange (Free Trade Zones) et des Zones d’Exportation (Export Processing Zones) qui ont émergé dans les années soixante comme réponse rapide aux besoins d’industrialisation. Tous ces projets devaient permettre de contourner la législation sociale et les provisions sur les impôts, perçus comme des obstacles au progrès et à la compétitivité d’une activité orientée vers l’exportation.

Conçue par le Ministère du Commerce, la loi sur les Zones Économiques Spéciales a été promulguée en 2005. Elle va plus loin que les précédentes et vise à établir des zones industrielles privées sur des milliers d’hectares. Ces zones devraient attirer des investissements à hauteur d’un milliard de roupies (environ 15 millions d’Euros), dont 250 millions en investissement direct étranger. Alors qu’en Chine le Gouvernement reste propriétaire des ZES, qui sont développées par le secteur privé, en Inde les ZES sont développées et détenues par le partenaire privé. La loi indienne va même jusqu’à créer des zones « à la demande » pour les capitaux d’investissement qui le souhaitent, lesquels ne doivent des comptes qu’à un « Bureau des Approbations » centralisé, non responsable et non démocratique.

Les ZES bénéficient de nombreuses exemptions de taxes et d’impôts, aux niveaux étatique et central, et ont accès à l’énergie et à l’eau gratuitement ou à des tarifs très bas. L’Etat prend en charge la construction des routes reliant les ZES aux principales villes alentours. Les réglementations sont simplifiées pour la mise en place d’unités de production et pour un grand nombre de services financiers.

Ces conditions sont si intéressantes que 260 ZES ont été déclarées entre 2005 et 2008, comparées aux 19 mises en place avant la loi de 2005. Un accord formel a été donné à 552 autres demandes, et 141 ont reçu une approbation de principe.

Les Zones Économiques Spéciales portent gravement atteinte à la souveraineté des institutions locales car elles fonctionnent comme une autorité autonome. Un Commissaire au développement, nommé par le Gouvernement, détient tous les pouvoirs concernant les infrastructures et les droits des travailleurs. Le développeur de la ZES peut imposer la population qui vit à l’intérieur pour les services de base. La ZES est compétente en matière de sécurité intérieure, des hauts murs sont érigés autour du site, et l’entrée est soumise à autorisation. Ainsi, le Gouvernement sape-t-il l’autorité des institutions de gouvernance urbaine et des panchayats (assemblées locales) que, selon les amendements 73 et74 de la Constitution, il devrait pourtant renforcer.

Les Zones Économiques Spéciales et les terres agricoles

La possibilité pour les entreprises privées de déposséder les agriculteurs de vastes superficies de terres constitue l’un des aspects les plus scandaleux des nouvelles dispositions de 2005. La vitesse à laquelle les terres agricoles sont perdues a provoqué une série de troubles du côté des petits agriculteurs. Sukla Sen souligne que « le détonateur de ces protestations, en dehors des menaces évidentes et inquiétantes pour l’existence même de très nombreuses personnes, réside dans la forte indignation face aux abus éhontés de la Loi sur l’Acquisition des Terres, la subversion de l’objectif originel de la notion de « domaine prééminent », qui est censée s’appliquer aux projets d’intérêt public et non aider à générer des profits privés. »

La Cour Suprême indienne a récemment joué habilement avec la notion d’« intérêt public supérieur », qui permet à l’Etat souverain de déposséder des propriétaires de leurs terres. La Cour a ainsi déclaré : « Si le projet dans son ensemble est une tentative pour attirer les investissements extérieurs, générer des emplois et assurer des bénéfices économiques à l’Etat et au public en général, il servira un intérêt public supérieur ». La terre privée peut donc être acquise sans recours et donnée à une entreprise privée si elle bénéficie à la population en général. Ce jugement donne une nouvelle interprétation à la Section 3(f) de la Loi sur l’Acquisition des Terres qui stipule clairement que la notion d’« intérêt public supérieur » n’inclut pas l’acquisition des terres au bénéfice d’entreprises privées. Alors que cette interprétation ouvrira sans nul doute la voie à plus d’acquisitions forcées et injustes, elle aura aussi un impact sur la révision, à l’ordre du jour, de cette Loi de 1894.

Des études de cas à Hyderabad-Secunderabad ont montré comment des villages et des populations locales ont été déplacées au profit d’espaces dédiés à la haute technologie, caractérisés par la ségrégation sociale et spatiale : des enclaves, telles que le campus d’Infosys ou de l’Indian School of Business, foyers de conflit majeur, jouissent de très haut niveaux d’équipements, tandis que les 17 villages de la région de Cyberabad (Hyderabad) ne bénéficient d’aucun des services publics de base que sont l’eau et l’éducation.

Il faut aussi évoquer le cas de la colonie Dalit (« intouchable ») qui vivait près d’Infosys depuis 25-30 ans, était en possession de cartes de rationnement et n’attendait plus que d’obtenir le droit de propriété sur leurs quelques mètres carrés de terrain. Mais Infosys voulait ces terres pour son expansion. La colonie a donc été déplacée à une quinzaine de kilomètres, dans une zone dépourvue de tout aménagement. Leurs moyens de subsistance ont été totalement ruinés. Ils n’ont aucun travail dans leur nouvelle implantation, et doivent se déplacer, en utilisant jusqu’à trois modes de transport successifs, vers cette zone Hi-Tech pour trouver un emploi dans la construction ou le travail domestique (Cf. Ramachandraiah).

Voix dissidentes

Des mouvements de résistance contre les ZES se sont fait jour à travers toute l’Inde : districts de Mansa au Penjab, Jhajjar en Haryana, Kakinada en Andhra Pradesh, Nandagudi au Karnataka, Baikampady près de Mangalore, Nandigram au Bengale occidental, Raigad au Maharashtra, pour n’en citer que quelques uns.

A Kakinada, le promoteur de la ZES est un bureaucrate devenu agent immobilier. Les habitants ont été pris par surprise quand près de 1.000 policiers sont arrivés dans le village avec des contrôleurs et fonctionnaires des impôts qui ont obligé les villageois à céder leurs terres. Ces derniers ont protesté contre les fonctionnaires, ce qui a conduit à l’arrestation de plusieurs personnes âgées. Les villageois ont alors encerclé la police qui a été forcée de relâcher les prisonniers âgés. Les médias locaux ont fait leur une avec des photographies de l’incident, mais celui-ci n’a pas eu d’écho dans les médias anglophones d’Andhra Pradesh. Plus tard, la Commission des Droits de l’Homme d’Andhra Pradesh a visité le village et déposé un rapport à la Haute Cour de Justice.

Depuis lors, les villageois de Kakinada sont régulièrement menacés du retrait des programmes de développement. Les projets NREGA (programme d’emploi rural) ont d’ores et déjà été retirés, les centres de soins de santé primaires fermés, et les pensions pour les personnes âgées ne sont plus versées.

Un autre exemple concerne les 22 villages du taluk de Pen (district de Raigad, Maharashtra), menacés par une acquisition de terres pour une ZES de 10.000 hectares, dirigée par le grand groupe indien Reliance Industries. Les habitants, qui possèdent 3.000 hectares de ces terres, ont refusé de s’en départir au profit de la ZES, et demandé au Gouvernement de retirer la notification rendue sous la Loi d’Acquisition des Terres. Le 22 septembre 2008, lors du premier référendum impliquant des agriculteurs organisé par l’Etat dans le pays, plus de 6.000 propriétaires terriens ont donné leur avis sur la ZES. Près d’un an a passé, mais le Gouvernement du Maharashtra n’a toujours pas rendu publics les résultats.

Les 6.000 paysans qui ont voté sont uniquement les chefs des familles propriétaires de terres. Les autres membres de la famille employés sur l’exploitation, les pêcheurs, les travailleurs agricoles, les propriétaires de moulins à riz, les transporteurs de biens agricoles n’étaient pas appelés à voter. Les agriculteurs qui n’appartiennent pas aux 22 villages mais dont les moyens d’existence seront affectés par cette enclave gigantesque n’ont pas non plus voté. Les estimations locales de la population qui sera affectée sont de 500.000 personnes. L’estimation du Gouvernement n’est que de 50.000, tandis que la ZES ne devrait générer que 10.000 emplois. L’ironie est aussi que les agriculteurs se sont battus pour obtenir l’eau d’irrigation du réservoir de Hetwane et que, alors que ce projet est presque terminé, il est mis en attente, soi-disant par manque de fonds.

Un autre cas concerne quatre villages de la même région d’Hyderabad, essentiellement agraires, avec comme principales cultures les céréales et les légumes. La surface cultivée est de moins de 10 %. La valeur de la terre a grimpé dans tous les villages en raison de la présence d’une cité Hi-Tech, d’un aéroport international et d’un parc informatique. L’annonce, en 2006, de la mise en place d’une ZES dans les environs a encore poussé les prix à la hausse. La plupart des agriculteurs ont dû vendre leurs terres en deçà d’un million de roupies par acre. Ils ont d’abord tenté de protester, mais en vain. Ils ont été accablés de faux procès, envoyés en prison, et dans certains cas a vu des routes être construites délibérément sur leurs champs. Le Gouvernement a alloué les terres à une entreprise de logiciels pour 4 millions de roupies par acre, alors que pour le même terrain, une autre compagnie offrait 11 millions de roupies par acre. Dans la même zone, des terrains vagues non cultivables sont disponibles, mais le Gouvernement ne les alloue pas aux ZES. A l’inverse, il acquiert des terres tribales cultivées, dont la plupart des familles dépendent pour leur subsistance (Cf. Reddy & Reddy).

« La terre aux paysans », une époque révolue

Aux premiers temps de l’Inde indépendante, la terre était considérée comme fondamentale pour un développement équilibré. En 1961, la loi sur les réformes agraires a été promulguée, visant à améliorer l’efficacité de l’agriculture, élargir la distribution des bénéfices et tendre ainsi vers une plus grande égalité sociale. Mais, une à une, les différentes législations sur la réforme agraire sont vidées de toute substance pour permettre des changements inacceptables dans la situation agraire. Les terres acquises à bas coût par l’Etat, souvent auprès des agriculteurs et au nom de l’intérêt national, sont transformées en constructions du secteur privé.

Il n’existe malheureusement pas de politique de la terre en tant que telle en Inde, à l’exception de quelques Etats comme le Kerala où la législation est récente, suite à la conversion de vastes superficies de rizières en résidences et complexes commerciaux. Juste avant l’actuelle crise économique, la valeur des terres en périphérie des villes a atteint un plafond, avec de nombreuses ventes aux enchères.

Diminution des surfaces agricoles

La résistance aux ZES à travers le pays s’explique par leur emplacement sur des terres agricoles, le plus souvent des terres fertiles ôtées aux agriculteurs. La surface des terres agricoles converties en terres non agricoles a plus que doublé en 40 ans : 7.000 km² de terres agricoles converties en 1964-65 contre 14.069 km² en 2005-06. Avec de plus en plus de terres allouées aux ZES, aux complexes et zones industrielles, la superficie de terre cultivée a diminué au point qu’actuellement seules 46% des terres du pays sont cultivées. D’après le Ministère de l’Agriculture, entre 1990 et 2003 la surface agricole cultivée a diminué de 1,5 %, soit, en termes absolus, de 2 millions d’hectares, tandis que les terres non agricoles ont augmenté de 3,4 millions d’hectares (Cf. Goswami).

La fin des économies locales

Aujourd’hui, la terre est considérée comme une simple marchandise. Même les meilleures compensations sont calculées en fonction de la valeur économique attribuée aux principales cultures.

Cependant, dans la réalité, la terre en tant que moyen de subsistance génère une sécurité et un mode de vie bien plus complexes que ce que l’argent peut offrir : à côté des cultures principales, elle dispense d’autres types d’aliments, des services environnementaux, du bois de chauffage, des plantes médicinales, etc. Privées de leurs terres, les personnes entièrement dépendantes de la terre, les artisans, les communautés pastorales se retrouveront donc sans ressources, d’autant qu’aujourd’hui encore, il est courant de partager les céréales avec le forgeron, les potiers ou les bergers. Les plus sévèrement touchés seront les métayers et les travailleurs agricoles qui ne possèdent pas la terre et n’ont aucune base légale pour prétendre à une compensation, les petits commerçants et les fournisseurs de services. Les enveloppes de réhabilitation offrent un emploi par famille déplacée, mais cela implique que la personne ait une éducation de base, ce qui est rarement le cas.

Les ZES sont-elles dans l’intérêt des agriculteurs, des communautés agricoles et non agricoles qui vivent de cette terre ? La terre acquise au nom de l’intérêt national supérieur l’est-elle vraiment pour la majorité ? En réalité, au nom du « développement », nous créons des disparités en concentrant la richesse dans les mains de quelques uns, ce qui ne contribue aucunement à une croissance inclusive qui devrait avoir pour principes de base la durabilité, la sensibilité écologique et la compréhension des racines culturelles de la population.

Palabras claves

agricultura, liberalismo, acceso a la tierra, política económica, agricultura campesina


, India

dosier

L’agriculture paysanne en Inde

Notas

Traduit par Valérie FERNANDO

Lire l’original en anglais: The Impact of Special Economic Zones on Small Farmers in India

A lire:

• Shakar GOPALAKRISHNAN, “Negative Aspects of Special Economic Zones in China”, Economic and Political Weekly, Vol 42. No.17, April 28, 2007, Pp 1492

• Sukla SEN, “SEZ: The Indian experience”, 17 Oct 2008

• Prof C.RAMACHANDRAIAH, “Global Integration and Local Exclusion in High-Tech Spaces”, Centre for Economic and Social Studies (CESS), Hyderabad. Papier présenté à la table ronde sur la société du savoir, 5 Janvier 2009, CESS, Hyderabad

• V. Ratna REDDY and B. Suresh REDDY, “Land Alienation and Local Communities: Case studies in Hyderabad-Secunderabad”, Economic and Political Weekly, August 4, 2007, Pp.3233-3234

• M.A.S. RAJAN, Land Reforms in Karnataka, Delhi, Hindustan Pub. Corp., 1986

• Yogesh NAIK, “ Where has all the farmland gone?”, The Times of India, Mumbai, 21 Nov 2008.

• Bhaskar GOSWAMI, “Diversion of Agriculture Land and Impact on Food Security »

• S. Gopinath REDDY, “Will they give me trees?”, New Indian Express, 05 Mar 2008

Voir les sites Internet :

Special Economic Zones in India, Ministère du Commerce et de l’Industrie, Département du Commerce

Department of Land Resources, Ministère du Développement Rural

Land Acquisition Act (Loi sur l’Acquisition des Terres), 1894

Fuente

Texto original

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