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La traite des êtres humains rapporte gros le long de la frontière indo-bangladaise

Usha RAI

05 / 2011

La prostitution est devenue une activité florissante sur 151 km de frontière entre l’Inde et le Bangladesh. Beaucoup de ces femmes, abandonnées par leurs maris ou victimes de la traite des êtres humains et ayant traversé illégalement la frontière perméable, sont entrées dans la prostitution - et y restent - car cela leur assure un revenu stable. Il est clair que le défi consiste à les réhabiliter, non à les sauver.

Madhumalati, 42 ans, originaire de Burdwan, a été mariée jeune. Elle a deux enfants, une fille et un garçon, de 11 et 8 ans. À 34 ans, abandonnée par son mari et sans parents vers qui se tourner, elle est entrée dans l’industrie du sexe afin de subvenir aux besoins de ses enfants. Elle a travaillé deux ans dans un bordel à Kalna, à 82 km de Calcutta. Au bout de deux ans, elle a quitté le bordel à cause de la concurrence de filles plus jeunes et plus jolies. « Je n’arrivais pas à gagner assez d’argent », explique-t-elle.

Cela fait maintenant six ans que Madhumalati travaille le long de la route qui mène à Farakka. Elle loue une des cabanes au toit de chaume, au bord de la route, pour y recevoir ses clients. À l’instar des autres prostituées - plus de 2 000 dans le district de Murshidabad -, un babu (souteneur) qui vit avec elle lui trouve ses clients. Elle reverse un pourcentage de ce qu’elle gagne au babu, et paie une somme fixe au propriétaire de la cabane qu’elle utilise. Le babu, qui a 12 ou 13 ans de moins qu’elle, s’occupe de ses enfants lorsqu’elle est au travail et lui procure des médicaments ; c’est aussi son compagnon, son soutien. En touchant entre 200 et 500 roupies par nuit, elle arrive à gagner 8 000 à 10 000 roupies par mois. Bien consciente que ses charmes vont décroître au fil des années passées sur le trottoir, Madhumalati met tous les mois 100 roupies de côté. Les éducateurs du centre d’accueil de la Société de Lutte contre le Sida du Bengale-Occidental, situé sur la route juste à côté des cabanes, lui ont également assuré qu’ils l’aideraient à mettre ses enfants à l’école à Behrampore.

Madhumalati et les autres prostituées sont terrifiées par la police et par la BSF (Border Security Force), la police des frontières indienne. Elle explique que chaque fois qu’un camion de la BSF passe sur la route, les prostituées s’enfuient de leurs cabanes et vont se cacher, car les soldats exigent d’elles des faveurs sexuelles gratuites, et passent les femmes à tabac si elles refusent. Les policiers, de leur côté, cherchent des noises à leurs clients et les dépouillent de leur argent avant de repartir.

Comme plusieurs autres prostituées de cette région, Madhumalati utilise des préservatifs féminins, et pousse ses clients à utiliser également ceux qu’elle leur fournit. Mais il y a un problème plus grave : l’alcool, que les clients l’obligent à boire avec eux. Elle s’est désormais tellement accoutumée à l’alcool qu’elle a besoin de boire pour calmer sa nervosité et pour engourdir les douleurs et les souffrances de son corps. Son babu, un trafiquant de bétail bangladais qui s’est mis au commerce du sexe, plus lucratif, et qui passe et repasse la frontière perméable comme bon lui semble, l’exhorte à arrêter de boire et à faire des économies. Il est convaincu que d’ici cinq ou six ans, grâce à l’argent économisé sur l’alcool et sur d’autres dépenses superflues, il pourra acheter un terrain en Inde et même obtenir une carte d’électeur.

Anuradha, 27 ans, est originaire du Bihar, et mère de trois enfants. Ses deux aînés sont dans un pensionnat au Bihar. Son mari, avocat, est mort d’une crise cardiaque et depuis, Anuradha doit se débrouiller seule. Son frère, qui est le tuteur local de ses enfants, ne sait pas qu’elle se prostitue. Il pense qu’elle a un travail d’employée de maison. Son fils, dont elle était enceinte à la mort de son mari, vit avec elle.

Tout comme Madhumalati, Anuradha travaille dans une cabane au bord de la route, pour laquelle elle paie un loyer de 50 roupies par mois. Quand elle reçoit un client, elle s’efforce de laisser son fils à l’extérieur de la cabane, mais comme il insiste pour entrer elle ne travaille que la nuit, lorsqu’il dort et que les clients ne sont pas rebutés par sa présence. Contrairement à Madhumalati, qui habite une jolie maison près de la ligne de chemin de fer et éloignée de son lieu de travail sur la route principale, Anuradha loue une cabane qui ne comporte qu’un lit et quelques ustensiles de base. Elle vit et exerce dans cette cabane. Son babu lui procure des clients et touche une part de ce qu’elle gagne.

Si Madhumalati a souscrit une police d’assurance-vie, Anuradha possède quant à elle un compte en banque et met de côté entre 1 200 et 1 500 roupies à la fois. « J’ai économisé 12 000 roupies depuis que je suis dans le métier. Je n’aurais jamais gagné autant d’argent en exerçant une autre profession, quelle qu’elle soit », confie-t-elle. Elle achète tous les jours un demi-litre de lait pour son enfant et mange du poisson une fois par semaine. Elle partage ses repas et discute de ses soucis avec Suman, une Bengalie de 40 ans, abandonnée par son mari. Le fils et la fille de Suman sont mariés et elle ne veut pas être un fardeau pour eux. Suman, qui est diabétique, paraît vieille et fragile,. Elle ne reçoit ses clients que la nuit, lorsque son âge est moins visible.

À Jalagi, Laila Bibi, Jyoti, Sabrina et Janvi, originaires de villages voisins, toutes abandonnées par leurs maris, sont ensemble dans le métier. Laila, la quarantaine, est la meneuse du groupe et reconnue comme la « gourou ». Auparavant, elle gagnait sa vie en passant du riz en contrebande au Bangladesh. « À la frontière, les sentinelles ne me laissaient traverser qu’en échange de rapports sexuels. Alors il y a cinq ans, je me suis mise à la prostitution, qui rapporte plus, sans compter les primes si tu tombes sur un client qui est vraiment amoureux de toi », avoue-t-elle. Les soldats de la BSF sont ses clients. Elle dispose de 10 jeunes filles du Bangladesh et des villages alentours. « Si jamais la demande augmente, je peux en avoir 10 de plus », précise-t-elle.

Jyoti, qui a une bonne trentaine d’années, a trois enfants à nourrir et vit chez ses parents. Ces derniers ignorent qu’elle se prostitue. Ils pensent qu’elle travaille dans un centre de soins et qu’elle peut être appelée pour des urgences à n’importe quelle heure, matin et soir. Elle dépense 2 000 roupies sur ses revenus pour l’éducation de ses trois enfants.

Voilà comment la prostitution et la contrebande prospèrent et sont devenues des activités en plein essor à la frontière de l’Inde et du Bangladesh, notamment dans la région de Murshidabad. En passant la frontière, longue de 151 km dans ce district, on voit des petites cabanes disséminées des deux côtés de la route qui mène au barrage de Farakka. Devant ces cabanes sont assises des jeunes femmes qui se pomponnent et racolent les clients. Des camionneurs y font une pause pour avaler un repas rapide et prendre un peu de bon temps. Malgré des barrières apparemment solides, la frontière est en grande partie perméable et comporte plusieurs points d’entrée illégaux pour les trafiquants, les migrants et les passeurs. À Shamsherganj, toujours dans le district de Murshidabad, il existe aussi un quartier chaud plutôt prospère au bord de la rivière.

Beaucoup de ces femmes se prostituent par pauvreté, par manque d’éducation ou parce que leurs maris les ont abandonnées ou sont morts et qu’elles ont des enfants à élever. Mais plusieurs jeunes filles, notamment originaires du Bangladesh, ont été bernées par les membres de leur propre communauté, qui leur ont promis du travail en Inde, ou bien les ont épousées et amenées en Inde pour ensuite les vendre. Les Bangladaises qui ont bien réussi et sont maintenant des « dames » rentrent dans leurs villages, faisant étal de leur richesse et persuadent des familles d’envoyer leurs enfants, avec la promesse de maris fortunés ou de travail.

C’est ainsi que tout au long de l’année, des jeunes filles et des jeunes garçons des deux pays traversent la frontière en douce, pour se livrer à la contrebande et chercher du travail. Passer de la contrebande à l’industrie du sexe semble être la transition logique pour de nombreuses jeunes filles, et également pour les garçons, qui deviennent proxénètes. Les victimes de la traite qui viennent du Bangladesh sont vendues dans les quartiers chauds de l’Inde, à Murshidabad et aux alentours au Bengale-Occidental, à Calcutta, Delhi et Bombay.

Il est impératif que les gouvernements de l’Inde et du Bangladesh entament un dialogue afin de mettre en place une procédure opérationnelle permanente (POP) pour permettre le rapatriement des enfants victimes de la traite. Cela fait 10 ans que les ONG demandent un traité bilatéral entre les deux pays pour mettre sur pied une collaboration complète et un programme d’assistance mutuelle. Selon eux, ce traité est nécessaire pour joindre leurs efforts afin de réhabiliter les victimes de la traite, et aussi afin d’engager des poursuites contre les trafiquants dans les deux pays.

Le projet Sanjog, qui réunit les principales associations de lutte contre la traite des êtres humains en Inde et au Bangladesh, a débuté en 2003 afin de sensibiliser l’opinion publique et de se donner la capacité de lutter contre la traite dans la région, qu’elle soit transfrontalière ou intérieure. Dans la seconde phase du projet, il a été décidé de focaliser les efforts non pas sur les grandes villes, mais sur l’arrière-pays rural, d’où est partie la traite. De nombreuses ONG et associations locales actives des deux côtés de la frontière ont uni leurs efforts. Quatre études transfrontalières ont également été mandatées afin de mieux comprendre la vie à la frontière et la manière de protéger les enfants, les adolescents et les femmes. Afin d’assurer sa pérennité, le projet Sanjog a été mis en place en tant qu’association indépendante pour s’attaquer aux problèmes de la traite.

Le secrétaire de Sanjog, Roop Sen, révèle que sept ans après l’étude réalisée par la Commission nationale indienne des droits de l’homme sur la traite des êtres humains, il n’existe toujours pas de données centralisées sur le nombre d’enfants et d’adultes impliqués dans l’industrie du sexe, qu’il s’agisse d’Indiens ou de personnes originaires du Bangladesh ou du Népal. Il existe par contre des chiffres sur le nombre de filles secourues. Sen nous apprend que 500 filles sont secourues chaque année, notamment à Bombay mais aussi à Delhi. Et leur nombre est en augmentation. Alors que l’on constate une diminution du nombre de filles originaires de Katmandou, un nombre considérable de filles vient du Bangladesh. À l’intérieur de l’Inde, la traite concerne surtout des filles du Bengale-Occidental et de l’Andhra Pradesh.

On distingue trois catégories d’immigrants illégaux en provenance du Bangladesh. Ceux qui viennent chercher du travail et se font ensuite exploiter, ceux qui sont victimes de la traite et destinés à la prostitution, très souvent avec la complicité des gens du village qui vont jusqu’à épouser la fille, l’emmener en Inde puis la vendre, et enfin des femmes qui ont été abandonnées par leurs maris et qui se lancent dans la prostitution afin de subvenir aux besoins de leurs enfants. Il y a aussi beaucoup d’enfants qui errent d’un côté et de l’autre de la frontière et se font prendre.

Les trafiquants ont le bras long, un poids politique important et le pouvoir économique ; et même lorsqu’ils se font arrêter, ils parviennent à s’en tirer. Dans au moins deux cas, les anciens du village sont allés voir les parents de la fille secourue et leur ont proposé de très grosses sommes d’argent pour qu’ils abandonnent leurs poursuites contre les trafiquants.

Bien que cela prenne souvent des années de secourir une fille victime de la traite, le vrai défi réside dans la réhabilitation. Le travail d’une prostituée a beau être totalement déshumanisant, après trois ou quatre années passées dans les lumières de la grande ville et dans l’argent vite gagné, il est difficile de revenir à la monotonie de la vie rurale ou même à un mariage arrangé. Fabriquer des gamchchas (serviettes) ou rouler des beedis (cigarettes) n’a rien de gratifiant, financièrement parlant. Jyoti, abandonnée par son mari avec trois enfants à charge, se confie : « J’ai subi la violence dans mon mariage et je continue à subir la violence dans ce travail. Mais j’ai au moins la satisfaction de gagner assez d’argent pour éduquer mes enfants. » Sanjog a étudié les cas de 250 femmes et enfants secourus et renvoyés chez eux.

Dans le cas des jeunes garçons secourus alors qu’ils avaient été vendus pour travailler, une pauvreté absolue les oblige à retourner sur le marché du travail. On estime que 20% d’entre eux sont à revendus ou émigrent à nouveau pour chercher du travail. Beaucoup ont ressenti leur sauvetage comme une forme de punition. Les enfants secourus doivent être envoyés à l’école, où ils pourront acquérir des compétences qui leur permettront de vivre par leurs propres moyens.

Palavras-chave

mulher, trabalho das mulheres, prostituição, pobreza


, Índia, Bangladesh, Nepal

Notas

Lire l’article original en anglais : Trafficking is big business along the Indo-Bangladesh border

Traduction : Jeanne VANDEWATTYNE

Fonte

Artigos e dossiês

Usha RAI, « Trafficking is big business along the Indo-Bangladesh border », in InfoChange, May 2011

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