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Le temps, le sacré, l’être, la santé

Rencontre avec la philosophie navajo

Agnès DE SOUZA

1996

Le temps est la plus grande énigme qui se pose à L’Homme. Philosophes et scientifiques devraient s’unir en cette fin de 20ème siècle pour repenser cette question sans préjugé. Cela requerrait évidemment de la part des scientifiques une distance par rapport à leur propre approche, l’adoption d’une réflexion épistémologique. Un autre regard sur le temps entraînerait également un regard différent sur un certain nombre de phénomènes que l’esprit positiviste se contente de remiser avec condescendance aux oubliettes de l’histoire dite "primitive" ou de déclarer "irrationnelles" (quand elles ne font appel qu’à une rationalité différente, dont l’objet n’est plus la matière)- Il faudrait dépasser cette conception du rationnel comme limité au seul champ de l’objet matériel, conception qui est la véritable dictature du XXème siècle. En fin de compte, ce raisonnement peut être inversé : un regard de réelle "considération" pour certaines visions du monde de sociétés traditionnelles, entraînerait une appréhension différente du temps.

Si l’on en croit les enseignements de ces sociétés, le temps n’est pas linéaire mais cyclique. Cette conception du temps rend compréhensibles de nombreux phénomènes et états que nous ne considérons que comme des visions poétiques ou appartenant à un passé révolu de l’intelligence humaine. Dans les rituels de guérison navajos par exemple, les peintures de sable font advenir les Etres sacrés parmi les participants, et ce phénomène n’est ni une illusion ni une "façon de parler", encore moins une suggestion, il est réel, même si on peut le comprendre comme le "transport" des participants dans cet autre temps qui est le passé mais aussi le présent, c’est-à-dire ni le passé ni le présent, mais un temps autre, le temps de l’Eternité. De quel droit d’ailleurs nous permettons-nous de décider à leur place de ce qui est réel ou non, si ce n’est de celui que nous nous arrogeons du fait de l’implicite supériorité que nous confère, croyons-nous, le fait d’être des occidentaux, détenant l’étalon rationalité, et s’imaginant tout comprendre, tout pouvoir définir? Là où le bât blesse, c’est que nous définissons tout en effet, mais à travers nos mots et notre logique, ce qui fait que nous ne comprenons et trouvons finalement rien d’autre que nous-mêmes, éternels voyageurs que nous sommes du même sempiternel voyage, en quête d’un impossible ailleurs, assoiffés d’une autre réalité, qui nous manque cruellement mais que nous nous obstinons à essayer d’attraper avec un filet qui ne convient pas et dont les mailles laissent inévitablement échapper l’essentiel. Lorsque l’homme-médecine navajo pose ses mains imprégnées des pigments de la peinture de sable sur le corps du malade, il se passe une osmose entre les Etres sacrés peints sur le sol et le patient, alors empli de sacralité. Ces Etres sacrés que les hommes-médecine font revenir sont ceux qui, à l’aube des temps, fixèrent l’ordre du monde. A ce moment-là, les peintures de sable SONT ces Etres eux-mêmes, ce qu’on ne peut comprendre qu’à l’intérieur d’une conception cyclique du temps. Et encore faut-il savoir ce que ce cyclique-là veut dire. Pour les Navajos, le présent ne s’éloigne pas du passé, tous deux coexistent, le passé n’est pas le passé, mais un temps présent quoiqu’autre, accessible à certaines conditions, par certains moyens. Ce temps "des temps simultanés" n’est pas "cyclique" au sens où il reviendrait périodiquement comme un temps linéaire déguisé qui sur une plus grande échelle s’enroulerait sur lui-même tel un ruban sur une bobine. Mais au sens d’enveloppement et de superposition simultanés de ces temps différents. C’est pourquoi la cérémonie navajo n’est pas une évocation de la création, mais sa répétition. Qui permet de "rectifier le tir", remettre les choses en place quand des déséquilibres les ont déplacées et que la maladie s’est installée. On peut de cette façon recouvrer la santé, et la restauration du lien avec le sacré nous apparaît en effet comme un moyen que L’homme a à sa disposition pour retrouver équilibre et harmonie. Ces peintures de sable guérissent, cela est attesté de façon certaine, et ce phénomène n’est compréhensible que dans une telle conception du temps. Le "Temps du rêve" des Aborigènes australiens relève de la même logique.

Tout se passe donc comme si L’homme avait en lui la possibilité de passer d’un monde dans un autre, d’un temps dans un autre, temps et monde étant alors synonymes. C’est toute la dimension du sacré qui se joue dans cet espace-là. Tous ces rituels, ces techniques éprouvées d’un monde ancien apparaissent d’une précision rigoureuse, sans quoi d’ailleurs elles sont inopérantes ou dangereuses : cette règle de la précision qui ne souffre pas la moindre variation est impérative et universelle.

Cette conception rend compréhensibles de nombreux phénomènes, ceux que l’on qualifie d’"irrationnels" comme la voyance, la prémonition, la vision d’êtres en habits de lumière, la visite d’êtres disparus... l’accès à un monde qui n’est pas immédiatement visible, et que nous nommons divin, surnaturel (et qui n’est pas "irrationnel"). A dire vrai, et dans cette perspective, ce ne sont pas les êtres disparus qui reviennent mais les vivants qui pour un moment changent de perception et de monde. Cet espace-monde-là n’est pas régi par les mêmes lois que le monde quotidien tel qu’il est perçu par notre esprit aliéné au matériel, par notre intelligence, qui en est arrivée à cette aberration, disait Bergson, de ne plus se sentir "chez elle que parmi les solides". Le quotidien est dans la temporalité linéaire, avec un passé, un présent, un avenir. Mais il y a d’autres temps, régis par d’autres logiques. Les échappées hors de ce monde dans l’autre nous font sortir de cette temporalité pendant un temps qui est à la fois et de manière simultanée et non contradictoire un temps quotidien x, et un temps hors du temps, le fameux "instant d’éternité" dont on ressort différent, régénéré, éventuellement guéri. Si ce qui précède a quelque justesse, l’homme occidental prend pour un absolu ce qui n’est qu’un type de perception. Des temps différents coexistent.

C’est dans ce cadre de pensée, et avec d’autres présupposés que ceux qu’elle applique à la matière, que la pensée scientifique devrait réfléchir à ces phénomènes. On devrait par la même occasion cesser de penser aux visions du monde des cultures traditionnelles comme à des philosophies infantiles, ce que malgré les circonlocutions intellectuelles d’usage, on n’a jamais cessé de faire. La science positiviste exerce un totalitarisme trop fort. Ces temps simultanés peuvent être visualisés comme des cercles concentriques de différentes couleurs, dont chacun correspond à un mode de perception précis, mais dont on peut changer par ces méthodes spécifiques dont la planète nous offre encore pour quelques temps de très précieux modèles. De la considération pour ces visions du monde différentes, naîtraient une philosophie, une science, des comportements sociaux et humains différents...

Palavras-chave

filosofia, epistemologia, etnologia, valorização dos conhecimentos tradicionais, concepção do mundo


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Notas

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Fonte

Livro

Peintures de sable des indiens Navajo, la voie de la beauté, Actes Sud, 1996 (France)

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