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A propos d’un projet de développement de la pêche en Casamance, Sénégal

Le fossé qui sépare l’avant-projet du projet

Sophie NICK

02 / 1996

Jo Le Hiarric a participé, entre 1987 et 1990, en tant que coopérant technique au projet PAMEZ (Pêche Artisanale Maritime dans la région de Ziguinchor). L’objectif était de limiter l’exode rurale en développant l’activité pêche en Casamance (Sénégal). Il raconte ici la nécessité de remettre en question l’avant-projet.

- Le changement de contexte : "Entre le moment où j’ai lu le pré-rapport et le moment où j’ai commencé à travailler, il y avait déjà un décalage. En quatre ans, on a vu le contexte politique changer, on a été témoins du problème des réfugiés entre la Mauritanie et le Sénégal, on a été obligés de s’adapter. La CEE a demandé au PAMEZ de réorienter la production et l’organisation commerciale des captures. Ca a eu pour effet d’impliquer les femmes de Casamance dans la transformation des poissons pour en faire des produits peu chers et de bonne qualité afin de remédier aux problèmes alimentaires. Nous nous sommes adaptés à un contexte qui était différent de celui du départ. Nous nous sommes laissés transformés d’abord pour pouvoir ensuite transformer le projet. Sur un évènement semblable, on peut juger de la validité de nos actions. Mais le bilan de l’action par rapport à ce qui était prévu est forcément différent.

Un évènement dramatique comme celui d’afflux de réfugiés peut se traduire par l’approvisionnement en poissons séchés d’une certaine qualité, la propagation d’une image de marque. Quand ces gens ne sont plus des réfugiés, ils vont continuer à demander le même produit, du poisson séché de Casamance."

- Une mauvaise identification : "Certains problèmes techniques comme le manque de compas ou de réflecteurs radar n’avaient pas été repérés lors de la mission d’identification du projet. Quand on est du métier, on se rend compte que c’est difficile de vivre sans, que ça ait des répercussions sur le plan économique, sur le prix du carburant, sur la qualité du poisson rapporté...tout est lié. Ces équipements sont venus alourdir le budget, il a fallu s’adapter et innover rapidement dans le projet lui-même. Il faut pouvoir se critiquer et modifier le projet.

Quand on a pensé au compas, on savait déjà que ce besoin était celui de tous les pêcheurs et pas seulement celui des pêcheurs du projet. Il fallait donc faciliter l’approvisionnement. On avait des contacts en France pour ça mais on n’avait pas de financement. Il a fallu persuader l’importateur de prendre le risque de commander plus de matériel que ce qui était prévu pour nous."

- Un programme mal ciblé : "Notre formation de pêcheurs était ciblée sur les paysans casamançais mais la demande était celle des pêcheurs en général et on n’y a pas répondu parce qu’on n’était pas là pour ça. Il y a eu un décalage entre la population cible du projet et la véritable cible du projet que nous avons découverte. Nous aurions du faire des démonstrations et des discussions sur la plage pour que tout le monde puisse en profiter. Finalement, ça s’est fait quand même par le voisinage, l’amitié, par le fait que nous étions implantés (sur trois sites au moins)dans des endroits où il y avait des pêcheurs...alors que la tendance des Casamançais aurait été de s’installer dans des endroits vierges. Sur ce dernier point nous ne nous sommes pas trompés. Le cas de Kafountine (sur la côte Atlantique)l’illustre : Quand nous sommes allés dans ce village, les jeunes pêcheurs voulaient être en dehors des pêcheurs migrants qui venaient du Nord, des Woloffs et des Niomincas. Mais nous savions que la formation allait venir autant, sinon plus, des autres pêcheurs que de nous. Ils partaient en mer le matin ensemble, ils comparaient leurs prises, ils discutaient des prix, ils étaient tout de suite dans le bain. Nous avons dit aux jeunes pêcheurs : "vous allez vous installer au milieu des migrants avec le charpentier, on va se moquer de vous parce que vous aurez des beaux cirés et que vous ramenerez moins de poissons". Ils se sont confrontés les uns aux autres, en mer mais aussi sur le terrain de foot et à partir de là on a identifié d’autres problèmes qui n’avaient rien à voir avec la pêche. Nous avons fait des conférences sur les maladies sexuelles avec des médecins, des campagnes de vaccination pour les pêcheurs casamançais et migrants. Nous avons impliqué les centres locaux.

L’identification du projet aurait du se faire globalement, intégrant tout le contexte parce qu’on aurait répondu autrement."

- Trop de temps entre l’avant-projet et le projet : "J’ai fait une mission en Mauritanie sur le problème qui touchait les réfugiés. Entre le moment où j’ai fait des propositions et le moment où le projet aurait pu fonctionner, il s’était passé tellement de temps que les solutions proposées sont tombées à l’eau car le problème était déjà résolu. 3 ou 4 ans après, les réfugiés étaient repartis ou avaient été intégrés. Ils ne nous avaient pas attendus."

Mots-clés

pêche artisanale, mer, coopération, ONG


, Sénégal

Commentaire

J’aurais souhaité, avant l’éxécution du projet, participer à un débat contradictoire qui fasse le point mais pas uniquement sur le plan financier, des investissements à court terme. Souvent, on fait une critique à la fin mais au moment où on met en route le projet, on arrive avec 5 ou 6 ans de retard par rapport à l’identification. On travaille avec des budgets, des actions qui ne collent plus à la réalité et on doit faire avec.

Notes

Entretien réalisé par Sophie Nick à l’île de Houat dans le cadre de la capitalisation d’expérience du CEASM.

Entretien avec LE HIARRIC, Jo

Source

Entretien

CEASM (Association pour le Développement des Activités Maritimes) - Le CEASM a arrêté ses activités en 2001. - France

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