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Revitalisation de la broderie, activité traditionnelle au Maroc

L’association marocaine ITQANE vise à dynamiser une broderie manuelle de qualité et la transmission de ce savoir-faire ancestral aux nouvelles générations

Benoît VERDEAUX

01 / 2002

La broderie marocaine est pratiquée depuis des siècles dans les principales cités. Cette broderie présente une très grande variété dans la technique du point. De génération en génération, les femmes ont transmis aux jeunes filles marocaines cette culture artisanale et artistique. Entre 1997 et 1998, Jamila Bouayad, forte d’une expérience de trente-deux ans dans la confection et de nombreuses responsabilités dans le secteur, entreprend de dresser un état des lieux de ces pratiques culturelles et réalise une enquête auprès des femmes marocaines. Elle constate que si un grand nombre de femmes possèdent toujours ce savoir-faire au Maroc, elles réalisent aujourd’hui une production de qualité médiocre, essentiellement destinée au commerce touristique. Or cette déperdition de qualité a une double conséquence, selon Jamila Bouayad. D’une part, elle prive les femmes de revenus plus importants? dans la mesure où la qualité se paye, et par là même, limite leur autonomie financière par rapport aux hommes. D’autre part, elle risque d’avoir des conséquences culturelles importantes car ces savoir-faire, négligés, sont de moins en moins transmis et, à terme, tendent à disparaître. Le choix de valoriser la broderie s’explique également par le fait que cette activité nécessite très peu d’investissement, avec un marché intérieur porteur et un marché extérieur à développer.

L’association ITQANE (le perfectionnement) est créée en mai 2000 et se fixe pour objectif la sauvegarde du savoir-faire, la valorisation et la promotion des métiers féminins. Le premier projet est directement lié à l’activité des brodeuses marocaines. Il consiste à améliorer les compétences de ces femmes tant au niveau technique et de design qu’au niveau entrepreneurial, tout en ayant comme principe directeur l’organisation du secteur. L’association cible les produits les mieux adaptés à la demande, puis forme et contrôle les productions de brodeuses préalablement identifiées pour leur maîtrise des techniques de travail des étoffes. La maîtrise de l’approvisionnement en matières premières, ainsi que la collecte et la promotion de la production font également l’objet d’une attention particulière.

Soixante brodeuses ont ainsi été identifiées pour leur savoir-faire, puis ont été formées à la qualité et à une spécialisation très poussée (quarante à Casablanca et vingt à Meknès). Elles se sont spécialisées dans le travail du fez, du rabat, du fez tissé, du sellane, du dars, des jours et du randa. La méthodologie suivie consiste à identifier ces brodeuses, à sélectionner les produits demandés sur le marché, à sélectionner les matières premières et les sources d’approvisionnement, à créer la collection, à créer un catalogue de prix, à tester le marché, à élaborer un programme de formation et d’accompagnement, puis à lancer la production. Ces soixante brodeuses sont regroupées au sein de structures collectives de petite taille. Les produits fabriqués : linge de maison (services de table, fonds de plateaux, services à thé…), vêtements traditionnels (djellabas, écharpes, caftans), sont écoulés sur le marché urbain des grandes agglomérations. Le chiffre d’affaires de ces premières ventes est de 120 000 dirhams (12 158,05 euros). L’augmentation estimée du revenu de ces femmes, communiqué par l’association, serait de 300 dirhams par mois (30,4 euros). Les bénéfices générés par la commercialisation de ces productions ne sont pourtant pas uniquement destinés aux brodeuses, mais sont, pour l’instant, réinvestis par l’association dans la structuration du réseau en construction (40 000 dirhams selon Madame Bouayad, soit 4052 euros). Grâce à cet argent, un deuxième groupe de femmes, plus jeunes (15-25 ans) et moins expérimentées, est formé, sur deux ans, dans des centres créés à travers le pays. L’association a également créé une TPE de djellabas, donneur d’ordres aux brodeuses pour la réalisation de ces vêtements. Enfin, l’association prévoit la création d’une société de négoce pour le développement et la commercialisation de ses produits.

Mots-clés

aménagement du territoire, valorisation du savoir faire, femme, artisanat


, Maroc

dossier

Aménagement du territoire et action régionale

Commentaire

Les soutiens et appuis des actions de l’association ITQANE sont divers. Le Ministère Marocain de l’Economie Sociale de la PMI, PME et de l’Artisanat chargé des affaires générales du gouvernement a mis des locaux à la disposition de l’association, soutient ses actions par l’intermédiaire des délégations régionales et aide à la constitution d’une bibliothèque sur l’artisanat. Le ministère de l’Emploi, de la Solidarité, des Handicapés et de la Formation professionnelle finance les équipements du centre à hauteur de 300 000 dirhams (30 395 euros), et a donné son accord de principe pour le financement de la formation des jeunes brodeuses pour un budget estimé à 3 000 000 de dirhams (303 950 euros). Les documents fournis et les explications données au cours de cet entretien n’ont pas permis d’avoir une vision claire et détaillée du projet. Le montant diffusé du chiffre d’affaires de la vente des premières productions est rapproché du salaire mensuel moyen des brodeuses pour exprimer la rentabilité du travail des femmes ayant adhéré au projet, il n’est exprimé ni en mois, ni en année, ni en volume de production vendue. Cette confusion ne permet pas de comprendre si ces brodeuses ont d’ores et déjà profité des revenus de ces ventes, ou si les bénéfices sont pour l’instant totalement réinvestis par l’association. La liste des partenaires, dont la plaquette de communication se fait écho (cinq ministères, des banques, des fondations, l’Office de Développement et de Coopération, des leaders d’opinion , des chambres étrangères et marocaines et des ONG), vient contredire les propos de Madame Bouayad, qui nous faisait remarquer à plusieurs reprises au cours de l’entretien, qu’elle ne bénéficiait que de très peu d’appuis. Enfin, si l’un des objectifs principaux affichés de ce projet est l’amélioration des conditions de vie des femmes en renforçant leur intégration socio-économique et leur autonomie, force est de constater que les organes de développement de ce réseau de professionnelles est encore sous le contrôle de l’association (collecte et vente des productions, contrôle de l’approvisionnement en matières premières et choix des types de production). La création d’une société de négoce pour la commercialisation des produits ne contribue-t-elle pas à instaurer un nouvel intermédiaire et une autre source de dépendance de ces femmes vis-à-vis du marché ?

Notes

Cette fiche a été réalisée lors des Entretiens internationaux de la Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale (DATAR), à Paris, du 28 au 30 janvier 2002.

Contact : Association ITQANE, 19 bd de Bordeaux, Casablanca, MAROC - Tél et Fax : 212 22 36 26 89

Source

Entretien avec Jamila BOUAYAD, Association ITQANE

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