español   français   english   português

dph participe à la coredem
www.coredem.info

rechercher
...
dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale

Qualité de vie, qualité de l’espace public : le goût de vivre en milieu urbain

Le thème de la qualité de vie prévaut très largement dans les villes marquées par l’influence méditerranéenne.

Cyria Emelianoff

2001

Le thème de la qualité de vie prévaut très largement sur les considérations écosystémiques en Europe du Sud et en France, dans les villes marquées par l’influence méditerranéenne. L’amélioration de la qualité de vie, un objectif largement partagé par tous les programmes de développement durable, se réfère moins ici à la qualité de l’environnement naturel, des localisations, de l’eau ou des sols, qu’à celle de l’environnement bâti, de ses respirations et de ses ambiances. L’Italie du nord est en situation intermédiaire, très sensible à la qualité du patrimoine urbain mais ouverte à des approches écosystémiques. Ses villes commencent à défendre une planification environnementale soucieuse des capacités de charge des milieux, et à s’impliquer dans les campagnes européennes des villes durables et des villes contre le changement climatique.

L’environnement urbain en Europe du sud est appréhendé dans sa dimension architecturale, esthétique, et apprécié à l’aune de ses espaces ouverts, publics. Les espaces publics constituent la matrice de la ville. Les requalifier, c’est mettre l’accent sur les relations sensibles, sociales et culturelles qui s’établissent entre les citadins et leur ville. Les projets de ville durable insistent sur l’hospitalité du milieu urbain. L’ancienneté du patrimoine, la qualité de l’urbanité jouent un rôle identitaire : il en va du sens de la ville, dans des sociétés plus urbaines que celles de l’Europe du nord. L’environnement urbain, c’est finalement l’espace des rencontres, selon la belle expression de Rui Godinho, adjoint à l’urbanisme à la ville de Lisbonne. « Promouvoir les relations entre les gens, et entre les populations et leur environnement, dans ce cas la ville, devrait être le but ultime de l’environnement urbain. (…) Il faut retrouver les espaces publics où les gens peuvent être ensemble et être partie prenante de la ville » (1).

Il s’agit, et l’enjeu est de taille, de retrouver le goût de vivre en milieu urbain. L’embellissement des villes n’est pas seulement un nouveau marché pour les paysagistes ou un indicateur de bonne santé économique. Il conditionne, beaucoup plus profondément, le désir de vivre en ville. Un des premiers objets de la ville durable est de construire une alternative à l’habitat périurbain. Cette alternative repose sur des valeurs aussi bien matérielles qu’immatérielles. L’enjeu est lourd de conséquences, car le rejet de la ville, qu’il prenne la forme si courante des nombreux partis pris anti-urbains ou très concrètement de l’exode urbain, signe son déclin, plus ou moins atténué par l’action corrective des pouvoirs publics. Le plébiscite des campagnes urbanisées désigne en creux la stigmatisation de l’urbain, et tout particulièrement celle de l’espace métropolitain, qui cumule les pollutions, le manque d’espaces destinés aux enfants ou à la détente et la cherté de la vie.

A contrario, si la ville compacte et durable jouit d’un assez grand crédit auprès des urbanistes catalans (2), par exemple, c’est bien sûr parce que la densité urbaine est à Barcelone un patrimoine, mais c’est aussi en raison de l’intérêt et de la priorité accordés à la fréquentation des lieux publics, à cette forme spécifique de vie urbaine qui s’amenuise dans les quartiers pavillonnaires. Barcelone, dans les années quatre-vingt, a mené un remarquable travail sur ses espaces publics, sur le paysage urbain qui est « comme l’enveloppe des espaces publics municipaux » (3). L’aménagement de quantité de places et espaces publics, tels que les parcs, ramblas et voies civiques dans tous les quartiers (plus de 200 opérations), avec un souci de rééquilibrage social, l’ouverture vers le front de mer, le soin apporté aux parcs et jardins, le choix de recycler des friches industrielles plutôt que d’étendre la ville, ont reconstruit l’espace barcelonais et intensifié la vie urbaine (4).

A Barcelone, la nature est surtout appréhendée dans ses dimensions sociales et identitaires. « Les aires vertes urbaines ne remplissent pas seulement une fonction esthétique mais elles ont aussi une valeur symbolique car elles établissent un lien psychologique entre la nature et la ville. Il est évident que l’un des objectifs les plus importants dans une politique d’environnement urbain devrait être d’offrir aux citadins un environnement attractif » (5). Le service de l’Environnement insiste sur le choix d’espèces végétales autochtones qui permettent de valoriser le patrimoine végétal propre à la région. Le choix de la biodiversité est un choix culturel : il est constitutif du paysage barcelonais, participe à l’image et à l’attractivité de la ville.

La ville méditerranéenne porte un regard plus anthropocentrique sur la nature et l’environnement que les villes d’Europe du nord. Bologne, par exemple, regarde la colline qui la surplombe comme un espace complémentaire de la ville. L’interdiction d’y construire s’y applique depuis 1982. Chaque week-end, chaque jour lorsque le temps l’autorise, les citadins s’y déversent, prennent possession d’un espace aménagé en partie pour des usages sportifs, de détente et festifs, resté rural pour une autre partie. L’exiguïté des logements (6) est un peu compensée par l’espace ouvert qu’offre la colline, contiguë à la ville. La fréquentation des parcs publics est par ailleurs réduite. On leur reconnaît une fonction climatique, pour tempérer les chaleurs estivales, et une fonction d’épuration de l’air. Le centre ville, quant à lui, est faussement minéral : la végétation des patios, des jardins intérieurs, est souvent prolixe. Le rapport à la nature ne prend donc pas les formes qu’on lui connaît ailleurs (7).

Pour revenir à l’expérience barcelonaise, il faut souligner qu’elle a inspiré d’autres villes européennes au début des années quatre-vingt dix, comme Lyon ou Strasbourg. Dans l’agglomération lyonnaise, environ quatre-vingt dix opérations de requalification de l’espace public ont été conduites, en recherchant la qualité paysagère, la diversité des interventions et la continuité des espaces, grâce au mobilier urbain, aux revêtements et à la signalétique patrimoniale.

A Strasbourg, la réintroduction du tramway s’est accompagnée d’une reconquête sensible de l’espace public. De l’autre côté du Rhin, la diminution de la pollution atmosphérique et des émissions de gaz à effet de serre aurait prévalu pour légitimer la décision de délester l’hypercentre du trafic automobile. A Strasbourg, c’est l’argument de la reconquête et de la convivialité de l’espace urbain qui a été première. Le réaménagement des grandes places de la ville -la place Kleber devant incarner un salon urbain-, des petites places et des squares, ainsi que des voiries longées par le tramway, végétalisées et ponctuées d’oeuvres d’art, a fait du tramway une vitrine sur la ville. Le transport en commun donnait à voir la transformation urbaine, il restituait des espaces publics sur son parcours. Il a été le prétexte d’une belle politique de reconquête urbaine, malheureusement restée un peu trop centripète.

Pour ces villes françaises, qui se sont engagées précocement dans la campagne européenne des villes durables, la réflexion sur le développement durable a d’abord prolongé une forte préoccupation pour l’espace public. Avec une dizaine d’années de recul, on peut penser que ce travail interstitiel n’est pas allé assez loin, d’une part dans l’espace reconquis en ville sur la voiture, d’autre part, dans la requalification des espaces publics périphériques, des tissus d’habitat social, des « territoires bloqués » (8). Face à ces deux impasses, le concept de la ville renouvelée, qui sert à la fois le projet de la ville durable, celui de la politique de la ville, et l’attachement à l’espace public, à sa qualité et à sa sociabilité, est voué à prendre de l’importance en France.

dossier

Les villes européennes face au développement durable : une floraison d’initiatives sur fond de désengagement politique

Commentaire

Tiré de : Les villes européennes face au développement durable : une floraison d’initiatives sur fond de désengagement politique

Par Cyria Emelianoff (Groupe de Recherche en Géographie Sociale de l’Université du Maine, ESO, UMR 6590 du CNRS)

Notes

1 The urban environment in Lisbon. A contribution to a sustainable city, 1994. Communication à la première conférence européenne sur les villes durables, 24-27 mai, Aalborg.]
2 La ville et la province de Barcelone sont précocement impliquées dans la campagne européenne des villes durables. Elles ont constitué un réseau catalan « Xarxa de Ciutats i Pobles cap a la Sostenibilitat » qui aide et incite les municipalités à élaborer un éco-audit et un agenda 21 local. Le réseau comprend 185 collectivités en 2003.]
3 Action Programmes for an environment policy in Barcelona, 1994, Ville de Barcelone.]
4 D’après Béatrice Sokoloff, 1999. Barcelone, ou comment refaire une ville, Presses de l’Université de Montréal.]
5 Action Programmes for an environment policy in Barcelona, op. cit.]
6 Bologne est la capitale estudiantine de l’Italie et la spéculation immobilière entraîne un fractionnement des surfaces habitées.]
7 Pas d’engouement, notamment, pour les trames vertes intra-urbaines]
8 Roussel F-X., 2000. Ville renouvelée en Nord-Pas de Calais. Rapport pour la Région Nord-Pas de Calais, Conseil Régional, 65 p.]
mentions légales