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Trois organisations populaires au Bangladesh qui défendent l’une la micro épargne, l’autre la justice sociale et la dernière l’agriculture biologique

Nigera Kori, Samata et Ubinig

Cédric GOUVERNEUR

07 / 2008

Contexte politique et économique du Bangladesh

Figurant parmi les pays les plus pauvres au monde, le Bangladesh pâtit également des carences de sa démocratie : politiciens corrompus et soumis au néolibéralisme, élections entachées par la violence et les achats de voix. Lassés d’un système qui ne les représente guère, des centaines de milliers de paysans bangladais se tournent vers le monde associatif, inventeur de nouveaux modes de participation et de production.

Népotisme et corruption ont trop souvent caractérisé la démocratie représentative au Bangladesh. Après la chute de la dictature militaire en 1991, deux partis ont alterné au pouvoir : la Ligue awami (AL) de Mme Sheikh Hasina et le Parti nationaliste bangladais (BNP) de Mme Khaleda Zia. Si l’AL se revendique laïque et de gauche face à un BNP de droite et allié aux islamistes, tous deux ont appliqué avec zèle les « ajustements structurels » prônés par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. Dernières victimes en date, les télécommunications et l’électricité, privatisées en 2005. Faute de réel programme politique, les élections se remportent ici par la pratique de l’achat de voix : des militants distribuent des bakchichs, des cigarettes et même des menaces dans les quartiers pauvres, pour revenir avec des cocktails Molotov si les résultats du scrutin ne correspondent pas à leurs souhaits… Le pouvoir signifiant prébendes et impunité, le parti perdant refuse la défaite électorale, boycotte le parlement tout le long de la législature, et bloque le pays au moyen de grèves insurrectionnelles, les hartal. Le clientéliste restreint la mobilité sociale. De par son aspiration à l’ascension sociale dans la stabilité, la classe moyenne est reconnue par la science politique comme un facteur majeur de démocratie. Or, au Bangladesh, avec 80 % d’habitants vivant avec moins de deux dollars par jour, elle s’avère insignifiante : dans les rues de Dacca, la gamme des véhicules passe directement de l’épave de bus au 4 X 4 climatisé… Face à cette corruption, un gouvernement intérimaire appuyé par l’armée a pris les commandes en janvier 2007, poursuivant en justice des centaines de politiciens, dont mesdames Zia et Hasina. Au départ bien accueilli par la population, ce gouvernement provisoire s’éternise et inquiète par son autoritarisme : en août 2007, des manifestations étudiantes ont été violemment réprimées et le couvre-feu instauré. Des élections démocratiques sont néanmoins promises « fin 2008 »…

Désabusés face au parlementarisme, paupérisés par le libéralisme, moult Bangladais optent pour les solutions préconisées par les organisations non gouvernementales (ONG) locales, qui mobilisent des centaines de milliers de petites gens, oeuvrant à leur émancipation politique et sociale.

L’histoire tourmentée du Bangladesh explique la vigueur de ce mouvement associatif. Lors de la « Guerre de libération » de 1971 contre le Pakistan, les combattants progressistes plaçaient dans cette lutte leurs aspirations en une transformation profonde de la société. Face aux dictatures des années 1970 et 80, ils ont investi le secteur associatif, toléré par le pouvoir car lui permettant de s’affranchir à peu de frais de ses responsabilités sociales tout en menant, depuis 1975, des politiques économiques libérales. Ravagé par une guerre (1971), une famine (1974), des raz-de-marée et des inondations récurrentes (1988, 1991, 1998, 2007), le pays a vu affluer les donateurs : un tiers des 147 millions de Bangladais bénéficient directement des activités d’une ONG ! Pour les élites et les classes moyennes progressistes, travailler dans une ONG permet de mettre ses idées en pratique. Plus prosaïquement, ces organisations ouvrent des possibilités de carrière, en dehors des emplois phagocytés par les réseaux clientélistes des deux partis dominants.

Inventé par Muhammad Yunus, fondateur de la Grameen Bank, le micro-crédit a permis à des millions de Bangladais de sortir de la misère, par le prêt d’une somme modique mais suffisante pour initier une activité économique (artisanat, petit commerce). Encensé par les institutions financières internationales, ce dispositif ne saurait faire oublier que le droit du travail ainsi que l’accès à l’éducation et à la santé demeurent les meilleurs atouts pour vivre dignement. Or, les services publics et sociaux sont la cible de la Banque mondiale, justement au nom de l’orthodoxie libérale et du dogme du « moins d’Etat ». L’attribution du Prix Nobel 2006 à Muhammad Yunus a par conséquent beaucoup moins fait l’unanimité au Bangladesh qu’en Occident. Ainsi, Nigera Kori (NK), une organisation fédérant 200 000 membres, voit dans le micro-crédit un « capitalisme des centimes » qui, estime-t-elle, fait perdurer la dépendance des pauvres.

Nigera Kori : la micro épargne contre le micro crédit

Nigera Kori entend au contraire développer l’empowerment de ses adhérents, une expression que l’on peut traduire par « autonomisation » : la prise en charge du pauvre par lui-même, sa capacité de gagner et de contrôler sa vie, émancipé de toutes formes d’oppressions et de relations de dépendance. NK se veut un agent de transformation sociale, pour qui le développement induit la propriété des moyens de production et la participation aux décisions. Fort éloigné du salariat et de la démocratie représentative, ce credo n’est pas sans rappeler les pratiques autogestionnaires mises en place par les anarcho-syndicalistes espagnols en 1936. Une gageure dans un pays musulman et conservateur comme le Bangladesh ! Dans chaque village où s’implante NK sont constitués des samiti (« comités ») de gens pauvres, avec un président, un trésorier et un secrétaire. La plupart des participants (et notamment des participantes) prennent alors conscience pour la première fois de leurs droits en tant qu’êtres humains et citoyens. Le samiti organise une petite épargne hebdomadaire, par exemple à raison d’une poignée de riz mise de côté par la ménagère à chaque repas. Le riz est revendu pour investir dans une nouvelle source de revenu : l’achat d’un filet de pêche, de volailles… Les profits résultant de la vente sur le marché des poissons ou des œufs sont placés sur un compte bancaire et partagés entre tous. Exacte opposée du micro-crédit, cette micro-épargne diminue la vulnérabilité dans les temps de disette comme la dépendance envers les usuriers. Echangeant expériences et conseils, les samiti identifient également les problèmes économiques, politiques et sociaux et réfléchissent aux meilleurs moyens de les affronter. Prenant leurs décisions par la démocratie directe, ils luttent ainsi contre les élevages de crevettes et leurs désastreuses conséquences écologiques et sociales, résistent aux usuriers et aux extrémistes islamistes (à qui déplaît fortement l’émancipation des femmes prônée par NK), déposent des recours devant les tribunaux avec l’aide des avocats de l’organisation… Là où régnait la résignation, les groupes de NK montrent volonté et dignité. « Jadis nous avions peur de parler devant notre mari », témoignent des paysannes. « Aujourd’hui, nous interpellons le juge et le député ! »

Samata : lutte pour la justice sociale

La fierté retrouvée anime aussi le mouvement des sans-terres. 67 % des paysans bangladais sont aujourd’hui dépourvus de terre, contre 31 % à l’indépendance en 1971. Cette concentration agraire s’explique par l’endettement et la corruption : les khas, terres publiques destinées aux pauvres, sont accaparées par des notables via des dessous de table à l’administration. Les paysans se convertissent alors en journaliers agricoles sous-payés ou vont gonfler les dantesques bidonvilles de Dacca. « Nous identifions, occupons et cultivons les terres publiques spoliées », résume Alam, vétéran de la guerre de libération et un des responsables du mouvement Samata (« Egalité »), qui revendique des dizaines de milliers de membres. Alam montre une cicatrice laissée sur son crâne par un coup de machette : « Lutter pour la justice sociale n’est pas sans risque », constate-t-il. Les terres sont cultivées en commun, et Samata assure un suivi pour accroître leur productivité et l’écoulement de la production.

Ubining, souveraineté alimentaire et lutte politique

La dignité est aussi au cœur de la philosophie d’Ubinig, mouvement pour l’agriculture biologique et la souveraineté alimentaire. En 1995, appliquant les règles de l’Organisation mondiale du commerce, le gouvernement stoppe les subventions aux engrais : dès lors, leurs prix s’envolent, saignant les paysans. Des émeutes de la faim éclatent, la police abat 17 manifestants… Lassés de leur dépendance envers les fluctuations du marché, inquiets de l’épuisement des sols et de la chute de la biodiversité dus à l’agriculture chimique, des villages entiers se convertissent alors au « bio », mutualisant leurs semences, développant la polyculture. Les investissements étant moindres, les paysans rencontrés soulignent que leurs revenus ont augmenté de façon significative. Là aussi, les décisions sont prises par démocratie directe. L’indépendance des paysans d’Ubinig face aux puissants les remplit d’une immense fierté, et ils se disent prêts à chasser du village tout vendeur de pesticides, de fertilisants ou d’organismes génétiquement modifiés (OGM). Quand on demande à Farida Akhter, fondatrice du mouvement, si elle se bat pour les « droits des paysans », elle apporte une nuance : « Nous préférons parler de responsabilités de chacun plutôt que de droits égocentriques niant les droits des autres ». Opposé à l’individualisme libéral, Ubinig refuse l’illusion consumériste et la manipulation de la publicité qui, au Bangladesh comme partout en Asie, accroît la frustration sociale, transformant le superflu en indispensable, faisant croire à chacun qu’il n’accèdera au « bonheur » qu’en dépensant (et en polluant…) à la manière d’un Occidental. Mme Akhter rappelle que peuples du Nord et du Sud sont interdépendants : la consommation des uns étant la production (et bien souvent l’exploitation) des autres. « Le mode de vie est politique », conclut-elle.

De culture musulmane, plutôt conservateurs et guère au fait de la philosophie politique, les paysans pauvres membres de ces différentes organisations revendiquent rarement un quelconque credo idéologique. D’expérience, ils constatent simplement que les recettes quasi-libertaires proposées par Nigera Kori, Samata ou Ubinig « fonctionnent mieux » que celles prônées par l’Etat et le marché.

Palavras-chave

sistema de poupança e crédito, micro finança, agricultura orgânica, democracia participativa, camponês sans terra


, Bangladesh

dossiê

Produire de la richesse autrement

Notas

Cette fiche est un résumé de l’article de Cédric Gouverneur, « Nigera Kori, Samata et Ubinig : démocratie directe et autogestion », publié dans l’ouvrage collectif Produire de la richesse autrement : usines récupérées, coopératives, micro-finance,… les révolutions silencieuses, PubliCetim n°31, octobre 2008, éditions du CETIM, Genève. ISBN 2-88053-059-5, 6€ - 10 CHF.

Cédric Gouverneur est journaliste indépendant, envoyé spécial régulier du Monde Diplomatique et de GEO. Il enseigne également la presse écrite à l’école de journalisme du CELSA-La Sorbonne.

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