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Logiques institutionnelle et professionnelle

Divorce à l’ONG

Pierre DE ZUTTER

01 / 1994

On ne peut donner leur nom, car les séquelles du divorce ont laissé des rancoeurs et ils n’aimeraient pas qu’on en parle. Mais leur histoire est tellement exemplaire qu’elle mérite d’être racontée.

Appelons-les Gustavo et Arturo. Disons qu’ils sont latino-américains, que Gustavo est un spécialiste en sciences sociales (peu importe dans quelle "logie")alors qu’Arturo fait dans le concret (il est "ingénieur").

Pendant quelques dix ans ils ont travaillé avec des groupes populaires et ils ont fait, chacun à sa manière, un excellent labeur, tout en dévouement, en écoute et en finesse, qui les a élevés au rang d’interlocuteur principal et de confiance pour ces groupes.

Il y a quatre ans, tous deux se sont rencontrés, un peu par hasard. De leurs échanges est né l’émerveillement: les groupes qu’ils appuient se méconnaissent, s’ignorent, s’affrontent même parfois entre eux, alors qu’ils sont tellement complémentaires, alors qu’ils auraient tant à partager et à s’épauler entre eux.

Gustavo et Arturo n’ont fait ni une, ni deux. Tout de suite ils en ont parlé au sein des groupes. Parce qu’ils étaient gens de confiance, on leur a donné une chance: à la première occasion les deux groupes se sont retrouvés ensemble pour se connaître et échanger. Et l’émerveillement de la petite rencontre s’est reproduit dans la grande rencontre entre ces deux importants secteurs populaires. Une dynamique impressionnante est née à son tour.

Conscients de ce qui surgissait et du besoin d’appuis pour consolider l’ensemble, Gustavo et Arturo créèrent une petite ONG qui les réunisse et qui leur permette de mieux travailler ensemble. C’est sous le chapeau de celle-ci qu’ils contribuèrent à l’organisation de la première grande rencontre. C’est à travers elle qu’ils recherchèrent ensuite des collaborations pour que cette dynamique puisse s’épanouir et porter ses fruits.

Mais voilà. Alors qu’Arturo s’investissait à temps partiel dans l’ONG car il continuait à remplir différents engagements professionnels, Gustavo y entrait à temps plein, y mettait toute sa disponibilité. Le premier continuait sur sa lancée antérieure, offrant son bénévolat en fonction des besoins et des possibilités; le second projetait toute sa vie dans l’institution naissante.

Mentalités différentes? Non: métiers différents.

Pour les diverses logies des sciences sociales, les débouchés professionnels en Amérique Latine sont relativement restreints: fonctionnaire de l’Etat ou de quelque organisme international, professeur universitaire, quelques petits contrats de consultant ou ... des projets, qu’ils soient publics ou privés. Pour Gustavo, l’ONG était le prolongement de tous ses engagements mais c’était aussi une source d’emploi pour lui-même.

Par contre, l’horizon de travail d’Arturo est plus vaste. Il peut aussi bien accepter un poste dans quelque institution que célébrer des contrats avec des entreprises. Sa demande par rapport à l’ONG n’était donc pas la même: s’il pouvait y trouver de quoi survivre, ce serait parfait, mais ce n’était pas une condition sine qua non.

L’entente entre Gustavo et Arturo n’a duré qu’un an et demi. Très vite ils ont divorcé: à chacun son ONG. Celle de Gustavo a produit des projets et travaille avec de petits groupes qu’elle isole jalousement comme des poules aux oeufs d’or. Celle d’Arturo continue sa marche lente, disponible et active en accompagnement du processus, proposant des projets, oui, mais négociant ferme pour ne pas s’éloigner de la dynamique d’ensemble. Arturo et ses amis "concrets" ont développé leur valeur professionnelle et ont monté en parallèle une entreprise de conseil pour y puiser leurs revenus et ne pas dépendre exclusivement des projets.

Mots-clés

association, autonomie, financement du développement, marché de l’emploi, ONG, sciences sociales


, Amérique Latine

Commentaire

Divorce à l’ONG! La logique de l’emploi est prépondérante dans bon nombre de décisions des ONG; elle préside en grande partie la logique institutionnelle. C’est normal. Mais si l’on pouvait l’expliciter mieux, en débattre plus à fond, peut-être gagnerait-on en transparence dans tous ces partenariats auxquels prétend accéder l’aide au développement: entre groupes populaires et ONG, entre le Sud et le Nord, entre les institutions du Nord.

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