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dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale

Le succès des réseaux d’échanges réciproques de savoirs créés par Claire Héber-Suffrin

Elisabeth BOURGUINAT

10 / 1998

Dans les années 1970, Claire Héber-Suffrin est institutrice à Orly, dans une banlieue dite défavorisée ; mais ce qualificatif ne lui semble pas vraiment pertinent : les élèves dont elle s’occupe ont de nombreuses idées, et prennent des initiatives sur lesquelles elle peut rebondir. Lors d’une classe de découverte dans un village de montagne, deux d’entre eux viennent lui dire qu’ils ont rencontré un monsieur qui accepte de leur montrer comment traire les vaches ; quelques jours après, la moitié des élèves sont dispersés dans le village pour apprendre à traire les vaches, à construire un chalet, etc. Ces enfants manifestent un vrai désir d’apprendre - à condition qu’apprendre signifie " faire avec ", " vivre de l’intérieur " ; de leur côté, les villageois ont été heureux de faire découvrir leurs savoir-faire.

C’est à partir de ce type d’expérience où C. Héber-Suffrin a découvert le double désir qui est en chacun de nous, de découvrir de l’intérieur, concrètement, ce que fait l’autre, mais aussi de montrer ce qu’il sait faire, qu’elle a fondé ses premiers réseaux d’échange de savoirs, à Orly d’abord, puis à Evry. Aujourd’hui, son association compte près de 600 réseaux, impliquant de l’ordre de 100. 000 personnes, implantés dans les villes, les quartiers et les cantons ruraux, mais aussi dans des cadres plus spécifiques (écoles, prisons); ces réseaux se développent également à l’étranger, en Europe, au Brésil, en Uruguay, en Cote d’Ivoire...

Le recrutement se fait principalement par le bouche à oreille ; certains réseaux, comme celui de Belleville, organisent aussi une " foire aux savoirs ", une fois par an.

Les savoirs échangés sont extrêmement divers (cuisine antillaise, broderie, philosophie, informatique, soudure...); certains nécessitent quelques heures d’apprentissage, d’autres des séances régulières pendant une ou plusieurs années. Les séances se déroulent le plus souvent chez les participants, mais des locaux sont parfois prêtés par une association partenaire, lorsqu’un groupe se constitue autour d’un apprentissage.

La rencontre entre l’offre et la demande se faisait au départ sur un grand tableau ; aujourd’hui, les réseaux gèrent souvent leurs fichiers sur micro-ordinateur. Le tableau manuel continue cependant d’être utilisé, car c’est souvent en lisant une annonce de demande qu’une personne réalise qu’elle possède le savoir qui est recherché.

Certains, cependant, sont tellement habitués à être simplement demandeurs qu’il leur faut du temps et de l’aide de la part des animateurs du réseau pour découvrir les savoirs dont il sont porteurs - sachant que le réseau ne fonctionne que dans la réciprocité : on ne peut apprendre que si l’on accepte, par ailleurs, d’enseigner quelque chose. Mais quelle fierté lorsqu’une personne découvre tous les savoirs dont elle est porteuse et parvient à les communiquer à d’autres !

Pour se mettre d’accord sur le contenu, le niveau, le rythme et la méthode d’apprentissage, l’offreur et le demandeur bénéficient systématiquement de l’appui et de l’aide d’un " médiateur ", qui participe aussi au suivi et à l’évaluation de l’échange ; il aide également les participants, en cas de difficulté ou d’échec, à en tirer malgré tout le meilleur parti.

L’un des objectifs est d’ailleurs que chaque membre du réseau puisse, s’il le souhaite, devenir médiateur, afin de permettre au réseau de s’étendre. Cette fonction ou celle d’animateur sont toujours bénévoles ; l’association compte seulement, au niveau national et international, une dizaine de salariés, qui sont principalement chargés de la formation des animateurs. Pour les membres de l’association, la participation est gratuite, la cotisation se faisant précisément sous la forme du savoir qui est apporté et partagé. Lorsque les réseaux atteignent une certaine taille et ont besoin de locaux ou de salariés, ils trouvent eux-mêmes des financements, essentiellement par le biais de subventions.

Selon C. Héber-Suffrin, ces réseaux sont une école de citoyenneté et de démocratie : ils reposent sur des principes tels que la pluralité (des personnes, des savoirs échangés et des modalités d’échange), la parité dans les relations (chacun est à la fois savant et ignorant, et il n’y a pas de savoirs " supérieurs " à d’autres), la liberté (à l’intérieur du principe de réciprocité), la dynamique d’ouverture et le sens de la responsabilité. Enfin, ils créent de la fierté individuelle et collective.

Mots-clés

réseau d’échange de savoirs, rapport au savoir, échange de savoirs, association


, France

dossier

Idées, expériences et propositions sur les sciences et la démocratie

Commentaire

Comme l’un des participants, j’ai trouvé cet exposé presque trop beau pour y croire - mais j’y crois quand même et je serais heureuse de participer à un réseau de ce type. Cela dit, j’ai été très frappée par la réponse qu’a faite C. Héber-Suffrin à quelqu’un qui lui demandait s’il y avait des gens très instruits ou très diplômés parmi les membres de ces réseaux : elle a répondu que le plus souvent, ces personnes offraient ou demandaient des échanges dans des domaines de la vie quotidienne (la cuisine, la danse, le bricolage...), mais laissaient au vestiaire les domaines plus intellectuels ou scientifiques dans lesquels elles avaient pourtant de réelles connaissances. D’où cela vient-il ? Leurs savoirs un peu trop livresques leur paraissent-ils se prêter mal à un échange qui est beaucoup plus vivant et concret ? Ont-elles peur d’écraser les autres participants de cette science qui fleure un peu trop la " culture des élites " ? Moi-même, qui suis docteur en littérature, il me semble que si je participais à un tel réseau, ce serait, spontanément, pour enseigner tout autre chose que le contenu de ma thèse (par exemple l’accordéon ou les vieilles chansons françaises), alors même que cela pourrait sans doute intéresser certaines personnes. Ce type d’attitude ne reproduit-il pas, au sein même des réseaux, la frontière invisible et cependant infranchissable entre le monde des savoirs académiques et celui des savoirs " ordinaires " ?

Source

Compte rendu de colloque, conférence, séminaire,…

HEBER SUFFRIN, Claire, PIARD, Jean Jacques, CABRIDAIN, Marie Odile, Ecole de Paris de Management, Offre cours d'économie, demande cours de soudure : le succès des réseaux d'échanges réciproques de savoirs, Association des Amis de l in. Les Annales de l'Ecole de Paris, 1997 (France), IV

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