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L’accès au droit pour les personnes handicapées à Paris

La Permanence Juridique pour les Sourds, France

Anne-Sarah KERTUDO

05 / 2010

La Permanence Juridique pour les Sourds a été créée en 2002 par la Mairie de Paris, sur proposition d’une juriste bilingue Français/Langue des signes, Anne-Sarah Kertudo.

Pourquoi un service spécifique ?

On estime que 300 000 personnes ne communiquent qu’en Langue des Signes Française (LSF). Pour les sourds, connaître leurs droits et leurs obligations légales est problématique, d’autant plus que si les lieux d’information juridique gratuite sont multiples sur l’ensemble du territoire, il n’existait jusqu’ici rien de tel pour les sourds.

Les sourds eux-mêmes portent parmi leurs premières revendications l’accès à la citoyenneté. Est-on citoyen à part entière lorsqu’on n’a pas accès au droit, à la justice, que les politiques ne traduisent pas en langue des signes leurs discours, que la télévision n’est quasiment pas sous-titrée, que les structures administratives ne sont pas accessibles ?

On pensera qu’il est possible de rompre cet isolement grâce à l’écrit. C’est ignorer que la population sourde, privée d’apprentissage de la langue des signes, de structures scolaires adaptées, connaît un taux d’illettrisme extrêmement important. Par ailleurs, quelques mots tracés répondraient-ils aux besoins d’échange, d’écoute et d’expression que nécessite inévitablement l’exposé d’une question juridique ?

Grâce à la création de la Permanence Juridique en Langue des Signes, les sourds ont pu accéder au droit. Cette initiative a contribué à aider cette population coupée du droit, de l’information et de l’emploi, marginalisée au plus haut degré, à trouver sa place dans la Cité.

Autour de la Permanence Juridique s’est peu à peu mis en place un réseau de citoyens militants : professionnels de la surdité, professionnels du droit, ou individus motivés.

Fonctionnement de la Permanence Juridique pour les sourds

Tous les jours, la Permanence reçoit femmes, hommes, jeunes ou retraités, actifs, en recherche d’emploi ou ayant depuis longtemps renoncé à l’emploi, qui viennent se renseigner : Comment divorcer ? Comment augmenter sa pension alimentaire ? Que faire en cas d’agression ? Pour rédiger un testament, un notaire est-il nécessaire ?

La majeure partie du public ne sait pas lire ou a de grosses difficultés. Ces personnes n’ont accès ni à la presse, ni à la télé ni à la radio et sont en plus coupées de l’information quotidienne, celle qu’on reçoit sans même l’analyser, ces multitudes d’éléments qui, additionnés les uns aux autres, nous lient et nous intègrent à notre environnement. De fait, les sourds paraissent souvent ignorants du contexte dans lequel ils évoluent. Les questions qu’ils posent sur leurs droits, les propos qu’ils développent dans le cadre de la Permanence Juridique révèlent, pour nombre d’entre eux, cette forte exclusion sociale.

La mission de la Permanence Juridique consiste donc à répondre au point technique soulevé par le problème exposé. Au-delà, il faut donner à la personne tous les éléments du contexte qui vont lui permettre de maîtriser la situation dans sa globalité. Ensuite, il s’agit de décrire les solutions possibles pour enfin réfléchir, avec la personne concernée, au meilleur règlement qui s’offre à elle.

À titre d’exemple, on pourrait citer cette personne qui a signé un contrat de travail avec une période d’essai renouvelable. Elle reçoit le renouvellement de cette période par lettre recommandée avec accusé de réception. Elle vient, en panique, parce qu’elle a reçu un « avertissement » de son employeur, est-elle renvoyée ? Elle ne sait pas ce qu’est une période d’essai.

Les interprètes en langue des signes

La Permanence Juridique a mis en place des actions visant à faire évoluer le législateur et les pratiques.

En effet, il y a encore très peu de temps (la loi a changé en 2005), la justice n’avait pas l’obligation de faire appel à un interprète en langue des signes lorsqu’une personne sourde était partie à un procès. L’institution se satisfaisait des enfants traduisant pour leurs parents, de bénévoles d’associations charitables connaissant quelques signes, mimant les propos des magistrats et, pourquoi pas, de l’une des parties, entendante, traduisant les signes de son adversaire…

On sait pourtant aujourd’hui que la langue des signes est une langue à part entière, au demeurant assez complexe, et qu’on ne s’improvise pas interprète. Mais tout se passe comme si les sourds n’étaient pas de « vrais adultes ». On est habitué à ce qu’un tiers décide pour eux, à les écarter au profit d’un « vrai interlocuteur ». Ils sont un peu encombrants, alors on les met de côté.

Interprète est un métier et ces professionnels, lorsqu’ils se déplacent pour une vacation, mobilisent une demi-journée de travail : cela a un prix.

La loi a changé et depuis 2005, l’interprète est pris en charge par les services judiciaires.

Cependant, la loi énumère les situations où cette prise en charge est effective. La liste est très restreinte et tout ce qui n’y figure pas ne bénéficie pas de cette largesse administrative. Témoin sourd dans le cadre de l’enquête de police ? Pas d’interprète. Espérons que ce qu’il avait à dire n’était pas trop important.

Enfin, si cette loi a pu être un moment envisagée comme un progrès, c’était sans penser à la cruciale question budgétaire qui constitue sa condition d’effectivité. On propose aux interprètes des sommes dérisoires, payées dans des délais inacceptables qui font préférer aux structures associatives des interprètes d’autres marchés, bien plus lucratifs. Les interprètes entendent gagner leur vie de manière décente. Ceux qui ont voulu malgré tout rester au service des tribunaux se sont vus réprimandés par les commissaires aux comptes de ces associations qui travaillaient à perte.

Pour faire face à cette pénurie d’interprètes, que fait l’institution ? Elle fait appel à des personnes non diplômées, souvent totalement incompétentes car incompréhensibles faute d’un bon niveau en langue des signes. Comment peuvent-elles traduire dans une langue qu’elles connaissent mal des procédures qu’elles comprennent à peine ?

La citoyenneté

Travail d’information, travail de sensibilisation, tête-à-tête avec les sourds, rencontres avec les professionnels du droit, la Permanence Juridique a compris que les droits des sourds ne seraient pas respectés tant qu’eux-mêmes ne seraient pas perçus comme citoyens, membres égaux de la communauté.

Avec des bénévoles, des militants, malgré le peu de moyens, la Permanence Juridique pour les Sourds a organisé des évènements exceptionnels visant à diffuser cette image de sourds en tant que citoyens.

Pour le vote sur la Constitution européenne, nous avons ainsi invité des professionnels de la question, venus expliquer l’Europe, ses institutions et ses enjeux.

Au moment de la dernière campagne présidentielle, tous les partis politiques ont été reçus, pour que soient traduits en langue des signes les discours et les programmes. Cette rencontre a été organisée en dehors de tout cadre institutionnel ou associatif, simplement entre citoyens mobilisés.

La population sourde le prouve dans ces moments-là : elle est en demande d’informations et d’accessibilité. Son ignorance ne résulte pas d’un choix, mais de l’indifférence que lui témoignent ses représentants politiques et l’ensemble des institutions.

Droit Pluriel et les autres « différences »

En 2009, l’association Droit Pluriel a été créée. Elle porte notamment le projet d’un Diplôme Universitaire à l’Université Paris 8, « Information et accompagnement juridiques en LSF » afin de former des professionnels du droit à ce métier émergent.

Le projet, en partenariat avec la Ville de Paris et Serac, association d’enseignement de la LSF, a été accueilli avec enthousiasme par le service de formation continue et validé par l’Université. Cette formation ouvrira ses portes en septembre 2010.

L’association dispose d’un an, jusqu’à l’ouverture du diplôme, pour convaincre les grandes villes de France d’ouvrir, elles aussi, des Permanences Juridiques pour les sourds où pourront prendre poste les juristes, une fois sortis du DESU.

Droit Pluriel a pour mission de favoriser l’accès au droit des personnes handicapées, car les sourds ne sont pas les seuls à être exclus du droit.

En effet, les tribunaux ne sont pas accessibles aux personnes en fauteuil roulant. C’est également souvent le cas des cabinets d’avocats, des études de notaires, d’huissiers, des commissariats.

De plus, il est problématique que les personnes aveugles reçoivent des convocations par courrier, sans que personne ne s’assure de leur bonne réception. De même, ces personnes sont priées par le juge de signer des documents qu’elles ne peuvent lire. L’association est également préoccupée par le respect des droits des personnes handicapées mentales, spécialement lorsqu’elles sont placées sous sauvegarde de justice.

L’association travaille donc sur ces diverses problématiques afin de concilier droit et handicap.

Permanence juridique pour les sourds - Mairie du 9ème arrondissement de Paris, 6 rue Drouot, 75009 Paris - France

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