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L’habitat participatif en Uruguay

25 ans d’expériences et trois experts de passage

Christophe BEAU

03 / 1994

"Dites, vous n’auriez pas un agronome pour compléter une mission CEE d’identification en Uruguay?". "Si, pourquoi pas ? 15 jours, on peut toujours ; et puis tous les deux ans, ou presque, reste cette envie de se remettre dans la peau de "l’expert". "Y a t’il du nouveau dans l’éthique ou l’impact du métier ?". De quoi s’agit-il cette fois-ci ? Depuis 25 ans le MEVIR-Comision honoraria pro-erradicacion de la vivienda rural insalubre - a bâti près de 10.000 maisons rurales pour les salariés ruraux. Cela a été permis par l’instauration d’une loi permettant le prélèvement d’une taxe sur les échanges agricoles ce, au profit du MEVIR. Il faut bien admettre qu’au départ, il s’agissait de maintenir à la portée des gros propriétaires (estancias)une main d’oeuvre de "gauchos troperos" à bon marché. En améliorant leurs conditions de vie, la continuité était assurée.

Aujourd’hui après 20 ans de bouleversements économiques et politiques, le MEVIR est toujours là. On compte près de 50000 familles de salariés ruraux en Uruguay : plusieurs années de politiques néo libérales conjuguées à la chûte constante des cours de la viande et de la laine n’ont fait qu’empirer leur situation.

Il semble que la moitié de cette population soit en dessous du seuil de pauvreté (3200 US$ /an). Mais un contingent aussi nombreux de petits propriétaires ruraux les y a rejoint de ce point de vue.

Le MEVIR est donc rentré de plein pied dans le développement agricole rural fort de sa notoriété dans les campagnes. Le système de "ayuda mutua" (aide mutuelle)qui préside à la construction des lotissements y est pour beaucoup : travail collectif sous forme de quotas d’heures par famille, système astucieux de dettes et de troc limité d’heures, tri au sort des maisons en fin de construction, etc...

MEVIR : la caution de 25 années d’expérience de réhabilitation de l’habitat rural.

Le Mevir participe depuis 25 ans à la rénovation de l’habitat des populations rurales les plus marginales du pays. Le système d’appui du MEVIR dispose d’une triple reconnaissance qui lui confère aujourd’hui une bonne solidité et grande continuité.

. Reconnaissance de la part de l’Etat à la fois par l’impôt prélevé à travers la loi et par un financement public à travers le ministère du logement (peu sujet aux changements politiques).

. Reconnaissance de la part des élus locaux (intendencias)qui à la fois avalisent les demandes des populations rurales et prêtent leur appui à la réalisation des infrastructures nécessaires (routes, électrification,...)dans la mesure de leurs moyens.

. Reconnaissance enfin, de la part des populations rurales pour qui depuis longtemps, la preuve est faite que la maison Mevir rime avec opportunité de démarginalisation, développement communautaire et renforcement de la famille.

A tous ces niveaux, la réputation du système provient :

- à l’aval, de mécanismes éprouvés d’autoconstruction solidaire et participatif chez les bénéficiaires (système de "ayuda mutua").

- et à l’amont, d’une grande rigueur administrative et financière de Mevir pour la gestion des crédits, l’achat des matériaux, etc...

Face à l’importance des besoins, insuffisamment couverts par les municipalités (intendencias)ou ministères concernés, Mevir est rentré depuis 2 ans dans le champ du développement rural.

Le capital de confiance de Mevir au sein de la population rurale semble permettre leur adhésion à des propositions d’appui technique pour développer des initiatives productives permettant une certaine intégration à l’économie locale et/ou nationale. Un département du développement rural a ainsi réalisé quelques expériences d’habitat "productif" :

- habitat productif de type groupé pour les salariés temporaires du secteur élevage (gestion des troupeaux des "estancias")ou du secteur agricole (récolte des céréales chez les gros propriétaires): production maraîchère d’autosuffisance, mise en place de pépinières forestières au service d’entreprises forestières. Il s’agit dans ce dernierr cas, de permettre l’insertion économique dans un secteur actuellement très favorisé... au niveau des gros propriétaires ou gros investisseurs.

- habitat productif dispersé pour les petits producteurs marginalisés, réhabilitation de l’habitat ainsi que des bâtiments d’élevage, encadrement technique et appui à l’organisation paysanne.

Par ailleurs un service de développement communautaire plus spécialement dirigé vers les femmes et les enfants vise à créer des conditions de santé et l’éducation minimale tout en développant des activités collectives artisanales.

UNE COOPERATION UE-MEVIR FICELEE D’AVANCE !

L’objet du projet CEE vise précisément à renforcer pour 1994-97 le potentiel de ce nouveau programme en y intégrant mieux les diverses composantes et en l’élargissant à une dynamique de développement local. Le concept de la maison (matériaux, architecture)est en cours de révision.

Insolite ! Les experts de la CEE suggèrent d’abandonner le choix peu couteux du fibrociment pour le toit car politiquement, il est inconçevable de financer ce qui est responsable de la fermeture actuelle du bâtiment d’origine de la Commission européenne à Bruxelles (le Berlaymont). Comme si les effets cancérigènes de l’amiante s’exprimaient identiquement pour les toits des maisons rurales et les gaines de chauffage à Bruxelles. Autre incompréhension : le modèle urbain européen ne peut se conçevoir dans des zones où l’espace libre regorge, de faire des maisons si contigues. Et si l’on se mettait à la place du gaucho qui rêve sans doute après des journées aux horizons infinis de sentir quelques proximités.

Autre sujet d’inquiétude ; les quelques petits producteurs laitiers auxquels l’on apporterait quelque assistance ne risqueraient-ils pas d’"inonder" le marché européen (sachant que le Brésil couvre à 10% ses besoins !)? le projet risquerait-il de provoquer la non signature du MERCOSUR ?

Malgré ces remarques d’ordre diplomatique, l’essentiel n’est-il pas de drainer vers cette ONG active et solide méthodologiquement des fonds conséquents et utiles, bien ciblés ; le tout sous des formes négociées peu contraignantes pour le cheminement et le rythme de l’action ? D’ailleurs, n’aurions nous pas pour "mission" justement d’occuper des espaces de pouvoir (l’argent)à des fins "utiles" ? Aux dernières nouvelles, l’UE avait donné son avis favorable au MEVIR (un million d’écus par an). Alors mission remplie ou pas ? L’ONG a eu son soutien sur une base à priori saine, probablement. Mais les jeux n’étaient-ils pas fait d’emblée et pour un montant déjà pré-attribué ? En tout cas, tout le monde est content ; l’UE à travers son responsable Amérique Latine, a un partenaire solide porteur de son ré-engagement en Uruguay ; les experts sont venus, ont (bien)vécu, et ont "gagné" ; le MEVIR a un espace d’autonomie en plus. Y a t-il une conclusion ? Manifestement non, puisque de suivi, il n’y en aura point. Rendez-vous avec d’autres dans 3 ou 5 ans pour évaluer ce qui sera sans doute enteriné d’avance !

Mots-clés

habitat rural, logement social, développement rural, réhabilitation de l’habitat, conditions de vie, autoconstruction


, Uruguay, Europe

Notes

GEYSER est un groupe de travail à l’interface des questions d’agriculture, d’environnement et de développement. GEYSER anime des réseaux, systématise et diffuse des informations utiles pour l’action, fournit des appuis techniques ou méthodologiques.

Source

Récit d’expérience ; Texte original

GEYSER (Groupe d’Etudes et de Services pour l’Economie des Ressources) - Rue Grande, 04870 Saint Michel l’Observatoire, FRANCE - France - www.geyser.asso.fr - geyser (@) geyser.asso.fr

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