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Le mouvement paysan au Mexique de 1970 à 1990 : de la lutte pour la terre à la concertation avec l’Etat

Pierre Yves GUIHENEUF

05 / 1996

Au début des années 70, les luttes pour la terre constituent l’essentiel des revendications du secteur paysan. Même si les succès sont relatifs et si les organisations se font et se défont au fur et à mesure que les problèmes sont résolus, le mouvement paysan se structure peu à peu autour d’une revendication commune : la terre. Les organisations revendiquent également de nouvelles pratiques : la prise de décision collective et horizontale, leur indépendance vis-à-vis des partis, le respect de l’autonomie des organisations régionales. Les organisations s’insurgent également contre la corruption et la fraude électorale, donnant naissance à des mouvements de contestation parfois violents lors d’élections municipales.

Les luttes agraires sont très violentes. Les propriétaires et les pouvoirs politiques locaux organisent fréquemment des milices qui exécutent assassinats et massacres de paysans, de leurs familles et de leurs amis. La répression sévère de la fin des années 1970 incite les organisations à chercher leur unité et c’est ainsi qu’en 1979 est créée la Coordination nationale "Plan de Ayala" (CNPA). Elle inaugure une nouvelle dynamique paysanne : celle d’un réseau d’organisations régionales indépendantes. Elle rompt également avec le corporatisme et le centralisme habituels.

Au bout de quelques années, soit à cause de la violence des luttes agraires (qui démobilise les paysans), soit à cause de leur succès (qui règle le problème foncier), apparaissent d’autres revendications : commercialisation, crédit, assistance technique, formation des producteurs... Profitant du boom pétrolier et nécessitant canaliser le mécontentement populaire exprimé au travers de cette nouvelle dynamique paysanne, le gouvernement met en place une politique de crédit, des prix garantis, un accès aux intrants, etc. Cette politique appelée Système Alimentaire Mexicain (SAM)aura une durée de vie éphémère : au début des années 1980, priorité est redonnée aux cultures d’exportation et les politiques d’austérité chassent les avantages octroyés aux paysans. La crise incite les organisations paysannes - producteurs de café en tête - à demander une augmentation des prix de garantie agricoles. Mais les paysans se rendent vite compte que cette demande est limitée. Pour être efficaces et crédibles, il leur faut s’approprier de l’ensemble du processus de production et de commercialisation. Ce nouvel axe d’action structurera largement le mouvement paysan mexicain à partir des années 80. Plusieurs organisations, dont certaines de grande ampleur, cherchent à construire leurs propres appareils économiques : structures de commercialisation, conseillers techniques, organismes de crédit, coopératives d’approvisionnement... En 1980 par exemple, l’Union d’Unions, dans le Chiapas, crée la première Union de Crédit aux mains de populations indiennes, organisme para-bancaire dont le président est un paysan indien.

Victimes d’une économie de marché dont elles n’ont pas toujours bien su maîtriser les règles du jeu, sapées par les entraves posées par le secteur bancaire ou les politiques locaux, ces entreprises paysannes connaîtront un succès mitigé. A partir des années 90 s’ouvre une nouvelle époque pour le mouvement paysan mexicain, celle de la concertation avec le gouvernement. Dès 1989, la solidarité devient le maître-mot de la politique rurale du gouvernement de Salinas. Contraintes par leurs difficultés financières à accepter l’offre publique d’une négociation de programmes de développement rural, inquiétées par l’Alena qui ouvre les frontières commerciales avec les Etats-Unis et le Canada, obligées de s’adapter au contexte de libéralisation et de privatisation de l’économie mexicaine, idéologiquement plongées dans le désarroi depuis l’effondrement des régimes marxistes, les organisations abandonnent leur rôle contestataire et leur recherche d’autonomie et se voient contraintes de redéfinir leur rôle dans le changement social.

Dans ce contexte, l’échange et la constitution d’une certaine unité paysanne sont des objectifs prioritaires. Le risque en effet est de voir s’élargir l’abîme entre l’élite éclairée des organisations et leurs bases, ou entre les organisations les plus "avancées" et celles qui le sont moins. Les réseaux sont de bons canaux pour la circulation d’idées mais ils ne sont pas parvenus, jusqu’à présent, à constituer un tissu social suffisamment solide.

La diminution de l’intervention publique et la co-responsabilisation des organisations de producteurs dans la politique agricole peuvent constituer une opportunité pour les paysans mais le processus n’est pas exempt de risques. Des zones de propriété privée à haute productivité pourraient bien coexister avec une ceinture de misère paysanne. L’Etat a donc un rôle régulateur à jouer et les organisations paysannes de nouveaux défis à affronter.

Mots-clés

agriculture, organisation paysanne, mouvement paysan, revendication paysanne, intervention de l’Etat dans l’agriculture, développement rural, accès au marché


, Mexique

Source

Livre ; Thèse et mémoire

DE AGOSTINI, Christine, Les paysans, le développement rural et l'Etat, FPH in. Document de travail, 1995 (France), n° 52

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