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L’Union européenne et sa logique sectorielle

Le cloisonnement empêche la prise en compte des réalités de terrain multisectorielles

Khanata SOKONA, Babacar TOURE, Abdoulaye NDOYE

01 / 1999

Enda Graf Sahel a un programme financé par l’Union Européenne intitulé "Promotion des céréales locales". Ce programme s’étale sur trois ans et il a été financé au départ par le fonds de contrepartie alimentaire. Au bout d’un an, cette structure a fermé ses portes et nous avons alors émargé directement de l’Union européenne, unité sécurité alimentaire. Ce programme est sous le contrôle de l’Etat sénégalais et la coordination est faite par Enda Graf.

Notre coordination est plus précisément sous le contrôle de deux ministères: celui de l’Agriculture et celui des Finances, qui sont les tutelles techniques du programme. Au niveau de l’Union Européenne, le contrôle et le suivi ont été confiés à un bureau d’études mais par la suite, en raison de problèmes, ce bureau a été déchargé de ces fonctions. Actuellement, nous sommes dans la deuxième année du programme. Dans un an, il se termine.

A travers le déroulement de ce programme, nous avons beaucoup de remarques à faire.

Le suivi du programme est assuré par un comité de pilotage qui regroupe les différentes parties prenantes de ce programme. Pour nous, c’est un outil extrêmement important car il nous permet d’avoir un feed back et le recul d’autres personnes sur le programme.

Pour le reste, nous avons beaucoup de difficultés qui se situent à différents niveaux:

  • D’abord, nous sommes écrasés par une batterie institutionnelle très lourde: Ministère de l’Agriculture, Ministère des Finances, Union Européenne. C’est très lourd car la pression est forte au niveau des procédures et nous avons le sentiment de passer plus de temps à répondre à ces exigences procédurielles qu’à véritablement pouvoir nous investir avec les acteurs.

Mais il y a cependant plus de souplesse dans la mise en oeuvre que dans les programmes FED.

  • Ensuite, conceptuellement, nous avons des difficultés. Pour l’Union européenne, le concept de "sécurité alimentaire" recouvre une idée bien précise, très figée, différente de la nôtre. C’est une notion quantitative appréhendée sous la forme du produit, du résultat : combien de tonnes maïs, de mil, etc... doivent être produites. Ce qui les intéresse, ce sont donc des résultats en termes de tonnage, de quantité. Pour nous, ce qui est intéressant, ce n’est pas tellement les résultats en termes de production mais bien plutôt les stratégies que les opérateurs mettent en place pour assurer leur sécurité "existentielle". La production alimentaire en est un des aspects mais certainement pas le point central. La réalité sur le terrain est bien plus complexe que les catégories conceptuelles de la CE.

  • Cela nous amène aussi à dire que le cloisonnement de la CE qui se subdivise en unités (unité alimentaire, unité santé, etc...) est un cloisonnement complètement arbitraire qui ne correspond à rien si l’on considère les acteurs et le terrain. Ce cloisonnement n’a aucune cohérence et est très difficile à vivre pour nous ici, en tant qu’ONG du Sud, puisque si notre programme, pour des raisons de cohérence, sort un temps soit peu des catégories imposées par l’unité sécurité alimentaire, on nous dit d’aller voir ailleurs.

Ce cloisonnement ne peut entraîner que des problèmes puisque les réalités sur le terrain sont bien plus complexes que ce découpage sectoriel imposé pour des raisons de facilité de gestion, probablement. Ce découpage sectoriel est également un frein pour un développement durable et intégré puisqu’on n’attaque le problème que sous un seul angle.

  • Autre point : en termes de stratégie, la réalité au Sénégal montre que 90 % des produits céréaliers locaux consommés sont transformés par le secteur artisanal, c’est-à-dire par des petits opérateurs davantage individuels que collectifs, essentiellement des femmes. Nous essayons de faire passer au niveau de l’Union que c’est à ce secteur qu’il faut s’intéresser prioritairement puisqu’il est central dans les pratiques de sécurité "existentielle" des populations. Mais ils ne veulent pas entendre notre discours. Ils ne s’intéressent qu’au secteur semi-industriel, c’est-à-dire des petites entreprises de transformation de céréales, qui peuvent effectivement montrer des produits en sachets, etc... Pour l’Union, il n’y a que cela qui est crédible. Cette non-prise en compte des réalités et des défis d’un pays donné risque de conduire l’Union européenne à des aberrations stratégiques et techniques et de passer à côté des véritables pistes qui pourraient faire éclore un véritable développement.

  • Il n’y a pas non plus de logique qualitative. On ne va pas s’intéresser aux processus qui se développent mais seulement au volume de production

Mots-clés

politique internationale, coopération UE ACP, souveraineté alimentaire, projet de développement, Etat et société civile


, Sénégal

dossier

Mettre la coopération européenne au service des acteurs et des processus de développement

Commentaire

Une des conséquences de tout cela est que - comme il est difficile de sortir des cadres logiques imposés - nous avons l’impression d’être de simples exécutants de politiques décidées à Bruxelles, en vase clos. C’est très frustrant et cela est à la base de beaucoup d’incompréhension et de blocages.

Pourquoi ne pas valoriser nos ressources humaines plutôt que d’être dépendants de fonctionnaires peu connaisseurs des réalités de nos pays ?

Comment aussi arriver à un débat qualitatif, plutôt que d’en rester à des considérations purement quantitatives ?

Comment rendre possible une coordination entre toutes ces unités à Bruxelles pour sortir de ce cloisonnement qui ne permet qu’une vision du développement partielle et partiale ?

Notes

[Fiche produite dans le cadre du débat public "Acteurs et processus de la coopération", appelé à nourrir la prochaine Convention de Lomé (relations Union Européenne/Pays ACP). Lancé à l’initiative de la Commission Coopération et Développement du Parlement Européen et soutenu par la Commission Européenne, ce débat est animé par la FPH.]

Source

Texte original

ENDA Graf Sahel - BP 13069 Grand Yoff. Dakar, SENEGAL - Tél. : (221) 827 20 25 - Fax : (221) 827 32 15 - Sénégal - www.enda.sn/graf - graf (@) enda.sn

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