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Du ministre au paysan

FMI, engrais et alimentation en Inde

Frédéric LANDY

12 / 1993

La question des engrais chimiques est aujourd’hui au coeur du débat politico-économique indien. D’un côté, l’ajustement structurel imposé par le FMI et la Banque Mondiale; de l’autre, l’enjeu de la nourriture pour tout un pays. Comment en est-on arrivé là?

La crise financière de 1991 a obligé le gouvernement de Narasimha Rao à passer sous les fourches caudines (selon l’expression consacrée)des créditeurs multinationaux. En contrepartie, il fallait réduire les déficits de l’Etat, et notamment les subventions. Quelles étaient les plus coûteuses? Celles concernant les engrais chimiques (plus de 1% du PNB!).

En effet, pour obtenir l’autonomie alimentaire, l’Inde a tenté d’améliorer la productivité de son agriculture: en trente ans, on est passé de 2 kg d’éléments nutritifs par hectare à une moyenne de 71 kg. Et l’Inde est aujourd’hui le 4ème producteur mondial d’engrais, autosuffisante à presque 80%. Il s’agissait cependant d’assurer des prix bas à l’agriculteur tout en sauvegardant les intérêts des industriels: aussi depuis la fin des années 1970 l’Etat paie-t-il la différence entre le prix au consommateur (identique dans toute l’Inde)et un prix au producteur calculé de façon à assurer à celui un revenu net après impôt de 12%, quel que soit son coût de production. La productivité de l’industrie n’était guère encouragée, mais tout le monde trouvait son compte dans ce système: les producteurs, les agriculteurs, mais aussi les consommateurs de produits agricoles puisqu’ainsi la nourriture était bon marché grâce aux intrants subventionnés. C’était en fait toute l’économie de l’alimentation qui se trouvait ainsi assistée - fait d’importance pour une population dont le tiers vit en deça du seuil de pauvreté.

En 1993, la situation a changé. Après maintes tergiversations, des pas en avant suivis de pas en arrière, des mesures visant à satisfaire le FMI tout autant que les syndicats agricoles (et qui en fait ne satisfaisaient personne), les engrais azotés, qui représentent l’essentiel de la consommation, restent sous le contrôle de l’Etat, mais leurs prix ont été augmentés (pour la première fois depuis 1981, il est vrai). Les engrais phosphatés et potassiques (ces derniers entièrement importés)ont eux été libérés, d’où une forte hausse des prix (jusqu’à un triplement). Mais les producteurs souffrent des importations des Etats-Unis ou de la Russie qui pratiquent des prix de dumping. Bref, nul n’est satisfait: le FMI soulignent que des subventions continuent, des usines ferment, les agriculteurs paient plus cher leurs intrants, les consommateurs craignent l’inflation des prix des grains, et les régions enclavées et sous-développées regrettent la péréquation des prix des engrais. L’Etat est conscient de ces problèmes: craignant une baisse de la production agricole, il a augmenté les prix agricoles minimum ("support prices")afin de compenser satisfaire les paysans.

Tous les paysans? Assurément non. Car tous ne produisent pas de surplus: les petits agriculteurs ne produisent souvent même pas assez pour leur subsistance! Ceux-ci sont donc doublement perdants: d’une part ils sont touchés par la hausse des engrais (moins nombreux que les autres à utiliser des engrais, les petits paysans qui le font en utilisent cependant davantage par hectare). D’autre part, ils dépendent du marché pour leur alimentation - et de plus en plus s’ils utilisent moins d’engrais: or augmenter les prix de soutien agricoles, c’est augmenter le prix des grains. Ils ne peuvent qu’en pâtir.

Il est vrai qu’il existe des boutiques de rationnement, alimentées par les stocks publics en céréales, où les pauvres peuvent se ravitailler à bas prix. Mais ces boutiques, outre qu’elles n’existent pas partout en Inde, ont vu justement leurs prix augmentés par l’Etat qui ne souhaitait pas alourdir le poids des subventions à l’alimentation. En fait, ces prix sont à la hausse... pour compenser la hausse des prix de soutien dont ne bénéficient justement pas les petits paysans! Tant pis si les pauvres ne peuvent puiser dans les stocks publics: on pourra ainsi exporter, pour le plus grand bien de la balance des paiements.

Mots-clés

stratégie alimentaire, ajustement structurel, fertilisation du sol, intervention de l’Etat dans l’agriculture, politique agricole, révolution verte


, Inde

Commentaire

D’une part le marteau du FMI et des "grands équilibres économiques", du GATT et des multinationales de l’agroalimentaire qui frappent à la porte du pays. D’autre part l’enclume des menaces de chute de la production agricole, de pression des lobbies d’agriculteurs, et d’un exode rural encore restreint actuellement mais qui pourrait grossir en cas de "crise des ciseaux": le gouvernement indien tente de louvoyer à travers ces difficultés. Il voudrait ouvrir le pays à l’économie internationale, mais en même temps ne pas sacrifier près d’un demi-siècle de politique d’autonomie ("self-reliance").

Notes

Cette fiche a été élaborée à partir de ma thèse qui doit être publiée en 1994 sous le titre : "Paysans de l’Inde du Sud", chez Karthala.

Source

Personne ressource

LANDY, Frédéric

Université de Paris 10 (Centre d’étyudes de l’Inde et de l’Asie du sud) - 59 Rue Bazire, 76300 SOTTEVILLE LES ROUEN. FRANCE. Tel 33 (0) 140 97 75 58. Fax 33 (0) 140 97 70 86 - France - frederic.landy (@) wanadoo.fr

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