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Du cri à l’écrit : tentative de mise en oeuvre d’une pédagogie de la parole au lycée professionnel

Martine LANDIER CADOUX

03 / 1999

Dans certaines sections de lycée professionnel, les enseignants sont de plus en plus écartelés entre des directives officielles ambitieuses et la réalité d’un public enlisé dans l’échec. Aussi, s’agit-il de créer dès aujourd’hui, malgré l’inertie de l’institution, les conditions concrètes qui rendent possibles une autre relation pédagogique, un autre rapport au savoir avec ces jeunes en refus de scolarité, laissés pour compte au sein de sections-ghettos, qui n’ont plus de professionnelles que le nom.

Ainsi en ce qui concerne le travail que j’essaie de mener avec mes élèves de structures métalliques et d’usinage, a-t-il fallu d’abord créer les conditions de sa mise en oeuvre.

- Je travaille avec de tout petits effectifs ( 6, 8 élèves ). Nous sommes plusieurs enseignants qui nous sommes battus depuis quatre ans pour faire entendre la nécessité de mettre en place une relation individualisée avec ces élèves à la dérive, qui sollicitent à chaque instant notre disponibilité à leur égard.

- J’ai quitté les référentiels. Depuis trois ans nous avons alerté notre inspectrice, sur la nécessité de quitter les référentiels pour sortir ces jeunes de l’ornière de l’échec.

Ces conditions favorables étant créées, je peux tenter de mettre en oeuvre une autre approche de l’enseignement du français. Il s’agit surtout de rompre avec un enseignement du français synonyme d’échec et d’ennui et de permettre à ces jeunes de s’approprier les mots pour dire. Une conviction m’anime : "ils sont tous capables d’écrire, si je crée les conditions qui libèrent le désir d’apprendre, le désir de dire."

Deux objectifs essentiels guident mes tâtonnements : Redonner la parole aux élèves et permettre la circulation de la parole au sein du groupe, afin que ces jeunes prennent le parti des mots, plutôt que d’avoir recours à la violence pour se donner le sentiment d’exister.

Une séance de français, c’est d’abord un espace où l’élève va se sentir autorisé à s’exprimer sans peur d’être jugé, d’être humilié. Il ne s’agit plus de débarquer avec un cours sur la focalisation interne ou la double énonciation, il s’agit d’accompagner les élèves sur le chemin des mots enfouis, oubliés qui se dérobent sur la page blanche.

Ainsi, cette année, après le mouvement des lycéens, j’ai pensé important de recueillir la parole des élèves sur ce mouvement où ils s’étaient impliqués, et qui se terminait dans une grande amertume. J’ai travaillé sur trois types de textes : narratifs, explicatifs, argumentatifs.

La parole de chacun, médiatisée par les écrits se donne alors à entendre dans un cadre sécurisant. Chacun peut exister aux yeux des autres, l’écrit retrouve sa valeur de communication. Les textes, tapés sur ordinateur, renvoient aux élèves, dont l’écriture est souvent tourmentée, une image valorisante, qui les encourage à prendre leur place au sein du groupe. L’élève, accompagné par l’enseignant, en contact avec les autres, apprend à se débarrasser de sa peur et, malgré les difficultés, accepte alors de se mettre en route.

En prolongement, depuis la rentrée de Noël, avec ma collègue d’arts plastiques, nous commençons à travailler sur une expression plastique de leur vécu dans ce mouvement de grève, et par delà la grève, sur le vécu de leur scolarité. La dimension artistique, en contournant le blocage des mots, permet de frayer la voie à l’expression d’un vécu, à l’expression des émotions.

Lors d’une première séance, ma collègue tente, à partir de choix de couleurs et de techniques ( gestes avec le pinceau, etc..) de leur faire exprimer un ressenti vis à vis de l’école.

Lors d’une deuxième séance, il s’agit d’un projet de photos-montage, pour lequel les élèves sont invités, dans un premier temps, à feuilleter des catalogues et à mettre de côté tout ce qui suscite une évocation de l’école. Dans cette mobilisation de l’imaginaire, un vouloir-dire se fraye son chemin, qui débouchera sur un montage, la réalisation de "leur image" de l’école, à la troisième séance.

Parallèlement, j’amorce une écriture poétique, afin d’amener les élèves à faire exploser, à nommer ce qu’ils ressentent confusément. Il s’agit de tenter de vaincre la peur d’écrire, de se lancer à écrire.

"Je me jette à l’eau des phrases comme on crie. Comme on a peur. Ainsi tout commence... D’une espèce de brasse folle, inventée. Dont on coule ou survit". Aragon.

Dans cette longue quête pour apprivoiser les mots, ce moment qui lie expression plastique et enseignement du français apparaît comme un moment privilégié, tant il facilite merveilleusement l’émergence d’un "Je" dans l’écriture. Il aide en effet à se débarrasser d’une "écriture-torture", carcan qui empêche de vivre et convoque une "écriture libératrice", qui au-delà des mots, nous révèle à nous-mêmes ce que nous sommes.

L’ensemble de ces travaux devrait déboucher sur la réalisation d’un livret, qui procure aux élèves le plaisir d’avoir entre les mains un objet fini, où leur parole se donne à voir et à entendre. Ce recueil est aussi l’occasion de découvrir que lire, c’est rencontrer quelqu’un, c’est communiquer avec les autres.

Voilà, le sens de ma démarche. Ce travail me confirme dans la conviction que tous ces jeunes à la dérive peuvent retrouver le goût d’apprendre, le goût d’écrire, si nous avons simplement le désir et la détermination de les aider à s’en sortir.

Ce n’est qu’un tâtonnement, mais en l’absence de directives adaptées aux besoins des élèves, l’enseignant n’a pas le choix : il est nécessaire d’oser ce saut dans l’inconnu.

En effet, laminés par des années d’errance au sein de l’institution scolaire, ces jeunes n’en peuvent plus de notre indifférence. Ils n’en peuvent plus de la violence institutionnelle qui à notre insu les empêche de vivre. Ils attendent avec de plus en plus d’impatience qu’on écoute leur souffrance.

Aussi, je citerai pour terminer Daniel Sibony, qui dans son livre "Violence", dit ceci "Si l’appel ne peut s’entendre, le statut quo devient violence... La violence est un cri appelant une autre situation". A nous enseignants, malgré nos peurs, de nous risquer sur des chemins inconnus, cet "entre-deux" où je cite "on n’ose pas mettre le pied, faute de place, de certitude, de garantie". A nous enseignants, malgré nos peurs, de permettre à ces jeunes laissés-pour-compte, de trouver enfin droit de cité dans la communauté des hommes.

Mots-clés

enseignant, enseignement public, enseignement technique, échec scolaire, violence sociale, médiation scolaire, innovation pédagogique


, France, Isère, Saint-Martin-d’Hères

Notes

Contact : Martine Landier Cadoux - Lycée professionnel Henri Fabre, 38400 Saint Martin d’Hères

Entretien avec LANDIER CADOUX, Martine

Source

Personne ressource

(France)

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