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Les vaches sacrées... ment utiles de l’Inde

Frédéric LANDY

06 / 1994

L’Inde a le premier troupeau de bovins du monde : presque 200 millions de têtes. La plupart des agriculteurs possèdent un animal de trait, et l’image des "vaches sacrées" (en fait parfois des boeufs)errant dans les rues des villes indiennes a fait le tour du monde. Certains observateurs, remarquant la maigreur et la faible productivité générale d’un tel cheptel, ont invoqué la religion -le tabou sur le sacrifice de la vache, et plus généralement la trop célèbre "non-violence" de l’hindouisme - pour expliquer le "surpeuplement" bovin. Si les hindous consommaient de la viande de boeuf, la compétition entre hommes et bêtes pour des ressources qui sont limitées tournerait à l’avantage des hommes.

L’hypothèse ne tient assurément pas pour les "vaches des villes" : car que voit-on dans les rues, sinon en plus des bovins des ânes, des moutons, des chiens errants qui n’ont eux rien de sacré ? Si les bovins sont libres, c’est moins parce qu’ils sont "sacrés" que parce qu’ils ne coûtent ainsi rien à leurs propriétaire ! La vache se nourrit du caniveau, de dons des passants, va même jusqu’à déguster les affiches aux murs, et le soir rentre chez elle se faire traire.

Dans les villages aussi, il semble bien que derrière le caractère sacré des vaches se cache l’intérêt économique. A Naragalu, un pauvre village sans irrigation du Karnataka de 570 hts, on compte 100 boeufs, 44 vaches et 76 bufflesses (sans compter les veaux). Voilà qui est beaucoup, et nombre de paysans ne cultivant qu’un demi-hectare possèdent un attelage de deux têtes. Gaspillage, dira-t-on : il vaudrait mieux que les agriculteurs se prêtent ou se louent leurs bêtes, au lieu de ruiner les maigres pâturages du village et de sous-alimenter leurs bêtes. Oui, mais les bufflesses ne sont jamais attelées dans la région et ne servent qu’à la production de lait ; pour tirer l’araire on ne peut compter que sur les bovins, or les pluies sont si rares que dès leur venue toutes les exploitations se mettent à labourer le même jour : les échanges d’attelage sont impossibles.

En outre, le trait n’est pas la seule fonction des bovins : aussi essentielle est la production de bouse - précieusement recueillie par les villageois à l’étable mais aussi dans les chemins - pour fertiliser des champs qui ne recueillent quelques engrais chimiques à Naragalu que depuis 1980. La jachère est quasiment inconnue, et le maintien de la fertilité des sols est une priorité : même une vache trop vieille pour être attelée peut encore être utile, puisqu’elle permet de transformer le maigre herbage des plateaux caillouteux en précieux fumier.

Les vaches sont pauvres laitières (2 litres par jour), aussi les paysans quand ils en ont les moyens possèdent-ils des bufflesses. Dans le village voisin, plus riche, il existe même des vaches de race améliorée (que l’on nourrit à la maison et qu’on ne fait pas travailler); mais elles coûtent cher, les programmes de crédit de l’Etat sont encore trop peu adaptés aux paysans pauvres, et la coopérative laitière fonctionne imparfaitement. Aussi les habitants de Naragalu restent-ils encore fidèles à leur race locale traditionnelle, plus robuste et moins exigeante.

Et la viande ? Une minorité d’Indiens est exclusivement végétarienne, mais seuls les non-hindous et les Intouchables consomment (souvent en cachette pour ces derniers)de la viande de boeuf, pourtant peu chère étant donnée le rapport offre/demande. Cela veut-il dire pour autant que cet dernière utilisation est accessoire ? En fait, on ne laisse jamais mourir de vieillesse les bovins, à Naragalu. Les abattre ? Assurément non ! Mais on les vend à des musulmans en sachant pertinemment que leur destin sera l’abattoir. Quant à la non-violence, elle n’empêche pas de castrer les veaux, de battre un animal qui refuse d’avancer : la vache est sacrée autant qu’un outil de travail peut l’être.

Distinguons enfin les valeurs hindoues d’origine brahmanique de la réalité villageoise. Certes, le paysan accorde un pouvoir purifiant aux produits tirés de la vache, lait, bouse, urine. Après une coupe de cheveux chez le barbier, il convient d’être aspergé trois fois d’urine de vache pour pouvoir entrer chez soi prendre un bain qui nettoie de la pollution rituelle occasionnée par la coupe de cheveux. Mais cela ne signifie pas que certains villageois ne sourient pas quand on leur dit que leur ancien premier ministre Morarji Desai buvait toujours un peu d’urine de vache à son petit déjeuner... De même, le lundi est jour férié : on est végétarien ce jour-là, et il est interdit de faire labourer les bovins. Soit : on n’attelle pas les boeufs à l’araire... mais à la charrette.

Palavras-chave

gado, hinduísmo, religião, agricultura camponesa


, Índia, Karnataka

Comentários

Ne tombons certes pas dans le "fonctionnalisme qui chercherait à prouver que la vache est sacrée parce qu’elle remplit d’innombrables fonctions. Les valeurs et les croyances des hommes ne s’expliquent pas toutes par leur intérêt économique et utilitaire. Ce n’est pas parce que les Indiens ont besoin de bouse que la vache est sacrée ! Il ne faut cependant pas tomber dans le travers inverse, et juger la vénération de la vache comme irrationelle et anti-économique. A ne pas voir le caractère multi-fonctionnel du bétail, on s’expose à considérer les paysans indiens comme des dévots fatalistes, alors qu’ils sont avant tout des agriculteurs vivant dans un système socio-culturel assurément complexe, mais sans doute plus souple qu’on ne le croit.

Notas

Cette fiche a été élaborée à partir de ma thèse qui doit être publiée en 1994 sous le titre : "Paysans de l’Inde du Sud", chez Karthala.

Fonte

Tese e memoria

LANDY, Frédéric

Université de Paris 10 (Centre d’étyudes de l’Inde et de l’Asie du sud) - 59 Rue Bazire, 76300 SOTTEVILLE LES ROUEN. FRANCE. Tel 33 (0) 140 97 75 58. Fax 33 (0) 140 97 70 86 - Franca - frederic.landy (@) wanadoo.fr

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