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Najdeh ou l’auto-promotion en l’absence d’Etat

Une ONG libano-palestinienne travaillant avec les réfugiés palestiniens du Liban se présente comme une organisation d’auto-promotion. Dans quelle mesure peut-on dire qu’elle en est une ?

Jean Christophe SIDOIT

09 / 1997

Afin de pouvoir parler d’organisation d’auto-promotion, il est nécessaire d’interroger l’origine de l’organisation : L’organisation vient-elle de la base ?

Najdeh se définit comme "une organisation de femmes qui travaillent pour les femmes. Son but est de donner la possibilité aux femmes de devenir des membres productifs dans la société. (...)L’association souhaite donner du pouvoir aux femmes et leur permettre de réaliser leurs aspirations." Najdeh croit en une approche intégrant le développement et la participation pour permettre de valoriser de nouvelles valeurs pour les nouvelles générations".

Cette ONG, créée en 1977 autour d’un projet générateur de revenus par et pour des femmes réfugiées palestiniennes, est une association issue de la base.

Dominique Gentil propose 5 critères d’évaluation concernant l’auto-promotion (1):

- une autonomie intellectuelle et financière

- des objectifs conscients et explicites

- des rapports importants avec l’Etat et la société civile

un poids économique et politique suffisant

une organisation interne établie

Appliquons cette grille d’analyse à Najdeh.

1)En terme d’autonomie intellectuelle, nous pouvons penser qu’il n’y a pas de problème. Le rattachement de l’association à un groupe politique est un choix. Sachant la très forte politisation des camps de réfugiés, ce serait impensable qu’une association se développe ainsi, dans de telles proportions, sans positionnement politique (et sans protection). Si les groupes de femmes sont liés à des partis politiques, elles restent cependant indépendantes dans la gestion de leurs activités. Par ailleurs, le militantisme politique s’inscrit dans un projet de sens, celui de la promotion d’un certain modèle de société. Mais Najdeh n’est pas financièrement autonome : elle dépend en partie de subventions données par les ONG du Nord pour lui permettre de maintenir un travail social d’envergure, et non seulement un travail économique.

2)Il suffit de se référer à la première partie de ce document pour affirmer l’existence d’objectifs conscients et explicites.

3)L’absence d’Etat palestinien, et le contexte politique prévalant au Liban ne permettent pas de rapport important avec l’Etat. Cependant, le fait que Najdeh puisse continuer à exister sans être ennuyée, ni subir de pression des gouvernements libanais, laisse supposer que des relations minimum existent, et, répondant déjà au critére N°4, que son poids économique et politique (en tant que très connue en occident, et en tant qu’organisation proche du FDPL)est suffisamment important pour que l’Etat ne juge pas pertinent de l’attaquer de front. Par contre, les rapports de Najdeh avec la société civile sont très importants. Elle travaille avec beaucoup d’ONG étrangères ou palestiniennes, grâce à quoi elle est bien implantée dans les camps, et influe sur leur structure économique.

4)Sa taille et son poids économique et politique sont tels, que même dans un contexte où les organisations palestiniennes entrent de plus en plus en concurrence, Najdeh continue à faire référence.

5)Pour gérer de tels programmes et pour être à même de procéder à des réajustements en fonction de l’état de la trésorerie ou du budget, il faut que l’association soit munie d’une organisation interne forte. C’est la seule garantie pour éviter l’éclatement. Les 17 ans d’existence de Najdeh nous prouvent que c’est le cas.

Ainsi, selon les critères posés par Dominique Gentil, Najdeh serait une organisation d’auto-promotion si elle parvenait à une indépendance financière. Or cette indépendance est actuellement impossible. Dans le cas présent, la dépendance ne met pas en cause l’autonomie intellectuelle de la structure puisque l’argent extérieur transite à travers de nombreuses ONG étrangères. Il n’y a pas de récupération possible. Nous pouvons donc dire que Najdeh est une organisation d’auto-promotion, malgré le manque d’orthodoxie en matière financière. Cependant, quelles sont les limites que posent cette dépendance financière ?

Le secteur social représente 27 % des dépenses totales de Najdeh en 1993 et l’éducation préscolaire 25 %. Sur les 30 % que représente la formation professionnelle, environ 50% concernent les cours complémentaires (aide scolaire, langue anglaise, alphabétisation principalement). En somme 67 % des dépenses de Najdeh en 1993 ont été consacrées à des activités mises en place pour tenter de pallier l’absence d’Etat. A ce chiffre il faut ajouter les dépenses liées à l’administration nécessaire à la mise en oeuvre et au suivi de ces activités soit les 2/3 des 7% du budget annuel de Najdeh consacré à l’administration.

Najdeh reste tributaire des aides extérieures. Ses activités économiques ne permettent pas de financer des programmes sociaux. Dans le contexte du Liban, il est illusoire de penser que cette situation puisse changer. Au départ, l’aide était utilisée pour soutenir les ateliers de production (broderie, menuiserie, électricité). Aujourd’hui ces derniers sont autonomes, ainsi qu’une partie des centres de formation professionnelle, intégrés aux projets de production. Mais des fonds importants sont encore nécessaires pour les développer.

En fait le secteur de la formation et le secteur social effectuent un travail qui dans des circonstances normales, serait à la charge de l’Etat, d’administrations territoriales ou dans le cas présent des Nations Unies :

- assurer une éducation préscolaire (jardin d’enfants 3

6 ans),

- assurer une éducation secondaire et supérieure (Najdeh offre des bourses pour permettre aux collégiens arrivant en fin de cycle de poursuivre leurs études en lycée puis en université),

- offrir une formation professionnelle,

- orienter les famille dans un suivi médical et le subventionner,

- aider à la reconstruction des maisons détruites par la guerre et au relogement des familles qui ont eu leurs habitations rasées par l’armée libanaise

- apporter une aide financière aux veuves...

Le coût de ces activités est énorme. Najdeh se refuse des déséquilibres financiers qui mettraient en danger la structure. Ainsi, depuis deux ans, des jardins d’enfants ferment et l’aide sociale diminue au fur et à mesure que les ressources de l’association baissent. Celle-ci assiste, impuissante, à la paupérisation des camps de réfugiés.

Mots-clés

autonomie, financement du développement, financement, rôle de l’Etat, désengagement de l’Etat, Etat et société civile, camp de réfugiés


, Liban, Palestine

Commentaire

L’aide sociale dépend toujours, soit des deniers publics, soit de subventions privées. Pour viser l’indépendance financière, Najdeh devrait réduire considérablement ses activités sociales alors qu’il devient essentiel de les développer. L’association fait donc le choix de la dépendance en tentant une réelle politique d’auto-promotion des réfugiés de Palestine au Liban, laquelle n’est pas finançable par ses activités de production. En revanche, développer une politique de gestion qui donne priorité aux activités de production et de formation financièrement viables permet de garantir la perennité de la structure.

Notes

(1)Voir la fiche intitulée "L’autopromotion, un facteur de développement humain et un outil pour la paix".

Jean-Christophe SIDOIT intervient pour ERM, particulièrement en Palestine et au Liban.

Source

Thèse et mémoire

SIDOIT, Jean Christophe, Les ONG Palestiniennes du Liban ou l'étouffement

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