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Villa Pujante : ’narcocratie’ régionale

12 / 1993

Alors que l’Italie se trouve sous les feux de l’actualité en raison des liens mis à jour entre la Mafia et des hommes d’affaires "honorables" et que l’on découvre la manière dont toute une société a pu se laisser corrompre, l’auteur s’intéresse aux modalités d’implantation régionale des narco-trafiquants en Colombie, à travers l’exemple de Villa Pujante (nom changé pour raison de sécurité).

Ville colombienne ouverte et réceptive de 130.000 habitants, située dans le sud-ouest du pays, Villa Pujante est le chef-lieu d’une région riche et variée. Trois éléments caractérisent cette cité entreprenante : 1)son histoire est marquée par la violence et l’accumulation sauvage de capitaux. 2)les actions des autorités de l’Etat sont contournées et les atteintes à la propriété sont réglées de manière privée, souvent par le meurtre. 3)la police d’Etat a tendance à être privatisée et à se mettre au service d’intérêts privés qui luttent pour le pouvoir et la terre. L’absence d’une puissante oligarchie locale a facilité l’implantation des narco-trafiquants qui, pour blanchir leurs bénéfices, ont racheté les terres _àl’origine du prestige et des pouvoirs traditionnels dans le département_ et sont devenus de nouveaux grands propriétaires terriens. Par ailleurs, ils diversifient leurs investissements (marchés boursiers internationaux, agro-industrie, usines locales, immobiliers, centres commerciaux...)et financent des opérations philantropiques (distribution d’argent aux pauvres, construction d’un théâtre, restauration de monuments, financement d’un centre de diagnostic médical). Cela leur permet d’améliorer leur image et de conforter leur assis sociale auprès des bénéficiaires. En échange de ces largesses, ils obtiennent sécurité et protection.

Ce nouveau patronat illégal, qui s’efforce de ressembler aux élites traditionnelles, trouve ses cadres dans les familles de la classe moyenne locale et dans les milieux populaires des villages environnants. Pour être acceptés par l’élite locale et faciliter la cohabitation, ces entrepreneurs illégaux modèrent leurs comportements et leurs attitudes afin de ne pas attirer l’attention de l’Etat. Ils vivent également en harmonie avec la population et les autorités politiques et policières locales et parfois mêmes régionales (grâce aux pots-de-vin). Ces adaptations sont absolument nécessaires à la réussite de leurs affaires et de leur "embourgeoisement". Ainsi la violence, généralement condamnée, n’est acceptée qu’en cas de trahison ou manque de respect. Quant aux forces de guerilla, elles ont disparu de la région laissant le commerce illégal sans opposition. Cet équilibre délicat est parfois perturbé par les excès de certains mais ces derniers sont vite exclus du circuit. D’une manière générale, aucun laboratoire ne doit être installé dans la région, même si cette règle n’est pas suivie par tous les narco-trafiquants. La vente de drogue et les transactions financières qui en découlent se font toujours hors de la région d’implantation où ne doivent s’exercer que les activités légales. Enfin, en maintenant la ligne de conduite adoptée régionalement, fondée sur les arrangements institutionnels et culturels, ces nouveaux entrepreneurs pourrraient prétendre à la reconnaissance nationale et faire partie de la classe dominante avec laquelle ils défendent déjà le même ordre conservateur.

Mots-clés

drogue, organisation criminelle, trafic de drogue


, Colombie

Commentaire

A travers l’exemple développé par Alvaro Camacho Guizado, sociologue et professeur à l’Université nationale de Bogota, on peut se demander si une telle situation est possible en France. Si ce pays reste pour l’instant épargné par les exactions violentes, si le blanchiment est encore opéré à l’étranger, il est toutefois un lieu de plus en plus attractif d’investissements pour les capitaux de la mafia. L’article nous fait réfléchir sur les stratégies d’implantations des narco-trafiquants dans des communautés, même si, entre ces dernières, d’évidentes différences (historiques, culturelles, sociales...)existent. Plus généralement, les différentes criminalités organisées au plan international et les conséquences de leur action en matière de violence, de corruption et d’évolution sociale, constituent aujourd’hui une menace prééminente contre les Etats.

Notes

Synthèse de communication présenté au colloque : LA GEOPOLITIQUE MONDIALE DES DROGUES (10-12 décembre 1992 ; Paris)/ organisé par l’OGD avec le soutien de la Commission de la Communauté européenne.

Source

Compte rendu de colloque, conférence, séminaire,…

CAMACHO GUIZADO, Alvaro, OGD=OBSERVATOIRE GEOPOLITIQUE DES DROGUES, SEUIL, 1993/11 (France)

OGD (Observatoire Géopolitique des Drogues) - France

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