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Bilan du projet « Jeunesses sud-américaines »

Le cas de l’Argentine

04 / 2012

Les conclusions des chercheurs responsables du Projet Jeunesses sud-américaines dans les différents pays sont constituées d’une mosaïque d’interprétations qui reflètent les différentes réalités historiques, politiques et culturelles de ces six pays de notre continent. Ceci transparaît dans les différents processus de construction de la « jeunesse », comme catégorie d’analyse et identité politique et sociale composant l’espace public.

 

ARGENTINE : VISIONS HÉGÉMONIQUES ET ALTERNATIVES

Au cours des différentes étapes de la recherche, nous avons pu observer une variété de visions co-existentes concernant le fait d’être jeune. Toutefois, certaines visions reviennent plus souvent que d’autres.

Ainsi, il a été possible de déceler que, la population argentine de manière générale tout comme les jeunes organisés avec un certain type d’adhésion politique et sociale, classent la jeunesse de la même manière, dans trois catégories : comme un moratoire social, comme un moratoire vital et/ou comme un acteur politique de transformation sociale. Comme nous avons pu le comprendre, ces catégories traversent également notre histoire.

Il est important de tenir compte du fait que les images qui coexistent sur la signification d’être jeune se mélangent dans un contexte général défini par le confinement dans des réponses individuelles et du domaine du privé, comme solution aux problèmes sociaux. Ces solutions relèguent les actions collectives contenant la participation sociale au rang de composante principale.

Dans ce contexte, les représentations les plus fortes aussi bien chez les jeunes que chez les adultes sont celles qui identifient la jeunesse avec sa chronologie et sa matérialité. Elles associent la notion d’être jeune à l’énergie particulière de cette période de la vie (moratoire vital). Cette vision est plus présente chez les jeunes eux-mêmes et est soutenue par 25 % de la population en général. À partir de cette notion, la jeunesse est associée à un groupe d’un certain âge qui partage le potentiel physique et biologique offert par l’âge. Cette primauté d’associer la jeunesse à la vitalité nous fait comprendre que, dans l’esprit des gens, une idée prévaut, celle qui soutient que le fait d’être jeune, c’est de faire partie d’une classe définie par l’énergie et par l’excédent vital.

Associer la jeunesse à l’idée de moratoire social est une étape de préparation et de formation pour la vie adulte, soutenue par quasiment 20 % de la population et également, dans une plus grande mesure, par les jeunes. La prévalence de cette vision de la jeunesse est renforcée par la primauté qu’acquiert le concept de « devoir » des jeunes qui consiste à « se préparer au futur » (quasiment la moitié de la population jeune et adulte pense de cette manière), ainsi que par le fait que 56 % de la population défend l’idée que les jeunes doivent seulement étudier et ne pas travailler. Cette vision provient de nos pays, avec la formation et la consolidation précoce dû à un système d’enseignement national.

Notons que, malgré la vision de la jeunesse comme étape de transition hégémonique, d’autres sens, ayant la même force, se joignent à elle. D’une part, ceux qui fondent leur espoir sur les jeunes et qui continuent à les voir comme des acteurs du changement. D’autre part, les visions défensives, articulées autour de la peur du jeune, les visions qui montrent l’inquiétude que l’on peut ressentir pour les jeunes et la vision qui comprend les difficultés qu’ils rencontrent aujourd’hui pour se projeter dans le futur. Nous souhaitons alors, approfondir ces visions qui sont présentes aussi bien chez les adultes que chez les jeunes eux-mêmes. La vision émergente est celle qui entrevoie les jeunes comme porteurs d’aspirations et d’idées de transformation sociale, comme acteurs du changement. Parmi ceux et celles qui défendent ce point de vue, la jeunesse forme un groupe social qui, en vertu de son âge, serait plus sensible que les adultes par rapport aux problématiques qui touchent la société. Il en ressort une « promesse » de renversement des situations d’injustice et d’inégalité. Ce concept gagne du terrain dans notre pays à partir du développement politique s’appuyant sur l’universalisation du système scolaire et sur l’extension des processus de citoyenneté sociale. De tels processus ont permis un courant de mobilisation politique et sociale dont la jeunesse est le principal protagoniste, en particulier depuis les années 1960 et 1970.

Les processus de répression vécus dans notre pays durant la dernière dictature militaire, ajouté au conséquent recul des niveaux de politisation de la population en général (et de la population jeune, en particulier), ont entraîné des politiques néolibérales ces dernières décennies. Malgré cela, il est mis en évidence qu’associer la jeunesse à l’action politique est toujours un fait présent dans l’imaginaire social. Les années 1990, scénario dudit recul, ont vu surgir, également dans notre pays, différentes manifestations politiques jeunes, telles que l’Association HIJOS, qui est apparue sur le devant de la scène, en exigeant que les crimes commis lors de la dernière dictature soient jugés et punis, ainsi que les groupes d’étudiants de défense de la gratuité de l’enseignement, entre autres. Concernant la représentation de la jeunesse comme un groupe sujet à des difficultés à se projeter dans le futur (jeunes à problèmes), nous pouvons dire que cette vision semble surgir comme une nouveauté dans notre histoire, comme réflexe de la sensibilité de certaines catégories de la population aux possibilités d’insertion de nos jeunes.

Autrement dit, ceux et celles qui voient la jeunesse comme un secteur qui renferme les problèmes de la société (jeunes à problèmes) semblent exprimer une vision construite autour de la peur des jeunes, de leur attraction pour le délit et la violence – c’est une vision qui les rend coupables en partie des problèmes affrontés par notre société et qui exige des mesures punitives contre eux. En résumé, les jeunes et les adultes énoncent différentes visions et représentations de la jeunesse, des visions qui cohabitent et qui se disputent, qui se reflètent et qui contrastent avec la réalité d’une société traversée par les inégalités à l’accès aux biens économiques, sociaux, culturels et symboliques, des inégalités qui se reproduisent et se creusent chez les jeunes.

Malgré cela, les différences exprimées sont rares, non seulement entre les points de vue et les opinions des jeunes et des adultes, mais aussi entre les différents secteurs sociaux. Ceci nous amène à penser que, à certaines occasions, les visions historiquement et politiquement construites comme hégémoniques imprègnent les imaginaires sociaux au-delà des expériences concrètes.

De fait, la réalité sociodémographique de la jeunesse argentine démontre qu’une grande partie des jeunes se trouve distanciée par les possibilités matérielles leur permettant de vivre leur jeunesse comme une étape d’irresponsabilité provisoire, tout comme ils n’ont pas la possibilité d’ajourner leurs responsabilités adultes. Cette situation, telle qu’elle a été observée lors de la Consultation nationale, démontre de fait qu’une proportion importante ne peut s’assumer en tant que jeune.

Malgré cette absence de variété dans les représentations jeunes et adultes sur les jeunesses, la situation socioéconomique est une variable fondamentale qui permet d’entrevoir les inégalités que les jeunes subissent, en laissant de côté les représentations hégémoniques qui, comme telles, englobent nettement un secteur réduit de la population. À l’heure actuelle, les brèches et les inégalités d’accès aux biens de base, tels que l’enseignement, la santé ou le travail, alertent sur la vulnérabilité des droits fondamentaux dont souffre une grande partie de la jeunesse du pays.

Cela signifie que, même s’il l’on ne perçoit pas les différences concernant les jeunesses et ce que l’on en pense, celles-ci existent surtout dans le domaine de leurs possibilités et sur ce qu’est « être jeune » en fonction de son origine sociale.

Différentes situations historiques, des structures économiques et des climats politiques ont régi un type de mouvement pendulaire qui oscille entre une image d’espoir par rapport à la jeunesse, déversant sur elle des rêves et des désirs de changement social (selon des contextes dans lesquels les circonstances politiques étaient suffisamment perméables pour considérer la transformation de la société comme une chose possible) et une image craintive, qui matérialise chez les jeunes les problématiques sociales dont souffre notre société. Cette représentation les rend coupables - en reflétant ainsi un modèle de société d’exclusion qui répond aux jeunes par des options punitives, sans voir que ces mêmes jeunes proviennent du processus de paupérisation et d’exclusion sociale découlant des transformations politiques et structurelles régies par le modèle néolibéral.

Cependant, les promesses de transformation et d’action protagoniste de la jeunesse semblent se fortifier avec l’émergence de la posture qui désigne les problèmes des jeunes et les impossibilités d’occuper le moratoire social, en signalant l’exclusion sociale dans laquelle ils se trouvent immergés et en appelant au compromis politique et social qui permettrait de renverser cette situation.

Sujets de droits : la vision des jeunes organisé/es

En analysant les visions et les perceptions des jeunes organisés/es, nous pouvons observer des similitudes et des différences par rapport aux visions exposées par l’ensemble de la population. D’une part, les catégories de moratoire vital, social et d’action politique sont présentes dans les subjectivités des jeunes membres d’organisations sociales, politiques et/ou communautaires.

{« La créativité est l’une des caractéristiques de la jeunesse : quelles que soient les expressions, les jeunes y insèrent leur mode de vie, leur innovation, ont l’esprit de faire quelque chose de fou dans ce qu’ils font ».

« Être jeune, c’est être immergé dans un processus de prise de décisions importante pour l’avenir. Être jeune, c’est aussi être perdu par manque de connaissance et d’expérience, à partir desquelles nous pouvons apprendre de nos erreurs.»} Jeunes ayant participé aux tables rondes.

Selon le type d’insertion dans lequel les jeunes jouent un rôle, ainsi que le caractère de l’organisation à laquelle ils appartiennent, les unes ou les autres postures prévaudront. Ainsi, les jeunes appartenant à des organisations articulées autour d’intérêts particuliers, tels que l’influence dans les politiques publiques et/ou les thèmes environnementaux et écologiques, tendent à reproduire les visions qui décrivent la jeunesse comme moratoire social et/ou vital. Les organisations ayant des objectifs politiques liés aux combats sociaux plus élargis (féministes, syndicaux, communautaires) mettent la priorité sur les visions de la jeunesse comme acteur politique du changement. Dans ce sens, nous pouvons dire qu’être jeune, c’est : « Commencer à nous engager à changer notre réalité pour améliorer le présent et l’avenir. C’est pouvoir affronter de nouveaux défis de manière originale et plus créative. C’est avoir des droits et des responsabilités » (tables rondes).

Soulignons la vision exclusivement soutenue par les jeunes organisés, à savoir que les jeunes sont des sujets de droits et que les différentes problématiques dont souffre la jeunesse actuelle rendent vulnérables les droits des jeunes et les empêchent ainsi d’exercer leur citoyenneté. Dans ce sens, les différentes situations économiques vécues par les jeunes seraient déterminantes, selon les jeunes organisés, pour définir leur mode de vie et pour définir le qu’est-ce qu’être jeune aujourd’hui : « J’ai du mal à le définir en dehors du contexte socioculturel. Être jeune pour un garçon des quartiers pauvres, ça n’est pas la même chose que pour moi » (énoncé durant les tables rondes). Souvent, les jeunes organisés suggèrent également que les problématiques actuelles consistent non seulement en la vulnérabilité des jeunes mais aussi en l’absence d’assimilation de leurs droits : « Les garçons qui n’étudient pas et qui sont pauvres… Plus grande est la responsabilité, plus petite est la rébellion, non par choix, mais par l’existence de conditions » (tables rondes).

D’autre part, et non par pur hasard, la vision qui associe la jeunesse à une menace pour la société est absente chez les jeunes. Ici, la jeunesse n’apparaît pas uniquement comme un problème qui touche la société par ses actions (potentiellement délictueuses) qui portent préjudice à la « cohabitation sociale ». Au contraire, les jeunes organisés voient cette situation comme émergente face à la marginalité, à l’abandon et à la vulnérabilité de droits dont souffrent les jeunes ayant moins de ressources. Par cette analyse, ils transfèrent cette responsabilité vers la société, dans son ensemble, et vers l’État, puisqu’il ne met aucune action en place permettant de garantir les droits des jeunes. D’autre part, comme nous le disions, la responsabilité des jeunes eux-mêmes est également engagée puisque, de par leur méconnaissance de leurs droits, ils n’exigent pas leur respect et leur application.

Ces perceptions des jeunes organisés sont renforcées par le discours de spécialistes du thème qui ont été interrogés dans le cadre de la recherche et qui aspirent à ce que les jeunes soient vus, essentiellement, comme sujets de droit. Les adultes référents se questionnent, en termes généraux, sur l’idée de moratoire social étant donné que : « Chaque ville a sa particularité, chaque étape a sa particularité. (…) le grand changement qui doit s’opérer dans la société, c’est comprendre que les jeunes sont des jeunes et qu’à partir de là, ils doivent exercer leurs droits. »

Les particularités relatives au fait d’être jeune aujourd’hui concernent les aspects liés au vital, à la flexibilité et à la possibilité d’apprendre ; concernant la génération à laquelle ils appartiennent, cette époque qui permet d’exercer des libertés et l’accès aux nouvelles technologies. Ces modes sont propices à la représentation du jeune comme objet de consommation ou associé au délit et à la marginalité et, fondamentalement, aux aspects transversaux, aux modes selon lesquelles les appropriations socioéconomiques, culturelles, de genre ou d’ethnie permettent au sujet de passer par cette étape de sa vie, exercer ses droits ou exposer ses inquiétudes :

« La fracture des inégalités qui existe aujourd’hui dans tous les secteurs, jeunes ou moins jeunes, se retrouve dans ce secteur : […] être jeune se révèle être un problème dans de nombreuses régions. C’est un problème parce qu’il n’y a pas d’opportunités, parce que leurs droits sont vulnérables, parce que l’horizon n’est pas une source d’inspiration, parce qu’il n’y a pas de travail dans leur pays, parce que le contexte familial dans lequel ils vivent est désorganisé. Être jeune dans d’autres domaines, dans d’autres secteurs économiques, c’est être un diamant brut avec toutes les possibilités inhérentes à la possibilité d’étudier, d’avoir plus de facilité pour comprendre les changements permanents qui se produisent à l’époque où on a la volonté d’accomplir des choses, où on a le plus de projets, le plus de force ».

Les jeunes en tant que sujets de droit : du discours au respect du discours

En confrontant les représentations de jeunes et des adultes de la population générale avec les points de vue et les définitions exprimées par les jeunes organisés, nous pouvons noter que les définitions concernant la jeunesse ne diffèrent pas énormément. Cependant, nous pouvons également noter que, chez les jeunes organisés, le point de vue qui les place en tant que sujets de droits et comme acteurs d’une transformation sociale prévaut. Dans la population en général, malgré le fait que ce point de vue ne se manifeste pas aussi clairement, nous pouvons penser que le fait de représenter les jeunes comme souffrant de problèmes peut être lié - ou être potentiellement assimilé - à la vision des jeunes comme sujets de droits.

La contre position réside dans les définitions qui les placent comme une menace sociale. Dans ce sens, nous considérons que, les assimilations des unes ou des autres postures n’offrent pas de demi mesure et qu’elles reflètent nettement les conceptions concernant la société, les peurs, les espoirs et les désirs.

En partant du point de vue de la jeunesse, nos espoirs, nos désirs (et engagements) permettent principalement de penser les jeunes comme des sujets de droits, en concentrant nos actions pour tendre vers leur intégration, en tenant compte spécialement des droits des jeunes des secteurs les plus défavorisés. Des jeunes qui, comme nous le disions, sont invisibles face aux programmes hégémoniques qui s’approprient la définition (et le devoir d’être) de la jeunesse, en les laissant de côté et, ainsi, en laissant de côté la majorité de notre jeunesse argentine d’aujourd’hui.

Ceci étant, nous considérons que la reconnaissance des jeunes en tant que sujets de droits agit comme une sorte de coup de pied initial pour que la jeunesse arrive à se voir comme étant la « promesse » d’une transformation sociale, à savoir, comme un groupe jouant un rôle politique significatif dans la présentation des demandes et influençant la mise en place de politiques qui s’articulent autour de leurs droits.

Cependant, pour que ceci puisse être appliqué, il faut que tous les secteurs de notre société s’engagent. Enseignants et professeurs, experts des organisations sociales, patrons et entrepreneurs, agents de santé, forces de sécurité, fonctionnaires, législateurs et formateurs d’opinion, familles et la société dans son ensemble occupent un lieu privilégié pour arriver à rendre les droits de la jeunesse efficaces.

Dans cette perspective, notre société et nos jeunes eux-mêmes parlent de la menace qui pèse sur notre démocratie impliquée dans les modèles d’inégalités dont nous souffrons, et revendiquent également une plus grande participation, une plus grande attention et un rôle dans leur vie et au sein de leur communauté. Il faut assumer cela. Il faut influer le présent et poser les bases qui nous permettent de visualiser un avenir nous incluant tous : les jeunes, les enfants, les adultes, les personnes âgées. Il s’agit de dérouter les peurs et les menaces. Il s’agit de faire triompher les rêves, les désirs et les espoirs.

Voir la partie 2

Mots-clés

jeune, citoyenneté, droits sociaux


, Argentine

dossier

Le Livre des jeunesses sud-américaines

Commentaire

La version originale (en portugais)est en ligne sur le site d’Ibase : www.ibase.br/pt/biblioteca-2/

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