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Vivre son engagement sur le terrain

Le militantisme des jeunes dans des groupes autonomes

Federico M. ROSSI

02 / 2005

Considérations générales I : la réalisation de principes philosophico-politiques

En évoquant les groupes autonomes nous faisons référence aux groupes informels, horizontaux, décentralisés, individualisés, libres et épisodiques sur lesquels les jeunes s’appuient pour évoluer dans leur militantisme. Ces jeunes refusent, par principe, de s’engager dans des organisations bureaucratiques ou hiérarchisées/autoritaires (pour une définition de ces groupes informels et les similitudes avec les « groupes d’affinité », voir McDonald, 2003, p. 116). Ces groupes et ceux plus institutionnalisés ou structurés, comme ATTAC (cf. document ATTAC en Argentine), composent ce que nous appelons les mouvements « alter-mondialistes ».

Ce sont des exemples de participation non hiérarchisée dépourvue d’organisation formelle (comme c’est le cas pour les Amis de Talas, mais qui, à la différence des premiers groupes, agissent par principe). Nous constatons également dans ces groupes un refus des formes de représentation classiques, par lesquelles quelqu’un devient le porte-parole des autres et interprètera à sa manière les souhaits du groupe. Comme l’affirme un militant d’Indymedia en Australie : « personne n’est capable de prendre la parole de quelqu’un d’autre » (Karen, entretien cité par McDonald, 2003 : p. 118).

Afin d’analyser cette forme d’engagement nous suivrons principalement l’axe de recherche de McDonald (2003), Aaron (2004) et Rossi (2005) en comparant des cas de différents groupes « alter-mondialistes » ayant participé aux trois journées de blocages de la réunion régionale pour l’Asie et le Pacifique du Forum Économique Mondial (tenu à Melbourne en septembre 2001). Nous nous concentrerons également sur l’expérience d’un autre groupe qui a participé aux blocages lors du Sommet des Amériques de Québec en 2001, sur les expériences de différents groupes autonomes étudiants qui luttent contre l’exploitation des travailleurs (Etats-Unis), et sur l’expérience d’un petit groupe autonomiste de Buenos Aires.

Outre ce qui a été dit précédemment, il existe une caractéristique qui différencie ces groupes : ils sont dirigés et composés uniquement de jeunes, étudiants ou jeunes diplômés pour la plupart. De même, comme il a été dit précédemment, ces groupes possèdent une identité quasi « volatile », c’est-à-dire, qu’ils changent en permanence. Par exemple, en Argentine, le petit groupe autonomiste qui était uniquement composé d’une quinzaine de personnes a connu des périodes au cours desquelles le militantisme était plus marqué (ils ont même organisé un voyage en train pour se déplacer à 501 km de Buenos Aires et pouvoir ainsi être exonérés du vote). Ce même collectif qui s’était rassemblé pour organiser cette activité sous le nom de « 501 », a milité à nouveau ultérieurement (avec le renfort de nouveaux jeunes) sous le nom de « Printemps de Prague », en hommage aux protestations pacifiques contre le régime soviétique en Tchécoslovaquie. La vague de mobilisations « alter-mondialistes » ainsi que la période de protestations en Argentine entre 2001 et 2003 ont rendu ce groupe très actif dans les assemblées de voisins et les assemblées populaires (qui représentaient pour beaucoup de ces jeunes militants un laboratoire social fascinant, Rossi, 2005). Leur participation à des actions contre diverses rencontres internationales tenues à Buenos Aires a également été très active. Depuis lors, le collectif s’est dénommé «Intergaláctica» et a conservé environ 5 jeunes qui avaient participé au groupe originaire « 501 ». Ce changement permanent de l’identité du groupe, l’absence d’adhésion à une forme de participation préétablie, l’absence de caractéristiques précises, et l’expérimentation de différentes formes d’engagement ne sont pas liées à leur condition de jeunes mais à un positionnement philosophico-politique qui encadre ce type d’engagement (observé également par Aaron [2004] aux Etats-Unis).

Même s’il s’agit de groupes dans lesquels il n’existe qu’un lien nourri par un objectif ponctuel (ce qui reste une affirmation partielle), ils sont en communication permanente via Internet, les réseaux étudiants et leurs liens d’amitié. Ce ne sont pas des groupes virtuels mais – à la différence d’Amnesty International – ces modes de communication sont plus qu’un simple moyen de participation (pour l’analyse en détail des effets d’Internet, voir document Les mouvements transnationaux et le défi du « net-activisme » : le cas d’Amnesty International). Il s’agit d’une autre façon d’exprimer leurs principes d’engagement non hiérarchisé et décentralisé à travers – comme l’affirme Aaron (2004 : p. 32) sur le cas des Etats-Unis – « des groupes (…) plus fluides que fixes, qui opèrent avec des collectifs bénévoles liés entre eux par un réseau non organisé et qui partagent de fortes affinités ». En ce sens, une jeune militante des Etats-Unis raconte : « Je crois qu’il n’y a pas d’identité partagée mais beaucoup d’identités différentes… » (Julie, entretien cité par McDonald, 2003 : p. 118).

Cette identité non partagée, cette situation dans laquelle seul un projet ponctuel semble rassembler les jeunes, est une manière « d’être avec les autres », une façon d’exister dans la rencontre de semblables pour s’exprimer avec des codes et des langages propres aux jeunes. Cette idée, de même que le partage d’expériences dans le cadre d’une action concrète et organisée sans hiérarchie ni autorité représente d’ailleurs une référence identitaire (« volatile ») qui les rassemble. De même que dans les cas analysés dans les autres fiches du dossier, les jeunes qui participent à ces groupes accordent la priorité à leur individualité car ils ne se sentent pas représentés par l’institution ou le collectif auxquels ils participent. Ils utilisent en revanche ce collectif comme un moyen facilitateur pour l’action collective. Cela peut se traduire par un blocage au Forum Économique Mondial à tel moment, par une assemblée dans un parc public à tel autre moment, ou par la location d’un train afin de partir loin de la ville et être ainsi exonéré de vote ou encore participer au Campement Intercontinental de la Jeunesse du Forum Social Mondial (FSM).

Campement Intercontinental de la Jeunesse

Le Campement Intercontinental de la Jeunesse représente une manière économique et divertissante de participer au FSM. Cependant, même si pour certains il s’agit uniquement d’un moyen accessible pour participer, beaucoup des jeunes qui y participent souhaitent également vivre leur engagement sur le terrain. Les idées, les principes et les luttes doivent être soutenus, débattus, etc., mais leur expérimentation collective, leur « incarnation » est l’élément qui a attiré la participation de beaucoup de jeunes au Campement. Assister au FSM ne représente pas une recherche pour la création de réseaux politico-stratégiques ou l’organisation de campagnes. Il s’agit plutôt de vivre (de tout son être) les valeurs auxquelles on adhère et que le FSM est censé représenter : vivre la particularité individuelle en harmonie avec la diversité. Cela est possible grâce à la création de liens sociaux et culturels, grâce à cette « existence avec les autres ». D’après notre travail de terrain pendant le FSM 2005, nous pouvons constater ceci : les jeunes ne considèrent leur participation aux ateliers comme importante que si ces ateliers apportent un outil utile à leur engagement dans un rassemblement (ex. : comment travailler en réseau, comment mener à bien un projet social, etc.) et/ou si la personne qui anime l’atelier est respectée pour « être ce qu’elle dit être » (par exemple, un prix Nobel de la Paix, des militants sociaux renommés) ou pour quelqu’un qui transmet des idées politiques (et donc des valeurs) qui restent une référence importante (par exemple, Eduardo Galeano, Michael Hart, John Holloway). La nuit au Campement possède une caractéristique identique aux espaces urbains. On assiste à une utilisation et à un réinvestissement de l’espace public (l’espace du FSM en l’occurrence) « pendant le sommeil des adultes ». Les espaces de débats « réapparaissent », des activités politico-culturelles ont lieu. Cette « existence en construisant avec les autres » prend une place plus importante dans tout cet espace que les jeunes se sont réapproprié (par exemple, des manifestations « anarcho-punk », naturistes-nudistes, de femmes, des danses hip-hop ou encore l’organisation d’ateliers et de débats sur l’Armée Zapatiste de Libération Nationale).

Considérations générales II : exister en construisant avec les autres

Un élément est commun aux groupes autonomes : vivre le collectif comme un moyen (qui semble plus fluide dans ce cas). Ces jeunes ne sont pas « fidèles » au collectif, mais aux « causes » que soutient celui-ci. S’il existe un moyen plus efficace, il est inutile d’en soutenir un autre qui ne semble pas pouvoir apporter les résultats espérés. Autrement dit, il n’existe pas d’organisation idéale pour l’engagement de la jeunesse. En revanche, chaque individu se sentira plus proche de l’organisation qui représente le mieux les objectifs et les principes pour lesquels il souhaite militer. En reprenant les termes d’une jeune militante aux Etats-Unis :

… nous avons un ensemble de personnes qui réfléchissent, qui apportent différentes idées au « bouillon »[,] nous agissons simultanément mais je ne pense pas qu’il s’agisse vraiment d’un acte conscient, nous ne nous asseyons pas autour d’une table pour déterminer « très bien, voici ma stratégie, voici la sienne et ta stratégie, nous allons tout mettre ensemble pour voir ce que ça donne » (…) Un autre élément dans un mouvement que je trouve fascinant et celui d’avoir plus d’aisance quand il s’agit de s’exprimer (Judy, entretien cité par McDonald, 2003 : pp. 120-121).

Une autre caractéristique de ces groupes est la volonté de vivre dans leur engagement les principes et les idéaux qu’ils soutiennent (Aaron obtient les mêmes résultats dans son analyse aux Etats-Unis [2004 : p. 32]). Un jeune militant d’Australie exprime très clairement cette idée des actions directes qui encouragent la participation :

C’est comme dire que la ville appartient à la communauté. Ou comme imaginer « tu auras le pouvoir, mais quand nous nous rassemblons (…) le monde est à nous ». C’est une manière d’être capable de prouver ça sur le terrain (Ryan, entretien cité par McDonald, 2003 : p. 120).

Cette habitude de recherche et d’expérimentation n’est pas limitée aux groupes autonomes, « … les jeunes se « voient » comme des citoyens en menant des actions (…) quand ils vivent leur corps comme un territoire autonome » (Reguillo, 2003 : p. 18). Cependant, chez les groupes autonomes elle est plus radicale : l’expérimentation est leur raison d’être.

Comme il a été dit au début de ce document, la plupart des groupes s’organisent – ou, plus précisément, passent à la mobilisation – au moment où ils identifient un ennemi immédiat auquel ils doivent faire face. Les forums et les conférences multilatérales et gouvernementales véhiculent cet objectif ponctuel et précis, mesurable (réussir à faire échouer la réunion). Or, l’engagement sans appartenance en tant que membre et en dehors d’une institution formelle ne se traduit pas par une apathie soudaine, mais par des périodes de latence (déterminées par les cycles de protestations nationales ou internationales) pendant lesquelles les liens sont maintenus grâce à Internet (échange de documents, débats sur ces documents), grâce à des activités diverses où encore par simple amitié. Il y a un plaisir/divertissement à « construire ensemble », il ne s’agit plus d’une obligation par abnégation. En reprenant les propos d’un militant de Colombie qui évoque son expérience de l’engagement politique :

Des réunions informelles, des réseaux autonomes, la communication virtuelle, la souplesse dans l’organisation, prendre du plaisir et s’amuser avec le militantisme, faire de la révolution une vraie fête (Julián, entretien via Internet).

Cette idée de plaisir et le constat de l’impact des actions menées sont un élément fondamental dans tous les cas analysés. Le type d’organisation et ses objectifs ne sont pas importants. Le point en commun est – comme l’affirme une jeune militante d’Australie :

De s’amuser… il ne s’agit pas de se martyriser… mais de devenir une personne et de grandir en faisant partie du monde (Judy, entretien cité par McDonald, 2003 : p. 124).

Autrement dit, le militantisme est une façon de s’épanouir dans la vie tout en construisant un monde meilleur.

Palavras-chave

ciências sociais, sociologia, jovem, participação popular, movimento social, sociedade civil

dossiê

La jeunesse en mouvement : rapport de recherche sur les formes d’engagement politique des jeunes

Comentários

Cette analyse est basée principalement sur une observation directe pendant le Forum Social Mondial 2005 et sur les études citées (sources).

Notas

Cette fiche est également disponible en espagnol : Ser en cuerpo lo que se piense : activismo juvenil en los grupos autonomistas

Fonte

Aaron, P. (2004) One World US Special Report

McDonald, K. (2002) “From Solidarity to Fluidarity: Social Movements beyond ‘Collective Identity’ - the case of Globalization Conflicts”, Social Movements Studies, Vol. 1, Núm. 2, Oxford.

Reguillo, R. (2003) “Ciudadanías juveniles en América Latina”, Última Década, Núm. 19, Viña del Mar.

Rossi, F. (2005) “Las asambleas vecinales y populares en la Argentina: las particularidades organizativas de la acción colectiva contenciosa”, Sociológica, Núm. 57, enero-abril, México DF.

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