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L’intervention du Cicda à Urcuqui (Equateur)

Comment se renouvellent des règles entre acteurs autour de la gestion de l’eau

Elisabeth PAQUOT

02 / 2002

L’exemple de l’eau des réseaux d’irrigation à Urcuqui (Equateur) permet de mieux comprendre les difficultés d’une intervention sur la gestion des ressources locales dans des espaces où cohabitent des logiques d’acteurs aux intérêts contradictoires.

Le projet Cicda visait à réaliser l’adéquation entre la distribution et le besoin en eau des plantes cultivées, à contribuer à la mise en place d’un système de distribution (tour d’eau) plus efficace et plus équitable ; à améliorer l’efficience du système, en diminuant les pertes en transport et distribution ; à diminuer les tensions sur les ressources et les possibilités de vol d’eau ; enfin, à contribuer à lever les autres facteurs limitant du rendement, c’est à dire la qualité du matériel végétal, la santé végétale et la fertilité des sols.

Au-delà d’Urcuqui, le projet a permis de produire des références scientifiques sur le déroulement, les conséquences et l’impact social, hydraulique et productif d’une telle opération et de former des agents de développement à la méthode de réhabilitation pour qu’ils puissent s’en inspirer dans d’autres périmètres. Les méthodes utilisées ont varié du financement d’un fonds géré par l’association des "irrigants" pour réhabiliter l’infrastructure, à l’animation d’une nouvelle négociation entre les différents acteurs, à la diffusion d’information pour améliorer leur capacité de choix, au renforcement des espaces de concertation existants grâce aux associations d’usagers par l’organisation de réunions de quartier, la multiplication des échanges entre les zone, etc.

L’impact des quatre années d’intervention de Cicda a modifié la donne localement par la mise en place de nouvelles règles du jeu. Le projet a fortement privilégié une approche sociale en intégrant dans sa démarche l’analyse historique des droits sur l’usage de l’eau dans la zone. Le projet a aussi travaillé sur la proposition d’une palette de solutions techniques et d’une réforme des droits, avec des règles de partage établies sur des critères ne faisant pas appel à la seule rationalité technique mais aussi à l’histoire sociale de la zone. De fait, le système négocié avec l’appui du projet a bénéficié majoritairement aux exploitations paysannes, levant un frein à l’intensification agricole. Cette évolution au détriment des grandes parcelles et des toutes petites parcelles urbaines n’aurait pu voir le jour sans cette reconstruction des droits historiques sur le canal. A mentionner que la mise en place de ces nouvelles règles ne semble pas menacée à court terme par l’évolution démographique.

Le rôle de Cicda dans ce processus a été de se positionner progressivement en tant que médiateur entre les composantes des associations d’usagers d’une part, et d’autre part vis-à-vis des autorités locales (municipio), des communautés indigènes, des haciendas, des chercheurs, d’autres associations paysannes. Cette fonction de médiation n’a pas été acquise d’emblée puisque les premières propositions du projet ont été rejetées par les associations d’irrigants. La confiance s’est donc construite progressivement. La démarche du projet n’a été considérée comme légitime par les différents acteurs qu’avec la reconstitution de l’histoire du canal, des conflits et des procès liés à l’eau, des pratiques et coutumes locales et grâce à la restitution de ces recherches. L’action collective et de partage a permis peu à peu au projet d’être perçu comme l’allié des paysans tout en mettant à jour une responsabilité collective dans l’analyse des conflits plus que des responsabilités individuelles. Cette position de médiateur a pu porter ses fruits quand les associations d’usagers ont fini par gérer la négociation, quand l’accord s’est fait pour renégocier non pas les droits de certains acteurs, mais l’ensemble des droits sur le canal.

De plus, les enjeux liés à ce projet n’avaient pas qu’une portée locale. Quand Cicda intervint dans le sillage des recherches de l’Orstom (désormais IRD), l’Inerhi a perdu un peu de son autorité. L’objectif initial de l’Institut était la création d’un grand ouvrage qui aurait permis un apport supplémentaire d’eau sur la zone. Les politiques d’ajustement structurel coupèrent court à cette initiative, aboutissant à la restructuration de l’Inerhi et de fait à sa perte de crédibilité dans la zone. Face aux pressions ultérieures en faveur de la privatisation de l’eau qui supposait le système traditionnel d’irrigation trop complexe pour être adapté à une gestion moderne de l’eau, l’Orstom (IRD) puis Cicda cherchèrent à appuyer un mouvement de prise de conscience de l’efficacité d’une gestion communautaires des systèmes irrigués paysans et la recherche d’une solution sociale entre les différents ayants droits et usagers. C’est fondamentalement la durée du projet, les alliances nouées dans le milieu professionnel et civil équatorien, son postulat d’approche socio-historique et la démarche de négociation-médiation avec les acteurs locaux qui ont consolidé cette prise de conscience.

Ce pari de création d’un référentiel méthodologique pour une gestion concertée de l’eau en continuité de l’ancien système d’irrigation semble atteint : le nouveau système mis en place est déposé à l’Agence de l’eau qui le reconnaît comme une norme à Urcuqui et Cicda participe à des actions de formation des techniciens équatoriens sur la gestion sociale de l’eau. Ce référentiel reprend la démarche adoptée à Urcuqui : l’élaboration de documents sur la réalisation d’un diagnostic qui prend en compte non seulement les contraintes techniques mais aussi ses critères sociaux et historiques de gestion de l’eau; la définition d’outils et de méthodes reproductibles sur l’expérience de négociation, de concertation avec les différents acteurs; le renforcement du rôle des associations d’usagers dans la définition de nouvelles règles; les projets d’extension du travail effectué à Urcuqui à d’autres terrains en Equateur et ailleurs.

Cependant malgré la création d’un "référentiel méthodologique", il n’existe pas de "kit méthodologique" pour une intervention rapide; la pertinence d’action et son efficacité dépendent de trop de paramètres variables du processus d’arbitrage et de négociation comme la formalisation de la perception de la situation, la clarification des engagements respectifs, ou la compréhension des ressources collectives, l’élaboration de propositions techniques et la consolidation des compétences opératoires. Le système n’est efficace qui s’il permet l’intérêt participatif des individus au jeu collectif, tout en favorisant un mécanisme de surveillance et de contrôle.

Mots-clés

accès à l’eau, irrigation, gestion des ressources naturelles, évaluation de projet, coopération Nord Sud


, Équateur, France

Source

Document interne

INTARTAGLIA, Diane, CICDA ; GRET, Direction scientifique, Renégocier les règles collectives en irrigation, GRET , 1998/06 (France), Document de travail n°3

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