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Changement climatique et petits paysans en Inde

Centre for Education and Documentation

08 / 2010

« Il a plu de manière ininterrompue pendant 8 jours… Tout est balayé. Nous avions cultivé des oignons, du maïs et maintenant tout git au sol » - Chandappa, petit paysan du district de Bagalkot, l’un des districts inondés dans le Nord du Karnataka en 2009 (1)

« Auparavant, je tirais l’eau avec l’aide de bœufs pour irriguer mes champs, mais depuis 15 ans nous avons de très faibles précipitations » - un paysan du district d’Anantapur (2)

« J’ai perdu ma récolte de mangues cette année en raison des pluies du mois de février » - Y.B. Ramakrishna, un entrepreneur de combustible bio et un agriculteur bio du centre du Karnataka (3).

Tous ces problèmes sont plus ou moins directement liés au changement climatique, mais dans tous les cas ils s’ajoutent aux difficultés existantes de la population dues à la dégradation de l’environnement, dont une partie est liée au réchauffement climatique, à la dégradation des terres liée à l’agriculture chimique intensive, à la destruction des forêts, aux changements dans l’usage des terres, etc.

Des événements climatiques extrêmes ont eu lieu ces dernières années et ont fortement compromis les récoltes : la sécheresse de 2002, la vague de chaleur en Andhra Pradesh en mai 2003, des hivers rigoureux en 2002 et 2003, une sécheresse prolongée dans le nord en juillet 2004 et janvier 2005, des inondations au Rajasthan en 2005, une sécheresse dans le nord-est en 2006, des températures anormalement froides en janvier et février 2007 et 23% de déficit de précipitations pendant la mousson 2009.

Les phénomènes les plus graves sont l’irrégularité des précipitations et les changements de température. Des conditions climatiques particulières sont en effet requises pour le bon développement des cultures, la germination, la croissance et la reproduction.

La science moderne a tenté de résoudre ces problèmes dans les années 60 en développant des variétés à haut rendement, répondant mieux aux intrants chimiques et exigeant une irrigation intensive. Cela a cependant conduit à la monoculture et limité les variétés de chaque culture. Nous nous trouvons donc dans une situation où un seul événement peut détruire la totalité de la production d’une saison.

Les événements climatiques erratiques ont aussi affecté des activités jusqu’à présent solides, comme l’horticulture. Vishnu Pandey fait ainsi état de la floraison prématurée des fleurs de manguier en raison de températures anormalement élevées dans la région de Malihabad près de Lucknow. Les fleurs sont exposées à un plus grand risque de fanaison si les températures redescendent (4).

Le Centre pour la Science et l’Environnement cite des scientifiques qui éclairent les mécanismes complexes par lesquels les événement liés au réchauffement climatique affectent l’agriculture :

• Alors que le climat se réchauffe en raison des gaz à effet de serre, l’eau des océans s’évapore plus vite et augmente l’humidité de l’air qui se condense et tombe sous forme de fortes pluies.

• L’absence d’uniformité dans les changements de température en Inde affecte les micro-climats et rend les prévisions météorologiques encore plus délicates.

• L’augmentation des fortes précipitations et la baisse des précipitations modérées pourraient entraîner la baisse de l’alimentation des nappes phréatiques et de l’humidité du sol, ce qui affecterait l’agriculture.

• Les changements dans la composition des sols, la multiplication des insectes ravageurs et des mauvaises herbes sont inévitables avec l’augmentation des températures.

• Pour certaines cultures, un changement de zone géographique aura lieu. Une quantité plus élevée de carbone dans l’atmosphère pourrait être utile pour certaines cultures mais ses effets seront annulés en raison des températures plus élevées.

• Les régions côtières sont particulièrement vulnérables aux inondations et à la salinisation des terres fertiles.

• D’autres impacts concernent les changements dans l’écologie des exploitations, par exemple les relations oiseaux-insectes.

Menaces pour la sécurité alimentaire

Du point de vue national, la projection globale de la baisse de la production, au moins dans les principales céréales que sont le riz et le blé, est effrayante. Les études de l’Institut indien de Recherche agricole indiquent une perte estimée à 4 ou 5 millions de tonnes annuelles de blé pour une hausse de 1°C, même en prenant en compte l’effet fertilisateur du carbone. Une autre étude indique qu’une augmentation de 0,5°C des températures hivernales réduirait la rentabilité du blé de 0,45 tonnes par hectare et la production de blé diminuerait de 28 à 68%, sans prendre en compte l’effet fertilisateur de CO2, et évoluerait de +4 à -34% en incluant l’effet fertilisateur CO2. Une autre étude estime la baisse de la production du blé d’hiver à 55%.

Pour le riz également, les chiffres sont alarmants. Les études montrent qu’une augmentation de 2°C peut faire baisser la productivité du riz de 0,75 tonnes par hectares dans les zones de forte productivité. Pour 1°C de hausse de température, la production de riz baissera de 6%.

La politique officielle indienne

La politique agricole de l’Inde dans le contexte du changement climatique est sous-tendue par la nécessité de produire suffisamment de céréales pour subvenir aux besoins du pays. M. Syam Sara, alors négociateur pour l’Inde à la Conférence des Parties, s’exprimait lors d’une réunion visant à promouvoir l’agriculture durable. Il a justifié la direction de la politique gouvernementale en répétant toujours le même discours selon lequel la Révolution verte a aidé le pays à atteindre l’auto-suffisance dans la production de céréales alimentaires. Il a aussi semblé encourager la durabilité en « offrant le meilleur marché aux agriculteurs indiens afin de répondre à la demande alimentaire croissante. » La production de céréales dont il parle est largement celle de riz et de blé, précisément celles qui sont le plus vulnérables au changement climatique, car elles sont devenues des monocultures utilisant les technologies de la révolution verte. Vandana Shiva de Navdanya, une organisation de soutien à l’agriculture biologique, affirme que la mission sur l’agriculture durable dans le cadre du Plan national d’action sur le changement climatique (PNACC) est fondé sur l’affirmation erronée selon laquelle le génie génétique pourra « créer » une résistance au climat. Mais le génie génétique ne créera pas de cultures résistantes aux sécheresses ou aux inondations. Les modifications génétiques sont les dernières formes de biopiraterie qui prive les communautés vulnérables de leurs capacités d’adaptation au changement climatique.

Les petits paysans

Six-cent millions de personnes sont dépendantes du secteur agricole en Inde, la plupart étant des petits paysans possédant moins de 2 hectares de terres. Deux-tiers de la surface agricole sont pluviales (non irriguée). Deux-tiers sont vulnérables aux sécheresses et 40 millions d’hectares de terre sont vulnérables aux inondations. Les populations les plus pauvres sont localisées dans les régions les plus exposées aux risques ou isolées, dans les plaines inondables ou les terres pauvres en nutriments. Les pauvres ayant des capacités humaines, institutionnelles et financières limitées sont en conséquence moins en mesure de réagir aux impacts du changement climatique et à des risques aléatoires et changeants.

Kapil Shah, Jatan Trust, Gujarat (5), affirme que l’on attend désormais des petits paysans qu’ils fonctionnent selon les lois du marché, ce qui signifie le passage à la monoculture, qui érode les bases de ressources naturelles. Les politiques gouvernementales encouragent de fortes subventions en intrants coûteux et non nécessaires tels que les engrais, les variétés génétiquement modifiées, les semences exotiques, etc. Le mécanisme de soutien des prix encourage également la monoculture d’une sélection de cultures. Enfin, l’incitation à abandonner les cultures alimentaires pour aller vers les cultures commerciales destinées à l’exportation a des effets sur les modes de culture.

Nous observons de fortes précipitations et des moussons plus courtes dans les régions semi-arides du pays. Celles du Karnataka, de l’Andhra Pradesh et du Maharashtra ont reçu de fortes précipitations en septembre-octobre 2009 entraînant des inondations et d’importantes pertes de récolte et de nombreux morts, accentuant la pauvreté. Les sols n’ont pas la capacité de retenir l’eau qui est perdue en ruissellement. Les nappes phréatiques ne peuvent être rechargées par de telles pluies car elles ont besoin de précipitations modérées. La montée des températures assèche les sols et augmente les besoins en eau des cultures Les projections de changement climatique indiquent que même quand les paysans se sont largement adaptés à la culture en milieu aride, la demande croissante et le stress sur l’eau qui en résulte pourrait gravement mettre en danger leurs moyens de subsistance et diminuer la productivité agricole.

Y.V. Malla Reddy, Directeur de l’ONG Accion Fraterna Ecology Centre basée à Anantapur, nous dit que les répercussions du changement climatique se font déjà sentir dans la région. « La saison des pluies est très courte et nous vivons des variations extrêmes de température. Par exemple, l’autre jour la température minimale à Anantapur était de 13°C et le maximum de 35°C. Cette différence de 22°C n’est pas normale ici. Normalement la variation de température n’excède pas 12-13°C. Cette grande différence a des effets négatifs sur les cultures qui ne supportent pas ces températures extrêmes. »

« Il est important de développer des stratégies d’adaptation. La recherche doit s’atteler à cela. A Anantapur, nous devons trouver des variétés à courte durée, capables de résister à ces températures. Il faudra beaucoup diversifier. Le paradigme conventionnel est la monoculture, comme le riz ou ici l’arachide. Ce n’est pas une bonne pratique. »

Accion Fraterna aide les petits paysans à aller vers la diversité. Malla Reddy a appelé à la diversification de l’usage des terres, au mélange des cultures annuelles, des cultures pérennes, des arbres fruitiers, des arbres pour le bois de construction, etc. Toutes ces cultures doivent fournir des moyens de subsistance, de la nourriture et de l’argent, et répondre aux besoins des autres habitants. Il est important que notre agriculture fournisse des services environnementaux supplémentaires, plutôt que de consommer et polluer.

Navdanya considère que les stratégies d’adaptation doivent aussi inclure la question des biens communs, en plus de celle de la diversité. Elle insiste sur le fait que le changement climatique n’est pas un phénomène linéaire de réchauffement uniforme ou de plus ou moins de précipitations. Il serait d’ailleurs préférable de parler de « chaos climatique » plutôt que de changement ou réchauffement climatique.

Navdanya crée des banques de semences communautaires pour les urgences climatiques afin que le plus large éventail de cultures soit disponible pour les communautés pour répondre aux catastrophes liées au climat. Cette diversité est disponible en tant que bien commun. C’est pourquoi Navdanya a aussi lancé une campagne contre la biopiraterie des variétés résistantes au climat qui doivent être du domaine public et non la propriété de quelques uns qui en auraient acheté les droits.

La solution à la crise du climat consiste à promouvoir une agriculture diversifiée, écologique et biologique, produisant plus d’aliments à un moindre coût tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre et en améliorant la résilience des systèmes agricoles face au chaos climatique et la capacité des communautés agricoles à s’y adapter.

Conclusion

L’agriculture paysanne traditionnelle s’est montrée résistante à différentes conséquences du changement climatique. Alors que le PNACC souhaite se concentrer sur des biotechnologies pour développer de nouvelles variétés résistantes aux sécheresses et au CO2 en augmentation dans l’atmosphère, il serait aussi bien servi par des pratiques existantes qui peuvent former la base de l’adaptation à ces changements.

Les pratiques de gestion de l’eau sont un autre domaine lié à l’agriculture en milieu aride. De nombreux savoirs sur les pratiques de gestion locale existent, qui permettent aux communautés de s’adapter même en cas de déficits importants de précipitation. Mais ils sont ignorés du PNACC qui préfère construire des lieux de stockage à grande échelle, aux conséquences écologiques, sociales et économiques désastreuses.

La société civile s’est réunie au niveau régional et national pour placer ces traditions au cœur des réponses au changement climatique. Elles doivent désormais trouver une place dans la politique officielle. Il existe des poches de sympathie et de compréhension mais le chemin sera long avant que ce ne soit reconnu comme fondement principal de la réponse au changement climatique. La modernité, en particulier dans le contexte du changement climatique, doit être fondée sur de solides traditions. Pour le moment, elles fonctionnent de manière parallèle.

1Extrait du film “I am the drum that will be heard”, CED
2Extrait du film “Where is the monsoon” by Deepa Dhanraj, ILEIA
3A l’une des Tables rondes sur le changement climatique, Bangalore, 2008
4Vishnu PANDEY, « UP mango farmers feel the heat of global warming », in Business Standard, 16 March 2009
5Dr. G V. Ramanjaneyulu, Centre for Sustainable Agriculture, National workshop on Climate Change and Sustainable Agriculture, November 2008, New Delhi

Mots-clés

changement climatique, agriculture, agriculture et environnement, agriculture traditionnelle, influence du climat sur l’agriculture, agriculture paysanne


, Inde

dossier

L’Inde et le changement climatique

Notes

Lire l’article original en anglais : Climate Change and the Small Scale Farmer in India

Traduction : Valérie FERNANDO

Lire également la fiche complémentaire Changement climatique et agriculture en Inde : pistes d’adaptation

et le dossier du CED consacré à l’agriculture paysanne en Inde

Voir la vidéo réalisée par le CED : “I am the drum that will be heard”

Pour aller plus loin :

Source

Texte original

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