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L’autorité des parents, l’autorité de l’école

Association Raconte-nous ton histoire

01 / 2011

Les relations entre parents et école, avec les difficultés et incompréhensions qui les accompagnent parfois, figurent parmi les thèmes récurrents discutés lors des rencontres organisées sur le quartier de Belleville dans le cadre du projet DiverCité. Plusieurs réunions spécifiques ont d’ailleurs été organisées dans des écoles maternelles du quartier, afin de faire dialoguer librement parents et enseignants.

Une mauvaise connaissance de l’école

Le premier constat qui en ressort est que les parents, notamment migrants, connaissent mal l’école. Ils sont très peu à savoir exactement ce qu’y font leurs enfants, et à connaître les différents « temps » de la journée. En ce qui concerne des personnes migrantes, cela tient en premier lieu qu’ils n’ont pas été eux-mêmes à l’école, ou du moins qu’ils ont connu une école très différente, avec des classes beaucoup plus nombreuses, très peu de matériel, et une discipline reposant totalement sur la contrainte et le châtiment corporel. Inutile de dire que des temps spécifiques comme la cantine ou l’étude, qui sont à la fois des temps d’école sans en être totalement, sont encore plus difficiles à appréhender pour ces parents-là. À ce handicap de départ s’ajoute le fait que l’école offre somme tout assez peu l’occasion aux parents de connaître son fonctionnement quotidien, au-delà des fêtes et autres kermesses. Il n’y a souvent qu’un ou deux réunions pour les parents, qu’il ne faut surtout pas rater, à des horaires pas forcément favorables pour les parents qui travaillent – et en profiter réellement requiert de bien connaître la langue française.

Ce sentiment d’incompétence explique sans doute que de nombreux parents migrants apparaissent, du point de vue des enseignants, se désintéresser de l’école, comme s’ils lui déléguaient totalement leur autorité. On peut remarquer en retour que les enseignants qui travaillent sur un quartier ne sont pas toujours au fait de ses réalités : ils peuvent venir d’une autre région de France, et surtout ils sont issus d’une autre classe sociale que les parents migrants. La situation de ce point de vue n’est pas améliorée par le turn-over très important des enseignantes – surtout chez les jeunes. Certaines initiatives, comme celle de faire visiter le quartier aux nouveaux enseignants ou de leur proposer des conférences sur l’interculturel, sont certainement utiles, mais sont trop souvent victimes du manque (très compréhensible) de temps, de moyens, d’énergie.

Les fondamentaux de l’éducation sont partagés par tous, mais des divergences importantes existent dans la manière de les mettre en Ĺ“uvre

S’il peut ainsi y avoir une mauvaise connaissance réciproque, il ressort aussi très nettement des discussions qu’il y a une base commune largement partagée par toutes les conceptions de l’éducation en présence, en particulier en ce qui concerne l’éducation de la petite enfance. Voici comment une mère algérienne répond à la question de savoir en quoi consiste l’éducation selon elle : « Le suivre dans sa scolarité, bien l’élever à la maison, parler tout le temps, expliquer les problèmes (ce qui se passe dans la rue, à l’école), écouter, être derrière lui dans sa scolarité. Il faut qu’il sache que les parents sont là pour lui… mais aussi que leur parole passera avant sa parole à lui (du moins jusqu’à 18 ans…) ». En somme, l’éducation des enfants est une affaire de parole et d’écoute, mais sans que les deux côtés de la relation soient égaux : il y a nécessairement une parole, celle des parents, qui passe avant l’autre. Autrement dit, l’éducation a deux volets complémentaires : d’un côté il faut parler, expliquer, dialoguer, mais de l’autre il faut savoir interdire, faire preuve d’autorité. Cela renvoie au fait qu’éduquer, c’est fondamentalement enseigner à ses enfants à faire la différence entre le bien et le mal, à les orienter vers le « bien » et les détourner du « mal » : comme le dit une autre parente française, d’un côté, il faut encourager ce qui est bien, mais de l’autre côté il y a des choses et des comportements qu’il ne faut pas laisser passer.

Même sur cette base commune, bien entendu, les divergences peuvent être multiples, ce qui peut générer des mécontentements. En fonction de ses conceptions morales, on évaluera différemment différents comportements. Un traditionaliste jugera mauvais quelque chose qu’une autre personne jugera moralement indifférent. L’école doit évidemment faire prévaloir une conception morale tolérante et ouverte qui permette la vie en commun et le respect mutuel. En outre, le curseur entre le côté punitif et le côté positif de l’éducation peut être placé à différents endroits. De nombreux parents, migrants ou non, jugent que la conception française de l’éducation place le curseur bien trop loin en faveur du côté positif. Un père chinois (rejoint sur ce point par bien d’autres parents migrants) a fait ainsi part de son impression qu’en France, et particulièrement à l’école, y compris en maternelle, on passe beaucoup trop de temps à expliquer les choses aux enfants, à parlementer ou à négocier avec eux. En Chine, l’autorité est beaucoup plus directe et unilatérale : les parents ou les instituteurs disent ce qu’il faut faire, et les enfants écoutent et obéissent en silence. Cette impression des parents est sans doute renforcée par le fait que l’école pour eux inclut aussi des temps comme la cantine ou l’étude, qui sont plus ludiques que les temps de classe proprement dit et ne sont pas encadrés par des enseignants.

Cette perception d’une différence dans le niveau d’autorité attendu peut être source d’incompréhension, voire de ressentiment, entre parents et école. Un père africain a par exemple raconté avoir été convoqué à l’école parce que son fils avait dit un gros mot à la maîtresse ; il trouvait particulièrement injuste que cela lui soit implicitement reproché alors que son fils d’après lui ne dit jamais de gros mot à la maison. De nombreux parents paraissent en fait demandeurs qu’on en revienne aux châtiments corporels ; sans la possibilité d’y recourir en dernière instance (ce qui est réglementairement impossible à l’école), l’autorité ne leur semble pas pouvoir s’exercer. Les enseignantes ont admis qu’il n’était pas toujours facile de faire comprendre aux enfants que le niveau de respect attendu d’eux à l’école était le même qu’à la maison bien qu’il n’y ait pas de châtiment corporel – et d’autant moins facile si dans la famille ils ne connaissent précisément que le châtiment corporel.

Il est vrai que l’accent mis sur la parole et le dialogue constitue une spécificité de la conception occidentale (que l’on peut appeler « libérale », au sens moral de ce terme) de l’éducation, mais il ne faut pas exagérer. Une directrice d’école a répondu à ces parents qu’il ne faut pas s’imaginer que les enseignantes sont sans cesse en train de discuter et d’argumenter pour obtenir l’obéissance des enfants. Selon elle, il est nécessaire de parler, de donner sens aux interdits, mais il y a aussi des moments où il faut arrêter d’expliquer et imposer la règle. C’est une question de bon sens : il n’est pas possible de perdre du temps à obtenir le consentement de chaque enfant : lorsque par exemple c’est l’heure de la sieste, on ne va pas attendre d’avoir convaincu tous les enfants personnellement pour que tout le monde puisse dormir. Il faut qu’ils apprennent à respecter les règles et la collectivité, que les règles sont là précisément pour permettre la vie en groupe. Si les enfants n’obéissent pas, ce n’est pas toujours seulement parce qu’ils n’ont pas compris… En retour, les enseignantes peuvent et doivent aussi faire percevoir aux enfants les bénéfices qu’ils peuvent retirer de ces contraintes : leur apprendre à respecter les règles est aussi une manière de les socialiser, de leur faire profiter du collectif, de les responsabiliser et donc de les valoriser.

L’école maternelle est précisément pour les enfants le moment du passage progressif à la vie en collectivité, avec les contraintes et les bénéfices qu’elle implique, un moment délicat pour les enfants aussi bien parfois que pour les parents. La vie en collectivité implique certaines contraintes spécifiques par rapport à la vie familiale, et l’enfant (comme le parent) doit apprendre à se faire à cette nouvelle source d’autorité. Dans la perception d’une grande partie des parents français, au contraire des migrants, c’est d’ailleurs l’école qui est le lieu de l’autorité et de la contrainte, tandis qu’avec les parents les enfants ont un rapport plus affectif.

La question a été soulevée de savoir si les parents en France n’avaient pas davantage de réticences à assumer la dimension coercitive de l’éducation pour des raisons liées aux conditions de vie. Des parents qui travaillent beaucoup, rentrent tard le soir et ont peu de temps à consacrer à leurs enfants peuvent, par culpabilité ou par fatigue, être tentés d’éviter les attitudes trop autoritaires, en particulier lorsque s’ajoutent pour les enfants toutes les contraintes du logement collectif (interdiction de courir à cause des voisins, etc.). Certains parents migrants estiment qu’en France les enfants sont trop écoutés, qu’on fait trop attention à eux, ce qui constitue un facteur de stress souvent inutile pour les parents. On peut également remarquer qu’en France, et en particulier dans une grande ville comme Paris, les enfants sont très encadrés et surveillés. On les laisse bien moins se développer en liberté, entre eux, que ce n’est le cas dans d’autres sociétés. Le souci d’encourager et de valoriser les enfants est peut-être la contrepartie de ce plus grand contrôle.

Parents et école : besoin de communication et de cohérence

Il est évident que l’absence de cohérence, voire l’opposition entre ce qui se passe et se dit à l’école et ce qui se passe et se dit en famille peut être nuisible pour l’éducation des enfants. Cela complique la tâche des deux côtés, et les enfants apprennent bien vite à jouer de ces incompréhensions à leur profit. L’exemple récurrent évoqué par les parents migrants est le fait d’entendre leur fils ou leur fille leur dire que s’ils leur donnent une fessée, ils iront porter plainte auprès de la maîtresse. Et c’est d’autant plus facile pour les enfants qu’ils sont très souvent le seul canal de communication entre l’école et les parents : ils traduisent délibérément mal, omettent de transmettre certains documents…

Un autre facteur qui vient parfois compliquer les relations est que ce ne sont pas les parents qui viennent à l’école chercher les enfants, et que les enseignantes n’ont dès lors jamais l’occasion de discuter avec eux ou plus généralement de faire leur connaissance. Cela tient aux conditions de vie et aux horaires de travail des parents : à Paris, beaucoup d’enfants restent à l’école jusqu’à 18 heures, à une heure où la maîtresse est déjà partie (la plage horaire supplémentaire appelée « étude » ou « goûter » est encadrée par quelqu’un d’autre). Et c’est pire lorsque les parents ont des horaires de travail atypiques. Dans certains cas (notamment en ce qui concerne la communauté chinoise), les enseignants et les professionnels déclarent ne jamais voir les parents. Il s’agit d’une situation très courante dans de nombreuses cultures et mêmes dans certaines familles françaises : les grands-parents, d’autres membres de la famille, ou encore des nounous ont en charge le soin et l’éducation des enfants pendant que les adultes « actifs » travaillent. L’accent mis par l’école sur la responsabilité des parents peut être en porte-à-faux avec cette réalité sociale. Dans le cas des Chinois, d’après certains témoignages, la situation est compliquée par le fait que souvent des familles de Chinois du Sud (qui parfois vont travailler très loin, y compris dans un autre pays européen) embauchent comme nourrices des Chinoises du Nord, arrivés plus récemment en France, qui parlent un mandarin parfait mais très mal le français, parce que leur priorité pour la petite enfance est que leur enfant parle bien le chinois. Ce qui fait d’une part que les enfants arrivent à l’école en n’ayant jamais entendu et parlé que le mandarin, et que le dialogue entre l’école et les nourrices est concrètement impossible.

Si du côté de l’école on déplore l’absence ou la faible disponibilité des parents, force est de constater que les parents – migrants ou français – sont de leur côté quasi unanimes à déplorer son manque d’ouverture. Ils sont nombreux à avoir le sentiment de devoir laisser leur enfant à la porte de l’établissement sans moyen de savoir ce qui s’y passe vraiment, et de n’être contactés par l’école que lorsqu’il y a un problème. La communication entre école et parents est un problème récurrent, déploré de part et d’autre, et auquel il ne semble pas exister de solution magique.

Les voies classiques de communication, comme le cahier de correspondance, la représentation des parents d’élève et les réunions d’information, sont très importants et très utilisés, mais ils ne sont pas suffisamment connus et utilisés par les parents migrants, pour toute une série de raisons liées à leur plus ou moins bonne connaissance de la langue et de la culture française, ainsi que de sentiment de légitimité à donner son avis. Pour le dire crûment : sur le quartier, les représentants élus des parents d’élève sont dans la quasi totalité des cas des Français « de souche », alors même que dans les classes les enfants immigrés sont largement majoritaires. Ce n’est pas forcément de nature à donner aux autres le sentiment d’être représenté. Pour résoudre certains de ces problèmes, le recours à des interprètes ou des médiateurs, par exemple issus d’associations spécialisées, pourrait être une solution. Au-delà, il serait sans doute utile d’être plus proactif en matière d’ouverture de l’école aux parents. L’organisation de « modules parents-école » pour faire connaître l’école aux parents dans un cadre convivial (et non pour discuter de questions de comportement ou de performance de leur enfant) paraît particulièrement pertinente, et peut-être indispensable.

Pour conclure, il faut sans doute aussi rappeler que malgré les difficultés, les relations entre parents et enseignants se passent bien dans la grande majorité des cas. Et les difficultés qui existent reflètent aussi l’évolution de la conception de l’éducation et de la place des enfants dans nos sociétés depuis 40 ans – une évolution qui apparaît sans doute de manière d’autant plus brutale depuis la perspective de migrants fraîchement arrivés en France. Tout le monde presque partage le même souci et les mêmes questionnements en matière d’éducation des enfants. Et il n’est pas forcément néfaste qu’il y ait questionnement et discussion.

Palavras-chave

acesso à educação, sistema de valor e educação, diversidade cultural


, Franca

dossiê

DiverCité : « Migrations, interculturalité et citoyenneté en France : enseignements d’un dialogue avec les institutions et les habitants dans le quartier parisien de Belleville »

Fonte

Ce texte fait partie du dossier « Migrations, interculturalité et citoyenneté », issu d’un ensemble de débats et de rencontres organisées dans le quartier de Belleville à Paris entre 2004 et 2009, avec des habitants (issus des migrations ou non) et des représentants de diverses institutions présentes sur le quartier. Les textes proposés dans le dossier reprennent les principaux points saillants de ces discussions, dans le but d’en partager les leçons.

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