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L’eau en Inde : et pourtant certains n’en manquent pas !

12 / 2008

Nous sommes au Gujarat, en 2000. Dans le lit de la rivière Sakhi, près de la ville de Dahod, des femmes et des enfants sont assis au bord des trous en attendant qu’au fond suinte le liquide. « Il faut au moins une heure pour remplir une cruche, mais c’est la seule façon de récupérer un peu d’eau », se lamente Lasom Bhilmad, une maman de 48 ans d’une ethnie tribale qui vit au village de Rentia. Quand on regarde cette femme dans la rivière à sec avec autour d’elle ses quatre enfants, on comprend pourquoi les familles de la région répugnent à marier leurs filles dans un village où l’eau est un problème (même si le jeune homme fait par ailleurs l’affaire), dans un village qui force ses habitants à partir au goutte à goutte vers des pâturages plus verts et ses ménagères à racler une eau boueuse. L’eau est synonyme de prospérité et là où elle se fait rare on est pauvre, même si l’on possède quelque bien. A l’heure qu’il est il y a une multitude de pauvres dans des centaines de villages du Gujarat.

On est ici au Saurahstra, cette péninsule massive baignée par la Mer d’Oman et peuplée de 12 millions d’habitants. Environ 65 pour cent des terres sont situées en dessous du niveau de la mer. Fin 1999 les réservoirs ne sont remplis qu’à 9 pour cent de leur capacité. A Rajkot, chef-lieu de district, l’eau coule dans les robinets une demie heure par jour seulement. Là où il n’y a pas de conduites, il faut apporter l’eau par camions. Dans certains secteurs il n’est tombé que 133 mm de pluie. Ce sont les cultures qui ont été touchées en premier. La récolte de kharif (cultures de saison humide, récoltées en automne) a été mauvaise (- 60 %) ; et ce sera sans doute pire (- 90 %) pour la récolte de rabi (cultures de saison sèche, récoltées au printemps). Il y a une dizaine d’années la région ne manquait pas d’eau. Mais on a trop pompé dans la nappe phréatique. Au Saurashtra et dans la région voisine de Kachchh, il y avait 25 854 puits en 1961, 425 000 en 1998. Dans le même temps, la nappe phréatique qui était à une douzaine de mètres de profondeur est descendue à moins 200 ou 300 m. Dans certains endroits il y a des infiltrations d’eau saumâtre.

Or à 25 ou 30 km de Rentia, tous les puits et toutes les pompes à bras de Thunthi Kankasiya et de Mahudi donnent de l’eau à volonté. A côté passe un ruisseau saisonnier où l’on peut également puiser pour irriguer les parcelles. Dans le district de Dahot, il existe une association connue sous le nom de Sadguru (officiellement Sadguru Water and Development Foundation). Elle a aidé les habitants à construire une série de petits barrages en béton pour retenir les eaux de pluie et favoriser la recharge des puits. Plus à l’ouest, à une vingtaine de kilomètres de Rajkot, autre chef-lieu de district, se trouve le village de Raj-Samadhiyala, 2 000 habitants. A lui seul c’est la preuve qu’on peut renverser le cours des choses si on prend soin de l’environnement. Il y a quinze ans, 75 % des puits étaient à sec, et ici aussi les garçons ne pouvaient trouver fille à marier. D’ailleurs quatre ou cinq ans plus tard, le village a été classé en zone désertique et intégré au programme de réhabilitation des zones arides lancé par le gouvernement du Gujarat. En 1987 sous l’impulsion du sarpanch (= maire) du panchayat (= conseil municipal), les habitants ont décidé d’aménager leur bassin versant. Entre 1986 et 1988 douze retenues ont été construites et des milliers d’arbres ont été plantés, des tranchées ont été creusées, des terrasses aménagées. En 1995-1996 les autorités de Gujarat en ont fait un projet de bassin officiel et l’Agence pour le développement rural du district a apporté 1,7 million de roupies.

Aujourd’hui ici on ne manque pas d’eau. Les cultivateurs ont semé du coton, du blé, des arachides et ils font pousser aussi des légumes. En 1999 il n’est tombé que 316 mm de pluie mais dans la plupart des puits l’eau est à 3 m de profondeur, parfois même 1,5. On compte 280 puits, 5 pompes à bras et 35 forages en service, et pendant plus de dix mois de l’année il y a de l’eau en surface. Depuis 1988 on est passé de 1 600 à 51 000 arbres. Les cultivateurs sont maintenant en train de mettre en valeur des sols en friche.

Leurs revenus ont évidemment augmenté. Chaque année le village vend pour 5 millions de Rs de légumes (79 780 €). « En 1990, lorsqu’on manquait d’eau, la ferme de mon père lui rapportait 150 000 Rs (2 392 €). Aujourd’hui cette même terre me rapporte 1 million de Rs (15 950 €), dit le sarpanch. Et un autre cultivateur ajoute : « Je tirais entre 5 000 et 10 000 Rs (80 €-160 €) de mes 6,5 hectares. Maintenant ils me rapportent entre 100 000 et 150 000 Rs (1 595- 2 392 €). Et malgré la forte sécheresse, je suis sûr de faire au moins 50 000 Rs (797 €) ». Selon le sarpanch l’eau a non seulement apporté l’aisance mais aussi un bien-être social évident. Le village ne connaît ni délit ni autre affaire de police, et les gens en oublient même de fermer leur porte à clé. Avant 1988, dans la plupart des familles, on allait chercher du travail ailleurs. Cette émigration a cessé. Aujourd’hui seulement une cinquantaine de ménages vivent en dessous du seuil de pauvreté, alors qu’on en recensait 138 en 1988. Les autorités ont attribué le prix du meilleur panchayat du Gujarat, d’une valeur de 25 000 Rs (398 €), à celui de Raj-Samadhiyala.

Ce qui a été réalisé par ce village se situe dans la droite ligne des pratiques traditionnelles du pays qu’on a oubliées. Il s’agit de combiner aujourd’hui le bon sens du passé avec le meilleur de la science et des techniques modernes. Si on ne s’attelle pas à cette tâche, une multitude de femmes devront, comme Lasan Bhilwadaller, creuser des trous au fond d’un ruisseau asséché pour remplir une petite cruche. Ou bien on récoltera l’eau du ciel, ou bien les gens se battront entre eux pour de l’eau.

Mots-clés

stockage de l’eau, rareté des ressources naturelles, sécheresse, épuisement des ressources hydriques


, Inde, Gujarat

dossier

Récolter l’eau de pluie (Notre Terre n°26, déc. 2008)

Notes

Traduction en français : Gildas Le Bihan (CRISLA)

Source

CRISLA, Notre Terre n° 26, décembre 2008. Sélection d’articles de Down To Earth, revue indienne écologiste et scientifique, publiée par CSE à New Delhi.

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