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Le tribunal pénal international sur l’Ex-Yougoslavie

Lacunes et avancées

Anne-Marie BENET

10 / 1994

Le Tribunal International (TI)a été créé le 25 mai 1993 par la résolution 827 du Conseil de sécurité des Nations Unies adoptée à l’unanimité, pour jugerdes crimes et des atrocités commises notamment en Croatie et en Bosnie-Herzegovine; il a été inauguré le 17 novembre 1993.

Créé sur la base du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, c’est à dire à titre de mesure coercitive, le TI présente donc deux aspects : un aspect dissuasion et un aspect sanction.

I. Les ambiguïtés du Tribunal International

I.1. Un statut lacunaire

Le crime contre la paix ne fait pas partie des crimes qui peuvent faire l’objet de poursuites de la part du Tribunal. Or, la guerre en ex-Yougoslavie est bien une guerre d’agression de la part des Serbes contre les populations civiles Musulmanes et Croates essentiellement en Bosnie-Herzégovine.

I.2. Un statut ambigu

Il est dit dans le statut (art. 18)que « le Procureur ouvre une information d’office ou sur la foi des renseignements obtenus de toutes sources, notamment des gouvernements, des organes de l’Organisation des Nations Unies, des organisations intergouvernementales et non gouvernementales ». Rien ne dit, dans le statut, que les victimes peuvent individuellement déposer plainte même si cela n’est pas expressément exclu. Il n’est pas non plus prévu que la victime puisse se porter partie civile (l’action civile est l’action en réparation du dommage causé par le crime, déclenchée par la victime; l’action publique est l’action pour l’application des peines dans l’intérêt général, déclenchée par le Procureur).

Le terme du mandat du TI est également un problème non résolu. On peut lire dans le rapport du Secrétaire général du Conseil de sécurité que le mandat du TI « serait lié à la restauration et au maintien de la paix et de la sécurité internationale sur le territoire de l’ex-Yougoslavie ainsi qu’aux décisions du Conseil de sécurité s’y rapportant ». L’enjeu est de taille : la sanction des crimes par le biais du TI est considérée comme une nécessité manifeste totalement indépendante de la résolution du conflit.

I.3. Le problème de l’effectivité du droit international humanitaire

La traduction matérielle et effective des criminels en justice ne peut se faire qu’avec l’entraide des Etats auxquels sont adressés des mandats internationaux d’arrêt, de détention et d’amener. La plupart des criminels résident sur le territoire de l’ex-Yougoslavie mais un certain nombre d’entre eux a émigré lors des évacuations de réfugiés. Ceux-là peuvent et doivent être appréhendés. Les Etats qui refusent de coopérer ou manquent de diligence feront l’objet d’une décision du Conseil de sécurité.

Si cette décision n’a pas directement un caractère coercitif, on peut espérer, au vu d’exemples récents d’extraditions (attitude du Paraguay en ce qui concerne Jacques Médecin par exemple)que les Etats finissent par s’y plier à plus ou moins long terme pour des raisons à la fois diplomatiques etéconomiques (la crainte de représailles).

II. Les acquis du Tribunal international

II. 1 Le TI est un instrument nouveau

C’est la première fois qu’un Tribunal pénal véritablement international, dans sa composition, son mode d’élection, sa nature et son siège, est créé pour juger les personnes présumées responsables de crimes commis sur le territoire d’un pays en guerre civile. Il diffère donc des tribunaux de Nuremberg et de Tokyo en ce qu’il n’est pas sis sur le territoire où ont été commis les crimes, qu’il a été institué avant la cessation des conflits dans un but de sanction mais aussi de dissuasion immédiate. En outre, il concerne des criminels qui sont pour la plupart toujours localisés en ex-Yougoslavie, qui n’ont pas fait l’objet de poursuites et a fortiori, été traduits devant des juridictions pénales. Le TI se distingue également de la Cour internationale de justice qui a vocation à trancher des différends entre Etats uniquement, seules entités habilitées à se présenter devant la Cour.

II. 2. Le TI est un instrument unique

En tant qu’organe subsidiaire du Conseil de sécurité, créé pour juger les personnes présumées responsables de violations du droit international humanitaire en Ex-Yougoslavie, le TI est un instrument unique de droit international contemporain. Cette juridiction de nature exceptionnelle a, par principe, une compétence quasi exclusive puisque le TI a la primauté sur les juridictions nationales. Il est capital que cette primauté soit respectée dans les faits par les juridictions qui poursuivent actuellement les criminels présumés afin de garantir non seulement la crédibilité du TI mais aussi l’impartialité du jugement et la protection des victimes et des témoins. Deplus, ce tribunal ad hoc doit devenir un Tribunal pénal international permanent afin de dissuader pour l’avenir les idéologues et les exécutants des crimes les plus odieux.

II. 3. Le TI est un instrument adapté

Les règles d’admission des preuves sont assez larges : toute preuve est admissible, sauf lorsque son obtention entraîne elle-même une violation des droits de l’homme. En outre, le Tribunal peut ordonner la production d’une preuve nouvelle ou additionnelle de son propre chef. Aucune immunité ne peut exclure un présumé responsable de sa traduction devant le Tribunal. Un Bureau de recensement des victimes et des témoins doit être créé au sein du Bureau du Procureur afin de leur prodiguer conseil juridique, aide et soutien psychologique, et de recommander des mesures de protection le cas échéant (enparticulier pour les victimes réfugiées hors de l’ex-Yougoslavie et qui ont retrouvé, comme en Allemagne, leurs bourreaux sur leur lieu de refuge). Certains crimes, comme le viol, sont visés avec une attention particulière par le règlement de procédure.

III. Des déficiences préoccupantes

L’absence de budget propre, mais surtout le nombre insuffisant des commissions d’enquête dépêchées sur le terrain et leurs faibles moyens pour mener à bien leur mission sont parmi les principales déficiences du TI. Dans ce contexte, la démarche des Organisations non gouvernementales de porter à l’attention du Procureur du TI des informations sur des crimes commis en ex-Yougoslavie est primordiale : la nature des institutions est à la fois - pour les victimes comme pour le TI - une garantie d’impartialité essentielle pour la conduite des procès, et un vecteur privilégié qui ne souffre d’aucun frein diplomatique.

Cette démarche, comme celle des Etats auprès du TI doit aboutir à un jugement qui consacre la « compétence de l’humanité » pour les crimes contre l’humanité et donne une réparation morale et matérielle aux nombreuses victimes, afin de leur permettre de retrouver à terme la possibilité de vivre sur leur territoire ou même au sein d’une communauté multi-ethnique. La nécessité du prononcé de jugements par le Tribunal international doit s’imposer comme une responsabilité humanitaire internationale à l’égard des populations civiles.

Mots-clés

droit humanitaire, droit international, TPI, ONU, paix et justice, violation des droits humains, crime contre l’humanité


, Yougoslavie

dossier

Expériences et réflexions sur la reconstruction nationale et la paix

La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et les nouveaux défis du XXIe siècle

Notes

Anne Marie BENET est élève-avocate à l’association internationale Juristes Sans Frontières, basée à Montpellier (France). Cette ONG est très impliquée sur le tribunal pénal international et a produit de nombreux argumentaires et analyses juridiques sur la question.

Séminaire sur la reconstruction du Rwanda, Kigali, 22-28 octobre 1994.

Source

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