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La prééminence des producteurs familiaux dans la caféiculture de l’Amérique hispanophone

Ethel DEL POZO

03 / 1996

Dans un monde où la grande propriété est supposée régner sans partage, la culture du café donne la preuve qu’ils n’y a aucune fatalité, ni historique, ni géographique, à cette situation. Il s’agit de montrer comment, grâce à la culture du café, s’est constituée une très importante petite production paysanne et quels sont les principaux ressorts de sa dynamique.

Le café assure une part importante, parfois essentielle des ressources et surtout de l’emploi de beaucoup de pays. Le nombre des exploitations caféières (Mexique, Guatemala, Salvador, Honduras, Nicaragua, Costa Rica, Venezuela, Colombie)est évalué à 820. 000. Si l’on considère les travailleurs familiaux, salariés et saisonniers, cela ferait entre 10 et 12 millions de personnes dépendant des 820 OOO exploitations. Si l’on y ajoute les emplois induits dans les services et l’industrie, avec un effet multiplicateur de trois, on aboutit à un total de 30 à 35 millions de personnes dépendant de l’activité caféière.

Les propriétaires sont petits ou très petits dans une proportion écrasante. Quel que soit le type de pays, très grand producteurs comme la Colombie, très vieux comme le Venezuela ou petit Etat assez spécialisé comme le Costa Rica, on rencontre partout à peu près les mêmes caractéristiques: les petits et moyens dominent très largement. Ceux de moins de 20 ha rassemblent 83, 4% du premier pays, 81, 4% du second et 88, 6% du troisième. Les micro-producteurs de moins de 3 ha représentent entre le quart et la moitié du total selon les pays. Cette taille très réduite n’est pas nécessairement synonyme de misère. Tout dépend du système de production. Dans le cas d’une production aussi intensive que le café, quelques hectares en variétés à haut rendement permettent au planteur de bénéficier de ressources nullement négligeables. Evidemment, au delà des rendements, tout dépend de la conjoncture, du prix payé au producteurs (qui n’est pas obligatoirement en relation avec les prix internationaux).

Le café "arabica", très largement dominant en Amérique Latine, exige des conditions physiques très différentes de celles du "robusta", disposant de meilleurs rendements mais considéré comme de moins bonne qualité et donc moins cher. L’arabica demande également de l’humidité mais ne supporte des températures élevées ; dans ses variétés traditionnelles elle doit être protégé des excès de l’insolation par une couverture arbustive et arrive à tolérer des températures relativement modestes, à condition qu’il n’y ait pas de gelées. On trouve des plantations de café entre 400 et 1500 mètres d’altitude, même si son optimum se situe entre 800 et 1200 mètres. Le café peut donc être installé en beaucoup de lieux d’autant plus qu’il s’agit d’une production très intensive, de grande valeur pour un poids et un volume réduits. Les contraintes d’espace jouent donc beaucoup moins que pour d’autres cultures et les candidats planteurs ont beaucoup plus de facilités pour s’installer. La caféiculture est très peuplante.

La diversité végétale de la parcelle constitue un préalable à la création de la plantation. Il existe assez souvent trois strates végétales: les grands arbres, les bananiers et fruitiers de port moyen et les caféiers. On peut aussi rencontrer du mais, de la canne à sucre, du manioc, quelques cochons ou animaux de basse-cour. Tout cela assure au producteur des ressources diversifiées et ainsi un degré relativement élevé d’autosubsistance. En période de bas prix le planteur peut n’investir aucun travail sur sa parcelle, tenter de trouver ailleurs de l’embauche pour revenir l’entretenir lorsque les conditions s’améliorent. La caféière traditionnelle très résistante peu supporter sans trop de dommages une telle absence de soins. Dans le cas de grands exploitations (Guatemala et Chiapas au Mexique, Brésil excepté), les chefs d’exploitations adopteraient avec enthousiasme une quelconque machine leur permettant d’économiser de la main-d’oeuvre qui constitue leur poste de dépense le plus élevé et un risque constant, mais ils ne le peuvent pas. La topographie s’y oppose résolument. En outre, sur des plantations délicates, le ramasseur doit seulement cueillir les cerises mures et laisser celles encore vertes. L’absence ou l’impossibilité de mécanisation interdit toute économie d’échelle. La taille constitue un handicap redoutable surtout en période de bas prix, lorsque les frais de gestion deviennent insupportables. Les seuls problèmes de gestion sont tels que le seul pays, au cours des dernières décennies, à avoir voulu imposer un système de grande exploitation dans le café, semble en ce moment dans l’obligation d’y renoncer. Il s’agit de Cuba, où les grandes structures de production disparaissent au profit de nouvelles, plus légères et plus autonomes.

La mythologie du petit caféiculteur maître chez lui n’est pas neutre dans de sociétés toujours dominées. Un bon indicateur du degré de dépendance peut être donné dans le pourcentage perçu par le producteur sur le prix à l’exportation. En 1994, il était de 40% au Honduras, de 62% au Costa Rica et de 69% au Mexique. Si les producteurs sont représentés ou reconnus par les organismes de commercialisation, qui existent ou existaient, ils n’en ont jamais le contrôle, certains peuvent être parfois très puissants comme les planteurs de Colombie. La déréglementation connaît toutefois ses limites, les petits producteurs ne sont pas dépourvus de ressources, en particulier celles liées à leur nombre. Libéralisation ou pas, l’Etat se doit de surveiller les prix payés au producteur et même de les soutenir le cas échéant pour éviter une crise de régime.

Mots-clés

agriculture paysanne, petit producteur, café


, Amérique du Sud, Mexique, Guatemala, Salvador, Honduras, Nicaragua, Costa Rica, Venezuela, Colombie, Cuba

Commentaire

En conclusion, l’auteur signale que la domination de la production paysanne dans la caféiculture latino-américaine apparaît tout à fait remarquable. Cela ne veut évidemment pas dire que tous ces petits producteurs se trouvent dans une situation dénuée de problèmes graves. La pauvreté, voire la misère, surtout parmi les plus âgés, se manifestent ici comme ailleurs. Plus particulièrement parmi ces dernier, l’effondrement des prix internationaux du début des années 90 a été difficilement supporté. Pourtant, ces conjonctures témoignent par elles-mêmes des capacités de résistance et d’adaptation du plus grand nombre. Ces paysanneries du café ont pour la plupart plus d’un siècle d’existence. Elles constituent la base sociale presque incontournable de très nombreux pays. Malgré cela il est troublant de constater le peu de place qui leur est faite. La caféiculture constitue pour beaucoup une exception (elle échappe aux analyses sur le binôme latifundio/minifundio), elle apparaît comme peu représentative des dynamiques affectant l’ensemble du monde rural latino-américain. L’auteur souhaiterait avoir prouvé qu’il n’en est rien, qu’il ne s’agit pas d’un détail susceptible d’être écarté ; son importance est elle qu’elle participe par elle-même à l’ensemble de ces dynamiques.

Notes

Colloque "Agricultures Paysannes et Question Alimentaire ", Chantilly, 20 - 23 Février, 1996.

Source

Compte rendu de colloque, conférence, séminaire,…

TULET, Jean Christian (France)

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