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Comment les occidentaux sont vus par les Chinois

Yu SHUO

04 / 1999

Il est pratiquement impossible de parler de cette question d’une manière générale. En effet, les images que les Chinois ont des Occidentaux dépendent de la situation (temps, lieu, milieu), de la structure socioculturelle et des agents eux-mêmes qui ont tous une vision différente selon la position qu’ils occupent dans un champ. La situation, la structure et les agents composent ensemble un champ systémique dans lequel tout est relationnel et tout peut infléchir l’image des uns et des autres.

Il est, par ailleurs, difficile d’en parler sans traiter en même temps de l’image que les Occidentaux ont des Chinois, car toutes deux se construisent dans un même processus de rencontres, se construisent de manière réciproque, s’influencent l’une l’autre. Autrement dit, l’image de l’autre est en quelque sorte l’image de soi car :

  • on ne perçoit que ce qu’on peut (par sa propre capacité);

  • on ne voit que ce qu’on veut (déterminé par sa volonté);

  • l’autre est porteur soit de négatif soit d’un enchantement mystérieux, mais dans les deux cas en référence à lui-même.

Finalement, distinguer simplement deux "blocs" culturels est, d’après moi, dangereux. D’autant que les Chinois reprochent souvent aux Occidentaux les mêmes choses que les Occidentaux reprochent aux Chinois. Cela ne nous empêche pas de nous abriter derrière les stéréotypes qui nous donnent un sentiment de sécurité et l’impression d’être capable de juger.

Un peu d’histoire

Les jésuites venus en Chine au XVIIe siècle ont souvent été bien acceptés par la haute société chinoise. Les lettrés admiraient les efforts que firent les missionnaires dans leur pratique des règles difficiles de la politesse, dans la connaissance des Classiques chinois et de la langue écrite.

Le plus apprécié de tous fut le jésuite allemand J. Adam Schall Von Bell. Grâce à ses connaissances sur l’astronomie et la cartographie européenne et à sa contribution à la vie chinoise, il fut nommé ministre de l’Astronomie en 1644 par l’empereur de la nouvelle dynastie mandchoue. En 1653, il atteint le plus haut échelon, Guanglu Dafu, ce qui équivaut à conseiller d’État. L’empereur l’appelait "mafa", ce qui signifie "maître" en mandchou. Il fut ainsi un des rares mandarins qui pouvaient s’adresser directement à l’empereur sans s’agenouiller.

En revanche, à cette époque, d’autres Chinois considéraient les Occidentaux comme une menace pour l’empire du Milieu. La Chine a construit et a gardé, jusque récemment, une structure du pouvoir qui est censée être totale à l’égard de l’organisation de la société et de l’univers, de l’espace et du temps. La distinction entre autorité politique et autorité religieuse (comme les rois et les papes)est perçue en Chine comme une aberration.

Deux cents ans plus tard, à partir de la guerre de l’opium, l’Occident bat pour la première fois l’empire de Chine. La haine et l’humiliation ressenties par les Chinois ont forgé une image des Occidentaux (militaires, commerçants, diplomates, missionnaires compris)de diables puissants, d’où leur appellation "Gui lao", ce qui signifie "individu diabolique". Cette appellation a perduré jusqu’à aujourd’hui mais en déviant souvent vers un sens ludique et sympathique.

Pour les intellectuels avant le communisme (la première moitié du XXe siècle)et post-communistes (depuis les deux dernières décennies), l’Occident est un modèle de modernisation. La pensée des Lumières, le progrès, la démocratie et la science, l’esprit libre dont l’individualisme, dominent malgré une remise en question récente avec la critique de la "colonisation culturelle" de l’Occident.

De l’autre côté, il y a peu d’Occidentaux qui ont conscience que la culture chinoise n’existe pas mais qu’il y a des cultures chinoises. Le plus paradoxal, c’est que l’individu occidental a beau se considérer comme très différent de ses compatriotes, comme un être unique, une fois qu’il se trouve face à un individu chinois, il devient un Occidental face à la culture chinoise.

La réputation actuelle des Occidentaux auprès des Chinois

Il s’agit ici d’Occidentaux qui travaillent en Chine ou avec les Chinois dans le domaine économique. Les agents économiques sont les plus actifs et donc les plus repérables. Ils deviennent les représentants de l’Occident.

En Chine comme ailleurs, on forme l’image de l’autre à partir de stéréotypes ; on juge sur plusieurs niveaux : les apparences immédiates, les rapports interpersonnels, les valeurs représentées, les modes de pensée.

1. Des apparences immédiates et des comportements directs

Les Occidentaux sont directs, explicites, honnêtes ou plus honnêtes que les Chinois. Ils travaillent assidûment et ont une grande exigence de précision par rapport aux Chinois qui se contentent souvent d’"à peu près". Mais ces mêmes traits positifs peuvent être interprétés négativement, et on les voit alors comme des êtres têtus, rigides jusqu’au point de devenir idiots ou de chercher à l’emporter par la force en manquant d’intelligence stratégique. En tout cas, ils sont arrogants parce que tous les Occidentaux sont arrogants.

Pour certains Chinois, les Occidentaux ne sont pas francs et ne sont pas honnêtes. Ils maîtrisent l’art de parler avec éloquence, font trop attention à la forme de leur discours et oublient leur contenu ; ils parlent d’ailleurs d’une manière trop conférencière sans avoir envie d’écouter.

Les Occidentaux, d’ailleurs, se plaignent de la même chose à propos des Chinois. Ces derniers sont arrogants lorsqu’ils se prennent pour les plus civilisés ou lorsqu’ils usent de leur langue de bois.

2. Les rapports interpersonnels

Les Occidentaux sont vus comme concentrés sur eux-mêmes, individualistes, à la limite de l’égoïsme : on ne demande jamais des nouvelles de la famille d’un collègue ou s’il a besoin d’aide. Les Occidentaux sont donc froids et manquent de sentiment humain. Contrairement à ces propos, d’autres Chinois disent que les Occidentaux respectent la vie privée des autres, ce que les Chinois ignorent.

3. Les valeurs représentées

Des chercheurs chinois remarquent que si les Chinois s’occupent de la face, de ne pas la perdre et de ne pas la faire perdre aux autres, les Occidentaux, eux, parlent de dignité. La face ou la dignité, c’est en fait dans l’ordre de la réputation, une des trois plus grandes ressources sociales pour toutes les sociétés, à côté du pouvoir et de l’argent.

A propos du pouvoir, on remarque que les chefs chinois font tout pour dissimuler leur supériorité et faire sentir aux subordonnés qu’ils sont pareils. Ils leur tapent sur l’épaule, racontent des blagues... bien entendu à condition que leur pouvoir ne soit pas menacé. Tandis qu’un chef occidental se donne avant tout de grands airs et montre à tout moment qu’il est le chef.

4. Modes de pensée

Les Chinois ont la réputation de penser synthétiquement. En revanche, les Occidentaux forment une pensée terriblement linéaire (alors on oublie que les sciences non-linéaires furent inventées justement par les Occidentaux ! ).

Une lourdeur qui fait peur aux Chinois, c’est l’exigence de la méthodologie. Le temps que les Européens finissent leurs études de marché ou d’élaborer une méthodologie, la situation du marché a déjà changé en Chine. On sait que la précipitation des Chinois n’est pas moins stressante. Paradoxalement, le proverbe chinois dit "Aiguiser le couteau ne fait pas perdre le temps de couper l’arbre".

Mots-clés

préjugé, communication et culture, comportement culturel, modèle culturel, histoire


, Chine, Europe

dossier

Se former à l’interculturel

Notes

Ce texte a été rédigé à l’occasion de la préparation du séminaire organisé par le Crid, Centre de recherche et d’information pour le développement, sur le thème Interculturel et ONG : enjeux, pratiques et perspectives, en avril 1999.

Source

Texte original

Agence d’Urbanisme de la Région Grenobloise - 21 rue Lesdiguières, 38000 Grenoble, France - Tel. 04 76 28 86 00 - Fax. 04 76 28 12 - France - www.aurg.org - accueil (@) aurg.asso.fr

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