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Pas d’honneur dans le crime

Ammu JOSEPH

05 / 2010

Aujourd’hui encore, les jeunes de certaines régions de l’Inde n’ont pas la liberté de choisir leur partenaire. S’ils le font tout de même et que leur choix viole des normes arbitraires, non légales et fixées par les assemblées de castes, la conséquence peut en être la mort. N’est-il pas temps de construire un mouvement populaire contre la pratique médiévale du crime d’honneur, s’interroge Ammu Joseph.

Le 11 mai 2010, dans le district Tarn Taran de l’État du Penjab, une jeune mariée et sa belle-mère étaient assassinées tandis que le marié était grièvement blessé par la famille de la jeune fille. Selon la police, le corps de Gurleen Kaur, âgée de 19 ans, a été retrouvé dénudé, avec de profondes entailles dans la région du cou, ses épaules et ses doigts ayant été mutilés. Son père, ses frères et ses oncles pensaient de toute évidence que c’était là la punition méritée pour son crime : se marier, contre leurs vœux, à Amarpreet Singh âgé de 25 ans.

A la même période, Rajni Sahu, jeune fille de 18 ans, était assassinée par les membres de sa famille à Allahabad (Uttar Pradesh) après qu’ils ont découvert sa grossesse. Bien qu’ils aient tout d’abord fait passer sa mort pour un suicide, son frère aîné a par la suite avoué qu’elle avait été tuée car elle était déterminée à épouser un garçon du voisinage malgré le désaccord de sa famille. Il a expliqué aux médias qu’il l’avait tuée pour « protéger l’honneur de [sa] famille ».

Ces assassinats sont les derniers d’une série de meurtres horribles commis au nom de l’honneur, qui ont été signalés et ont eu lieu dans diverses régions du pays ces derniers mois.

Ces « crimes d’honneur » cesseraient-ils si la loi sur le mariage hindou de 1955 était amendée dans le sens d’une interdiction des mariages à l’intérieur d’un même gotra (1) ? Cela est peu vraisemblable. Cette revendication est sans doute la plus médiatisée des exigences et menaces proférées par le Khap Mahapanchayat (une congrégation d’assemblées de castes des fiefs Jat de l’Haryana, de l’Uttar Pradesh et du Rajasthan) le 13 avril 2010 à Kurukshetra, dans l’Haryana, et ailleurs par la suite. Mais ce n’était pas la seule. Ils ont également appelé à une interdiction des mariages à l’intérieur du même village et de villages voisins et à l’invalidation des mariages de temples unissant des couples en fuite.

Un jugement décisif

Le facteur du gotra mythique a été mis en avant car la réunion de Kurukshtra a été clairement organisée suite à un important jugement récent du juge de district et de séance Vani Gopal Sharma à Karnal (Haryana) dans l’affaire Manoj et Babli Banwala. Ce jeune couple appartenant à la même caste et au même gotra a été assassiné en 2007 pour avoir osé se marier. [Le juge a condamné à mort les auteurs du crime.]

Mais, comme le souligne l’universitaire et militante Jagmati Sangwan, tous les crimes d’honneur, y compris en Haryana, n’impliquent pas forcément des couples du même gotra. Selon elle, la majorité des mariages condamnés par les Khap Panchayat (assemblées de groupes/lignées) concerne des couples qui ne partagent pas le même gotra.

De plus, même dans un petit État comme l’Haryana, il existe, semble-t-il, des régions et des castes qui autorisent les mariages inter-villageois et inter-gotra et qui n’ont ni panchayat de caste ni khap panchayat. Donc le Khap Mahapanchayat auto-proclamé ne peut légitimement pas prétendre représenter toutes les communautés hindous en Haryana, encore moins dans le reste de l’Inde.

La plupart des victimes de « crimes d’honneur » signalés à travers le pays sont de jeunes gens qui ont choisi d’aimer ou de se marier en dehors de leur caste, de leur sous-caste ou de leur religion. On ne s’étonnera pas que les responsables d’actes de représailles contre les relations inter-castes sont généralement les castes socialement et économiquement dominantes.

Le vrai problème est que, aujourd’hui encore, de nombreux jeunes amoureux sont punis, souvent par la mort, pour avoir eu la témérité de tomber amoureux au-delà des frontières de caste ou de religion. Dans tout le pays, de nombreux groupes de castes, de communautés ou de familles semblent violemment opposés au droit des jeunes adultes de choisir leur partenaire de vie (même si les tribunaux ont réaffirmé le droit des citoyens à choisir leur partenaire, y compris s’il est de même sexe). Au nom de la défense de l’« ordre social » et de l’« honneur » de la communauté, que ce soit la caste ou la famille, toutes sortes de justifications sont appelées en renfort. Si l’obstacle du même village ou gotra ne joue pas, on en trouve toujours un autre. Ainsi, l’année dernière, un homme a été tué en Haryana pour avoir violé l’interdiction « traditionnelle » de mariage entre les habitants de villages voisins.

Contre le choix individuel

L’opposition à l’autonomie matrimoniale est tellement endémique dans certaines régions qu’en juin 2008, le juge K.S. Ahluwalia de la Haute Cour du Penjab et d’Haryana a demandé l’intervention de l’État. Ayant à traiter plusieurs affaires de couples ayant entre 18 et 21 ans, il remarquait que le tribunal était « inondé de pétitions » cherchant à obtenir la confirmation judiciaire du « droit à la vie et à la liberté des couples mariés », tandis que l’État restait un « spectateur muet ». « Quand l’État se réveillera-t-il de son sommeil [et] pendant combien de temps les tribunaux pourront-ils offrir une consolation et un baume en traitant de telles affaires ? », demande-t-il.

La série récente de décès attribués aux « crimes d’honneur » et la position agressive et sans scrupules des chefs de Khap semblent avoir poussé au moins certains membres du gouvernement à prendre position sur la question de manière plus tranchée que par le passé (quelque soit le courant politique). Cependant, il n’est un secret pour personne que ces institutions non légales fondées sur la caste jouissent d’un soutien au moins tacite de la part de nombreux hommes politiques, fonctionnaires, officiers de police, avocats et mêmes juges. Deux hommes politiques de l’Haryana, l’un étant supposé être « éclairé » et l’autre de la vieille école, ont d’ores et déjà cherché publiquement à faire la paix avec des khaps de plus en plus combatifs.

L’exemple de la Jordanie

La déclaration de Sangwan selon laquelle « un pouvoir législatif ayant peu de volonté politique et un exécutif qui se plie devront rendre des comptes sous la pression d’un mouvement de masse » nous rappelle le livre récent d’une femme qui a été largement à l’origine d’un mouvement populaire contre les crimes d’honneur en Jordanie, l’un des nombreux pays où une vie, particulièrement la vie d’une femme, a moins de valeur que l’« honneur ».

Le livre de la journaliste jordanienne Rana Husseini, Murder in the Name of Honour, qui a été récompensé, est un ouvrage passionné, puissant, stimulant, remarquablement positif et accessible sur la lutte contre les « crimes d’honneur » dans son pays du Moyen Orient. Il porte aussi sur la fréquence de ce type de crimes dans plusieurs autres pays, y compris les États-Unis, le Royaume Uni et l’Europe. S’inspirant de son expérience personnelle et professionnelle, il raconte de manière vivante l’histoire fascinante de son engagement dans ce domaine, à partir du jour où elle a lu quatre lignes signalant le meurtre d’une jeune fille de 16 ans, par son frère, dans un des quartiers les plus pauvres d’Amman. Tout comme les brèves dans la presse indienne des années 70 sur les « accidents de cuisine » qui se révélaient être des crimes liés aux demandes de dot, de tels faits divers étaient communs dans la presse arabe. En tant que reporter sur la petite criminalité au Jordan Times, Rana Husseini a senti le besoin d’enquêter plus en profondeur sur ces décès.

Une couverture systématique

Chaque histoire terrible qu’elle a découverte (relatée en détail dans le livre) a renforcé sa détermination à devenir la voix des femmes tuées par leur propre famille et à faire des crimes dits d’honneur une question nationale. Ses reportages systématiques sur chaque affaire à partir de 1994 lui ont attiré le soutien du public, mais aussi de vives oppositions, dont des menaces de violence. En 1998, elle a reçu le Prix Reebok des Droits de l’Homme, récompensant ses reportages et son militantisme sur cette question. Ce coup de projecteur international a généré un débat national qui, à son tour, a conduit à un mouvement de citoyens visant non seulement à la prise de conscience locale sur l’horreur des « crimes d’honneur » mais demandant également des changements dans la législation ainsi qu’une punition plus importante des auteurs de tels crimes.

Parmi les nombreux aspects intéressants et exaltants de la lutte jordanienne contre les « crimes d’honneur », celui qui nous a le plus impressionnée a été la volonté des organisateurs d’impliquer différentes couches de la société, y compris les couches défavorisées économiquement et au niveau de l’éducation, à la fois dans les zones rurales et urbaines.

R. Husseini raconte : « Nous avons utilisé toutes les méthodes auxquelles nous avons pu penser pour recueillir autant de signatures que possible : Internet, fax, publicités gratuites et payantes dans la presse, entretiens à la télévision et à la radio. C’était vraiment passionnant. Où que nous allions, nous portions les pétitions avec nous, et créions toujours un mouvement… J’allais souvent avec mes amis dans des restaurants où nous entrions en contact avec les dîneurs et de nombreuses personnes signaient volontiers tout en discutant. Ensuite nous demandions aux serveurs, cuisiniers, nettoyeurs et à la direction. Une fois, à l’extérieur d’un restaurant, j’ai heurté par mégarde un éboueur qui m’a demandé ce que je faisais. Une fois que je le lui ai expliqué, il a dit « Bien sûr que je vais signer, c’est contre notre religion ». La mère de Rana Husseini, une libraire, demandait également à toutes les personnes qu’elle croisait de signer la pétition. En moins de six mois, la campagne avait recueilli 15.300 signatures auprès du public (55% d’hommes et 45% de femmes).

Bien sûr, comme le souligne R. Husseini, la lutte contre les « crimes d’honneur » doit être lancée du pays lui-même car la nature et la manifestation du crime, les facteurs sociaux, culturels, politiques et économiques impliqués et le contexte juridique varient selon les pays. Cela implique de diversifier les approches dans les différentes sociétés. Par exemple, en Jordanie, et dans de nombreux pays, les « crimes d’honneur » concernent presque uniquement les femmes et les jeunes filles. En revanche, en Inde, bien que les femmes soient les premières visées, les jeunes hommes qui « osent » transgresser les frontières sociales prescrites ne sont bien souvent pas épargnés.

Des similitudes frappantes

Mais il existe aussi des similitudes. D’après R. Husseini, des personnes d’influence et puissantes en Jordanie, comme des parlementaires, des juges, des avocats et des policiers, pensent que les auteurs de « crimes d’honneur » ont droit à la clémence car chacun a le droit de protéger l’honneur de sa famille. De même, en Inde, Sushma (Tiwari) Nochil a fait appel de la décision récente de la Cour Suprême de commuer en prison à perpétuité la peine de mort rendue à l’encontre de son frère et de son associé, qui avaient tué son mari et la plupart des membres de la famille de ce dernier. Le jugement semblait suggérer que les facteurs patriarcaux et de caste motivant les assassins pouvaient être considérés comme des circonstances atténuantes.

De même, si nous avons les Khap Mahapanchayat, en Jordanie ils ont le Front d’Action Islamique, le bras politique des Frères musulmans. S’ils ont leurs députés conservateurs, nous avons les nôtres au Parlement, et, malheureusement, nous faisons face dans les deux pays à « une grande apathie et un laissez-faire de nombreux parlementaires ».

Mais ils ont un avantage que nous n’avons pas. D’après R. Husseini, plusieurs membres de la famille royale de Jordanie ont signé la pétition. Le Roi Abdallah et la Reine Raina se sont exprimés contre les crimes soi-disant d’honneur. La Reine Noor s’est constamment battue pour mettre fin aux violences faites aux femmes en général et aux crimes d’honneur en particulier. Feu le Roi Hussein a lancé un appel passionné au Parlement pour arrêter la violence contre les femmes, tout en faisant pression pour faire modifier la loi qui offre la clémence aux auteurs de ces crimes. Son frère, le Prince Hassan, a été l’un des premiers membres de la maison royale à se pencher sur la question dans les années 90. Deux jours après que la bataille législative a été perdue au Parlement en 1999, le Prince Ali (le frère du Roi Abdallah) a appelé à une marche publique vers le Parlement, qu’il a lui-même conduite, pour protester contre la décision des députés de voter contre les amendements proposés.

En Inde, la monarchie appartient peut-être au passé mais nous ne manquons pas de monarques modernes dans un certain nombre de domaines comme la politique, le cinéma, les sports et les affaires. Se lèveront-ils pour s’exprimer sur le crime au nom de l’honneur ?

1Le terme gotra s’applique à un clan, un groupe de familles ou une lignée, exogame et patrilinéaire, dont les membres disent descendre d’un ancêtre mâle commun, généralement un sage de l’antiquité. On pense que l’actuelle classification des gotras a commencé à se consolider entre le 10ème et 8ème avant notre ère.

Palavras-chave

discriminação das mulheres, mulher e violência, direito das mulheres, direitos humanos, violência


, Índia

Notas

Lire l’article original en anglais : No honour in murder

Traduction : Valérie FERNANDO

A lire :

Fonte

Artigos e dossiês

Ammu JOSEPH, « No honour in murder », in InfoChange, courtesy The Hindu Sunday Magazine, May 23, 2010

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