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Une élection libre en Afrique : la présidentielle du Bénin, 1996

Construire la démocratie, récit au quotidien

Pierre Yves GUIHENEUF

01 / 2000

L’indépendance au Bénin a suivi des chemins heurtés. Cinq coups d’Etat réussis au cours des années soixante et plusieurs dizaines d’autres manqués. Après avoir vu le pouvoir passer des militaires aux civils, des libéraux aux marxistes, le pays a confié son destin politique aux urnes en 1990 et a été à ce moment l’un des deux seuls pays africains (avec le Mali)à être gouverné légalement et efficacement. Puis, le Bénin a été le seul à connaître une seconde élection démocratique en 1996. Bien que celle-ci ait ramené au pouvoir l’ancien dictateur Mathieu Kérékou, elle a consttitué le scrutin le plus régulier et le plus transparent depuis les indépendances africaines et a marqué un net renforcement des institutions légales.

Cette expérience est donc unique, car car elle a permis à un pays du continent noir de faire usage de la démocratie pendant suffisamment de temps pour en adapter les procédures à ses réalités sociales, pour rôder les institutions et pour mettre en place des mécanismes de contrôle. Surtout, elle a permis à un peuple de se familiariser avec la démocratie élective et d’en apprendre les règles. Cet apprentissage a moins été le fait d’une classe politique préoccupée par le résultat des élections que celui d’une société civile d’abord soucieuse de leur bon déroulement. Des milliers de bénévoles ont en effet contribué à éduquer le peuple béninois aux règles du jeu des élections. De ce travail important (la plupart des électeurs ne savaient pas lire), Emmanuel Adjovi a tiré un récit plein de vie.

Le dimanche 3 mars 1996, à sept heures du matin devant un bureau de vote du nord du pays, un batteur de tam-tam appelle à voter pour l’enfant du pays, Mathieu Kérékou. Ailleurs, un père tient à rentrer dans l’isoloir avec ses fils pour s’assurer de leur vote. Le président du bureau de vote doit lui expliquer que c’est impossible, à la grande joie des jeunes gens. Dans un village du sud-ouest, une dame revient et demande à échanger le bulletin qu’elle vient de glisser dans l’urne : ses parents lui ont dit qu’elle n’avait pas fait le bon choix. Là encore, les autorités se montrent inflexibles.

Les insuffisances de l’organisation matérielle obligent les responsables locaux à improviser. Des isoloirs sont bâtis avec des feuilles de palmes. Il faut se transformer en enquêteurs devant les nombreux électeurs qui n’ont pas de carte d’identité.

Lors du premier tour, des fraudeurs seront dénoncés par des citoyens vigilants et appréhendés avec de fausses cartes d’électeurs. Les jours suivants, la Cour Constitutionnelle annulera 23 % des voix à cause de soupçons d’irrégularités. Le comportement inflexible de cette institution contribuera grandement à la crédibilité du scrutin et à l’enracinement de la démocratie. Le dépouillement public donne des garanties de transparence, d’autant plus que le réseau béninois des ONG procède à un décompte parallèle, grâce à des observateurs placés dans tous les bureaux de vote. C’est lui qui annoncera, dès le lendemain, les premières tendances. Avec plus de 70 % de partcipation au deuxième tour et des irrégularités réduites, l’élection est un succès pour la démocratie.

Comment expliquer la victoire de Mathieu Kérékou, ancien dictateur, aux dépens de son ex-premier ministre et ancien président élu, Nicéphore Soglo ?. Ce dernier, après avoir accompli d’importantes réformes, jouissait d’une bonne réputation. Mais quelque temps avant les élections de 1996, il commet une série de bévues, notamment en signant des ordonnance contre la volonté de l’Assemblée nationale. En refusant une augmentation du prix du coton, il s’attire le mécontentement des producteurs. Malgré un bilan économique acceptable, il trébuche.

Le vieux Kérékou, après une éclipse politique de plusieurs années, reconstruit des alliances avec la classe politique et base sa campagne sur l’usure du pouvoir de son adversaire. Faisant amende honorable de ses erreurs du passé, il se laisse appeler "Kérékou II".

Au-delà du résultat, c’est au processus d’élection qu’il faut s’intéresser. L’adaptation des usages démocratiques aux pratiques sociales (on a vu des crieurs publics organiser la propagande électorale)n’a pas entaché la régularité du soutien ni bradé les principes du vote populaire et du pluralisme politique. L’exemple du Bénin montre que l’Afrique peut fort bien se passer d’une démocratie "tropicalisée", un euphémisme pour parler d’une démocratie aux règles excessivement assouplies.

Mots-clés

démocratie, processus de démocratisation, réseau de citoyens, citoyenneté, parti politique, élection


, Bénin

Commentaire

Emmanuel Adjovi est journaliste, ancien président de l’Union des journalistes de la presse privée au Bénin.

Source

Livre

ADJOVI, Emmanuel V., Une élection libre en Afrique, Karthala, 1998 (France)

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